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pas payés le débiteur d'une rente constituée en perpétuel peut être contraint au rachat, le capital devient exigible; 1° si le débiteur cesse de remplir ses obligations pendant deux années, c'est-à-dire s'il ne paie pas les arrérages; 2o s'il manque à fournir au prêteur les sûretés promises par le contrat, car alors le prêteur court le risque de perdre à l'avenir ses arrérages; 3° en cas de faillite ou de déconfiture du débiteur. Ce cas rentre dans le précédent; le crédit-rentier n'a plus de suretés suffi

santes.

La stipulation se prêtait bien plus facilement que le legs à la formation d'un contrat de rente perpétuelle.Outre la flexibilité de la formule de l'interrogation et de la réponse «spondes ne? spondeo » la nature même de la stipulation était la perpétuité. A tel point qu'il y avait inconvénient à employer cette forme de contracter dans le contrat de rente viagère, parce que, dit Justinien dans les Institutes, (lib. III, t. XV De verb. obl.): « ad tempus deberi non potest. » D'après l'ancien droit civil, l'obligation une fois née était naturellement perpétuelle, même en présence de la volonté contraire des parties: « At si ita stipuleris, decem aureos annuos quoadvivam dare spondes? et pure facta obligatio intelligitur, et perpetuatur. » Le préteur est venu modifier cette rigueur du droit civil en accordant l'exception du pacte, ou même l'exception doli mali: Sed heres petendo pacti exceptione submovebitur » (même texte).

Mais la stipulation de payer annuellement une somme d'argent au préteur d'un capital inexigible, n'avait qu'à conserver son caractère du vieux droit civil.

Le legs au contraire finissait par la mort du légataire. Les différences entre le legs et la stipulation in singulos annos et autres prestations périodiques sont établies par Pomponius dans la loi 16 au Digeste, (De verb. obl., liv. 45, t. 1): « Stipulatio hujus modi, in singulos annos, una est, et incerta et perpetua: non quemadmodum simile legatum morte legatorii finiretur. »

La stipulation est une, le legs est multiple : « Cum in annos singulos legatur, non unum legatum esse, sed plura constat (Ulpien, l. 10, D. Lib. XXXVI, t. 2). » Cujas, au commentaire de la loi 16 précitée, explique ainsi cette différence: « Cum legata contemplatione legatorii relinquantur, legatum annuum intelligitur esse in annos quibus vivet legatorius relictum; et ea mens fuit testatoris ut singulis annis executeretur an legatarius viveret; adeoque tot sunt legata quot sunt anni quibus vivet legatorius. Contra in stipulatione annua promissor divisis pensionibus sibi potius consulit quam stipulatori cessat igitur in stipulatione annua ratio propter quam diximus in legato annuo tot intelligi legata, quot sunt anni quibus legatarius vivet; nec ulla est ratio cur non videri debeat una ac perpetua stipulatio. »

De la stipulation naît une créance unique qu'en droit moderne on appelle rente, et qui a pour objet le droit aux annuités, aux arrérages. Les annuités, les arrérages ne sont que le produit de cette rente, comme les intérêts sont le produit d'un capital restituable.

Le legs, au contraire, fait naître un droit qui porte sur les annuités, et ces annuités forment une série de legs distincts dont le premier est pur et simple, et les autres sont subordonnés à la condition que le légataire vivra au

commencement de l'année où chaque legs est dû. (4) « Si in singulos annos alicui legatum sit, dit Paul dans la loi 4 au Digeste (livre 33, t. I), Sabinus, (cujus sententia vera est), plura legata esse ait, et primi anni purum, sequentium conditionale: videri enim hanc inesse conditionem, si vivat, et ideo mortuo eo, ad heredem legatum non transire. » Ceci s'adapte à merveille à la rente viagère dont nous aurons à traiter au chapitre suivant. Mais on comprend que la forme du legs devait être plus rare pour constituer une rente perpétuelle.

Cependant, dès l'époque classique, les fragments des jurisconsultes nous montrent des legs de redevances pécuniaires avec le caractère de perpétuité: « Annuam pecuniam ad ludos civitati reliquit, quibus præsidere heredes voluit; successores heredum negant se debere; quasi testator tamdiu prestari voluisset quamdiu præsiderent heredes. Quæro igitur an cum præsidendi mentionem fecerit, ad tempus fideicommissum, an perpetuo præstari voluerit? Modestinus respondit, fideicommissum quotannis in perpetuum reipublicæ præstandum esse, (Modestin, Loi 6, D. 33,5). » Marcien au même titre (loi 23), s'exprime ainsi : « Cum quidam decurionibus divisiones dari voluisset die natalis sui; divi Severus et Antoninus rescripserunt; non esse verisimile, testatorem de uno anno sensisse, sed de perpetuo legato. »

Il s'agit bien dans ces deux textes de legs, de revenus annuels, d'une créance d'arrérages donnés par un testateur à perpétuité pour créer des jeux dans une cité, dans le premier cas; pour faire une faveur aux décurions, dans

1. Accarias, t. II, p. 279,

le second cas, au jour de l'anniversaire de la naissance du testateur.

Il n'est pas possible, il n'est pas vraisemblable disent les empereurs Sévère et Antonin que ces legs n'aient été faits que pour une année.

La volonté du testateur était exécutée. La loi 22, au Code, De legatis, liv. 6, t. 3, 7, de Justinien, ne laisse subsister aucun doute: « In annalibus legatis, vel fideicommisis, quæ testator non solum certæ personæ, sed et ejus heredibus præstari voluit, eorum exactionem omnibus heredibus, et eorum heredum heredibus servari pro voluntatæ testatoris præcipimus. »

Dans ce cas, dit Voët en commentant la loi précitée, (t. II, p. 536) le legs est perpétuel, il est dû à l'infini, aux héritiers, et aux héritiers des héritiers. Nous avons remarqué plus haut que c'était surtout quand les legs étaient faits à des personnes morales, que la perpétuité s'était établie; parce que alors la cause du legs était perpétuelle.

Jean Voët (eod. loc.) conclut : « Atque adeo omnia hæc annua per legatum data, non longe distant ab annuis ex contractu debitis, quorum una tantum et pura obligatio est. » L'assimilation, dans le dernier état du droit devient presque complète entre la stipulation et le legs d'une redevance annuelle. Le germe de cette doctrine est contenu dans une loi d'Ulpien (loi 65, Dig. de Verb, signif., liv. 50. t. 16) qui étend indéfiniment la signification du mot héritier: «Heredis appellatio non solum ad proximum heredem, sed et ad ulteriores refertur, nam et heredis heres, et deinceps heredis appellatione continetur, »

Dans le droit moderne, il n'y a pas de difficultés à constituer une rente perpétuelle par testament. C'est même la forme la plus usitée quand la rente est constituée au profit d'un corps moral; cas le plus habituel de constitution de rente en dehors des rentes sur l'Etat.

Nous développerons les autres différences entre le legs et la stipulation de prestations périodiques à propos de la rente viagère. Qu'il nous suffise de remarquer ici que le caractère de perpétuité de la stipulation, dans le premier état du droit, répondait mieux à la nature d'une créance perpétuelle de redevances annuelles, que le legs qui était multiple, et n'avait pour objet direct que les annuités. Mais en matière de legs, d'après les principes romains, il était plus facile de se conformer à la volonté exprimée du testateur, qu'en matière de stipulation à la volonté des parties. On arrive plus facilement à se servir du legs pour constituer une rente perpétuelle, que de la stipulation pour constituer une rente viagère.

La rente perpétuelle n'est pas mentionnée seulement dans les textes du Digeste et du Code.

L'épigraphie, les inscriptions nous fournissent de nombreux documents sur ces fondations faites en faveur des cités, tantôt par l'empereur, tantôt par des particuliers. Nous y voyons des sommes d'argent affectées au service. de rentes perpétuelles, versées à des propriétaires qui en gagent l'intérêt sur des immeubles (1).

Les deux principales sont deux inscriptions décou

1. M. Girard, Revue intern. de l'enseign. 15 septembre 1885, p. 237,

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