Page images
PDF
EPUB

tée sur le régime de Panama ou de Nicaragua, et qui ne leur ayant pas alors donné droit de contrôle sur le canal de l'Ancien continent n'a pas à réclamer droit de contrôle sur le canal du Nouveau ; 3° parce qu'un tel canal, véritable prolongement de la côte des Etats-Unis, les intéresse d'une façon essentielle, qui fait, de leur contrôle, une question vitale; 40 parce que les capitaux des citoyens américains exigent le contrôle des EtatsUnis, qui doivent protéger les entreprises étrangères de leurs nationaux; l'un des motifs, qui avaient conduit le gouvernement de Washington à siguer le traité Clayton-Bulwer, était l'attente du capital anglais; cette attente n'ayant pas été réalisée, il n'a plus de raison d'ètre, maintenant surtout que le gouvernement et le peuple des Etats-Unis ont des ressources suffisantes pour en assurer seuls la construction; 50 parce que les EtatsUnis, dont le canal relie le sol national d'une côte à l'autre, y sont intéressés davantage que l'Angleterre, dont le canal relie simplement la métropole aux colonies; 6o enfin, parce que les circonstances, desquelles était sorti le traité Clayton-Bulwer, ayant disparu, la clause rebus sic stantibus, qui fit céder en 1871, au Congrès de Londres, la neutralité de la mer Noire, doit faire céder ici le contrôle anglais du canal; en 1850, les Etats-Unis n'avaient pas de possessions dans le Pacifique; maintenant, à situation différente, il faut régime différent, les circonstances auxquelles se rattachait le traité ne sont plus les mêmes, rebus sic non stantibus; le traité ne saurait persister. A ces arguments, l'Angleterre répond: 1o que la doctrine de Monroe, règle interne, n'a pas de valeur internationale; que, principe de politique, rule of policy, elle ne peut produire aucun effet de droit; 2 que, si les Etats-Unis n'ont pas été consultés sur le régime de Suez, aucune promesse ne leur en avait été faite tandis qu'en Amérique ils se sont liés par un traité, que d'ailleurs aucun privilège n'appartient à personne à Suez, tandis que les Etats-Unis en réclament un dans l'Amérique centrale ; 3° que les capitaux n'ont aucun rôle à jouer, par leur origine, dans la création du régime des canaux, sans quoi ce canal changerait incessamment de régime en même temps que ces capitaux changeraient d'origine; 4o que si les Etats Unis ont augmenté leurs possessions dans le Pacifique, depuis 1850, la Grande-Bretagne a développé les siennes également: 30 que l'abrogation du traité Clayton-Bulwer est impossible parce que, portant sur l'occupation territoriale de l'isthme aussi bien que sur le canal, il ne peut, en tombant, laisser revenir le statu quo ante; 60 enfin que, peu de temps après le traité, le président Buchanan a déclaré qu'il donnait aux Etats-Unis une entière satisfaction. Les raisons, particulièrement délicates, sont exposées de part et d'autre d'une façon si pressante qu'une conciliation entre elles ne parait guère possible. L'arbitrage serait tout indiqué pour sortir de ces difficultés. L'Angleterre l'a même proposé. Mais les Etats-Unis n'en veulent pas entendre parler, parce que la doctrine de Monroe, qu'ils ont engagée dans la question, ne saurait faire l'objet d'un arbitrage. Dans l'affaire de l'Alabama, dit M. L. M. Keasbey (1), nous avons accepté l'arbitrage international. Mais alors il s'agis

(1) KIASBEY, op. cit., p. 585, et spécialement, p. 588 et s.

sait d'une pure question de dommages; ici c'est d'une question vitale. La doctrine de Monroe, sur laquelle reposent les prétentions américaines, est trop fortement nationale pour pouvoir jamais faire l'objet d'un arbitrage.» On le vit bien, quand à la Conférence de La Haye, sur l'avant-projet russe relatif à l'arbitrage obligatoire en matière de conventions relatives aux canaux internationaux, M. Holls, au nom de son gouvernement, déclara n'y pouvoir consentir (1).

Insusceptible présentement d'un arbitrage, ce grave conflit est, en droit pur, difficile à régler. Pourtant l'attitude de l'Angleterre en Egypte est de nature à provoquer, en Amérique, une imitation qui ne seraît que justice. L'Angleterre, qui a Suez pour communiquer avec l'Inde et l'ExtrêmeOrient, n'a qu'un intérêt restreint à dominer le canal américain, dont la possession importe surtout aux Etats-Unis. Une clause rebus sic stantibus, tirée de l'existence d'un canal africain vers l'Inde, agit sur le traité Clayton-Bulwer de tout le poids de l'utilité anglaise du canal de Suez. En 1850, les Anglais pensaient s'ouvrir une route vers l'Inde. Quand le canal de Suez la leur a eu donnée, le traité Clayton-Bulwer a perdu son caractère d'utilité dans une large mesure. En n'appelant pas les Etats-Unis à la garantie du canal de Suez, qu'ils voulaient se réserver, les Anglais ont euxmêmes reconnu qu'ils n'avaient pas à prendre part au contrôle du canal de Nicaragua. Enfin, raison décisive, l'Amérique centrale, dont le canal emprunte le trajet n'admet pas que les Anglais, auxquels elle n'a jamais. rien concédé, puissent avoir des droits égaux à ceux des Américains, d'où cette conséquence que le traité Clayton-Bulwer s'efface de lui-même. Pour peu que les Américains insistent, l'Angleterre ne peut manquer de les laisser faire. Désireuse de s'assurer les sympathies de l'Amérique, dans les moments critiques de l'heure présente, l'Angleterre vient de consentir, le 5 février 1900, à l'abrogation du traité que Clayton et Bulwer avaient passé, et qu'aujourd'hui lord Launcefote, pour l'Angleterre et M. Hay, pour les Etats-Unis, viennent solennellement de détruire.

Il ne s'agit donc pas de savoir si la création d'un canal exclusivement américain est contraire au traité Clayton, mais simplement si cette création serait contraire aux principes généraux du droit.

A ce point de vue, le droit des Etats-Unis paraît certain. Si inattendue que puisse sembler la réponse, elle est rigoureusement exacte. Les EtatsUnis peuvent faire passer, par le Nicaragua, un canal exclusivement natio. nal. Est-ce à dire que les canaux interocéaniques ne soient pas toujours d'un libre usage, en guerre comme en paix, au profit de la société commune des Etats? Oui, tel est le principe, nous le reconnaissons. Mais à ce principe il est des exceptions, qu'on aperçoit dès qu'on cherche le fondement de l'internationalité des canaux. Si ceux-ci sont libres, en temps de paix comme en temps de guerre, sans que même l'Etat territorial puisse se les réserver, c'est que l'humanité possède sur eux, antérieurement à

(1) DESJARDINS, La Conférence de La Haye, et l'arbitrage international, dans la Revue des Deux-Mondes, 1'r sept. 1899, p. 17. HOLIS, The Place Conference and the Monroe doctrine, daus The American Montlhy review of reviews, novembre 1899, P. 565.

toute convention, un droit de passage. Mais d'où procède ce droit sinon de l'enclave où les nations sont du fait des isthmes, par rapport aux océans? Par suite, le droit de tous au canal existe sous toutes ses formes (construction, passage, contrôle), non pas à titre d'expropriation pour cause d'utilité internationale (car cette notion de l'utilité, mise au service des forts, serait dangereuse pour les faibles), mais à titre de servi tude de passage, née du fait même de l'enclave. Dès lors, s'il n'y a qu'un seul chemin à travers l'isthme, ce chemin est international; mais, s'il y en a plusieurs, la servitude n'en exige qu'un, et, parmi ceux-ci, ne peut en réclamer qu'un, le plus court. A Suez, où il n'y a qu'un seul canal, la servitude de la communauté ne porte que sur celui-ci ; en Amérique où il y a trois principaux tracés possibles, Tehuantepec, Nicaragua, Panama, la servitude ne porte que sur un seul et, parmi ces trois, sur le plus court, celui de Panama, de sorte que les Etats-Unis conservent le droit d'avoir, par le Nicaragua, un canal national, du moment que les tiers peuvent constituer par le Panama, en toute liberté, un canal international.

VI. — LES LITIGES CANADIENS (1). Des sommets politiques où l'impérialisme attire aujourd'hui les Etats-Unis, soit à Cuba, soit aux Philippines, soit même aux Samoa, puis des grands intérêts économiques et statégiques, qui reposent sans la question du canal, les Etats-Unis sont obligés de descendre, avec le Canada, dans le terre-à-terre de questions plus simples, dont les proportions modestes contrastent avec ces problèmes de haute envergure. Ce ne son plus ces difficultés de premier ordre, à la solution desquelles l'avenir de toute une politique est liée, sur lesquelles se font les élections présidentielles et que la foule, sans toujours bien les connaître, agite avec la passion aveugle dont elle est coutumière. Il ne s'agit ici que de modestes affaires, où la grandeur de la nation n'est pas en jeu, d'intérêts secondaires et presque mesquins, de purs rapports de voisinage. Mais, pour être inférieurs, ils n'en sont pas moins absorbants. Si les contestations entre voisins roulent presque toujours sur des intérêts minimes, il n'en est pas moins vrai qu'elles sont généralement nombreuses, complexes, quotidiennes et par conséquent irritantes. Les litiges pendants entre l'Amérique et le Canada présentent tous ces caractères. Qu'on en juge par cette énumération des questions soumises à l'examen de la haute commission anglo-américaine qui, par mission des deux gouvernements intéressés, s'est efforcée de les régler, sans d'ailleurs y réussir. C'est d'après l'énumération officielle, la question des relations commerciales entre le Canada et les Etats-Unis, celles de la chasse pelagique, de la frontière de l'Alaska, de la réciprocité minière, des lois sur le travail étranger, des frontières du Sud et de l'Ouest, des pêcheries du

1 Sources: A Canadian liberal. Work of the Joint High Commission, dans la North American revier, mai 1899, vol. 160, n. 5. p. 614 et s. HORACE TOWNSEND, The Alaskan bondary question, dans the Fortnightly review, septembre 1899, p. 490 et s. P. T. M'Grath, The Atlantic fisheries question, dans The North Amer. rev, décembre 1898. vol. 167, a. 6, p. 723 et s. PROF. J. B. MOORE, The Alaskan boundary. dans The Sorth American review, vol. 169, n. 8, octobre 1899, p. 501 et 515 (avec une carte excellente).

Nord-Est, des pêcheries de l'intérieur, du privilège d'entrepôt, des droits de transit, de la transmission des prisonniers, de la construction des vaisseaux de guerre sur les lacs. Voilà les nombreux problèmes qui réclament aux portes de l'Union l'intervention d'une politique qui cherche au loin son champ de manœuvres et sur lesquels, dans une mesure que nous aurons à déterminer, le grand combat de l'impérialisme et du monroïsme, si modestes qu'ils soient, exerce cependant une influence et trouve encore un retentissement.

L'impérialisme et l'américanisme, ces deux tendances opposées de la politique américaine, ont chacune vis à vis du Canada des conséquences différentes. L'impérialisme, attiré par son ambition vers d'autres problè. mes, dédaigne ces questions presque domestiques, qui se traitent humblement à sa porte, sans combats, sans armées et surtout sans navires. De minimis non curat imperator. Repoussant la politique de l'isolement, car, seule, aucune nation ne peut espérer tenir le monde, il incline vers l'alliance anglaise, qui plaît à son programme de conquête universelle par un dessein identique, sans compter qu'elle attire les Américains par l'affinité physique d'un même sang et par les similitudes morales d'une même race. Ainsi porté vers l'impérialisme anglais, l'impérialisme américain n'a garde de mécontenter son aîné. Loin de chercher avec lui les sujets irritants, il faut les difficultés pour trouver entre eux deux un terrain d'entente. Plutôt que de compromettre l'alliance,il préférerait céder sur quelque point secondaire. Au lieu de manifester aucune intransigeance, il se montre, vis-à-vis de l'Angleterre, souple et conciliant. Le monroïsme au au contraire garde, mème vis-à-vis d'elle, l'attitude agressive qui est le propre de l'américanisme « celle du dogue devant sa mangeoire » (1), suivant la comparaison expressive des Américains eux mêmes. Désireux, non de courir le monde, mais de s'agrandir sur place, sans chercher fortune au loin, ce système convoite les terres voisines avec un âpre acharnement, tente tous les empiètements et jette, par tous moyens, les bases d'une annexion future avec lui l'entente est plus douteuse, la mauvaise fois plus probable, l'intransigeance plus opiniâtre.

En 1837 et en 1838, une insurrection canadienne d'une réelle gravité, qui nécessite l'envoi de lord Durham dans les provinces révoltées, provoque aux Etats-Unis plusieurs motions sur l'application de la doctrine de Monroe; mais la seule difficulté qui s'élève alors entre les Etats-Unis et le Canada ne roule que sur la saisie et la destruction du stemboat « Caroline » (2) employé sur le Saint-Laurent par les insurgés à la contrebande de guerre. Mais plus tard, quand à l'exemple des Etats-Unis, les différentes colonies anglaises du Canada, le Haut et le Bas Canada (Ontario et Québec), la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau Brunswick, l'île du Prince Edouard, le Manitoba et la Colombie Britannique, s'unissent avec la sanction du « British North American Act, 1867 », alors, inquiétés par cette agglomération qui cimente ses fragments à leur porte, les Etats

(1) PowEL, The war as a manifest destiny, dans Annals of the american academy of political and social science, XII, n. 2, sept. 98, p. 1.

(2) WOOLSEY, International law, § 163.

Unis se réfugient, plus ou moins exactement, dans la doctrine de Monroe. Une résolution introduite à la Chambre des représentants déclare « qu'une aussi vaste agglomération d'Etats américains, sur la base du principe monarchique est en contradiction avec les principes traditionnels des Etats-Unis et leurs plus importants intérêts » (1). Cette résolution ne fut pas votée. Elle ne pouvait l'être. Le pur monroïsme n'avait rien à reprendre à l'acte par lequel des colonies américaines réglaient spontanément leur condition réciproque, sans pression de l'Europe. Il n'en est pas moins vrai qu'à partir de ce moment les jingoïstes pensent au Canada. Avec la formule « l'Amérique aux Américains du Nord », le pseudomonroïsme les y pousse. Enfermées par les idées monroïstes dans l'Amérique, la force d'expansion des Etats-Unis et l'action de leur croissance se tournent du côté de la frontière canadienne. Une entente commerciale serait la préface d'une annexion, que le Canada redoute. En février 1889, la question d'une union douanière avec les Américains du Nord est agitée au parlement canadien. Un de ses membres, M. Richard Cartwright, non seulement appuie ce projet, mais encore demande qu'un ministre canadien soit envoyé à Washington, parce qu'un fonctionnaire britannique ne saurait défendre les intérêts du Canada. Le chef du gouvernement local, M. John Macdonald, fait prévaloir l'avis contraire « parceque, dit-il, l'Union commerciale serait un pas vers l'annexion, que les Canadiens ne désirent pas, préférant être indépendants » (2). L'opinion de Macdonald l'emporte; mais, depuis ce moment, l'idée d'une annexion du Canada travaille l'Amé rique et pousse le monroïsme à une attitude agressive vis-à-vis de l'Angleterre, dont il escompte déjà le départ.

pas

Toute politique annexionniste est nécessairement tracassière pour deux raisons d'abord, le dépit, très sot, mais très humain, de n'avoir pas encore eu satisfaction; ensuite la pensée que, las des vexations subies, le pays convoité demandera lui-même, pour y mettre fin, l'annexion que son rival désire. Ces deux motifs agissent à travers le monroïsme sur la politique fédérale vis-à-vis du Canada et donnent aux prétentions américaines un caractère des plus rigoureux, des plus ardents et des plus âpres, dans les nombreuses difficultés que le voisinage fait naître, chaque jour, entre les deux Etats.

La première est d'ordre économique. Quand en 1889 le Parlement du Dominion discutait l'envoi d'un délégué à Washington, pour y signer une union douanière, il sentait fortement dans quelle étroite dépendance, au point de vue commercial, le Canada se trouvait vis-à-vis des Etats-Unis (3). Les statistiques les plus récentes sont, à cet égard, accablantes. Tandis que l'exportation des Etats-Unis, pour 1898, dans l'Amérique du Sud, le Mexique, l'Amérique centrale et les Indes, c'est-à-dire pour plus de 54.000.000 d'habitants, monte à $ 86.786.000, l'exportation des Etats-Unis au Canada, pour une population dix fois moindre, 5.500.000 habitants, et pour la même

(1) CREAST, First platform of the international law, p. 161.

(2) CESPEDES, La doctrina de Monroe, p. 496,

(3) A Canadian, Work of the joint high commission, dans la North american review, mai 1899. p. 615, 616 et s.

« PreviousContinue »