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année, s'élève presque exactement au même chiffre, avec $ 86.537.000. La même année, d'après les statistiques américaines, l'exportation du Canada aux Etats-Unis s'élève à $ 35.460.000, soit une balance de commerce de plus de quarante millions de dollars en faveur des Etats-Unis contre le Canada. Pour tirer du Canada le même revenu que le Canada tire de leurs marchandises, les Etats-Unis ont surélevé leurs droits. La moyenne des taxes canadiennes sur l'importation totale des Etats-Unis s'élève à 12,05 p. cent (25,4 sur l'importation imposable), pour 1898, tandis que la moyenne des taxes américaines sur les importations du Canada monte, pour la même année, à 24,78 p. cent (49,20 sur l'importation imposable). Les tarifs américains sont donc pour la même année, deux fois plus lourds que les tarifs canadiens. Aussi, tandis qu'en 1898, le Canada exporte aux autres contrées, notamment à la Grande-Bretagne, 77.516.000 dollars de produit sagricoles, il n'en envoie aux Etats-Unis que 5.326.000 dollars. Or, on a calculé que les Etats-Unis, en 1898, avaient importé pour 35.000.000 de dollars de produits manufacturés, soit 6.000.000 de plus que la Grande-Bretagne; de ces 35 millions, il est probable, d'après les mêmes calculs, que 20 millions ont été consommés par la population agricole, que le tarif prohibitif des Etats-Unis empêche de retourner à l'Union pour plus de 5.326.000 dollars de ses propres produits. Les importations de tous pays au Canada, pour 1898, atteignent $23,75 par tête, tandis que les importations au Canada des Etats-Unis montent à $ 14,25. Ces chiffres sont significatifs. Ils montrent combien il est nécessaire, pour le Canada, d'obtenir de meilleures conditions dans leurs relations de commerce avec les Etats-Unis.

Dès le début de leurs opérations, les membres canadiens de la « Joint high commission » abordèrent la question avec le sincère désir de faire toutes les concessions possibles pour améliorer cette situation imparfaite. Mais, du côté des commissaires américains, la bonne volonté n'était pas si grande, tant à cause du sentiment opposé de l'opinion publique qu'à raison de l'hostilité du Sénat américain, dont les tendances hautement protectionnistes ne permettaient guère d'espérer la ratification d'un abais sement quelconque du tarif douanier. Les commissaires canadiens, désireux d'assurer l'allègement des produits agricoles pour lesquels le fermier canadien peut trouver un marché rémunérateur aux Etats-Unis ; essayaient de lui permettre l'échange de ces produits avec les richesses minières et manufacturières de l'Est, dans les mêmes conditions que la Colombie britannique échange les siennes avec les produits agricoles de l'Ouest ; mais les commissaires américains se refusaient absolument à souffrir, sur les marchés de l'Union, la concurrence des fermiers canadiens, sauf pour quelques articles sans importance. Pourtant, les Etats-Unis auraient pu tenir compte de ce fait que, depuis plusieurs années, le fermier canadien cesse de plus en plus, grâce à la perfection des moyens de transport pour le beurre, les œufs, le fromage, les fruits, d'ètre sous la dépendance des marchés américains, comme le prouve le chiffre de ses exportations agri. coles, quatorze fois plus grand pour l'Angleterre (77.516.000) que pour les Etats-Unis (5.326.000 dollars). S'inspirant de ces chiffres, les commissaires américains auraient pu se demander si, par la fermeture de leur marché,

les Etats-Unis n'étaient pas en voie de compromettre eux-mêmes leur propre intérêt commercial. Mais un américanisme égoïste exigeait qu'ils fissent sentir au Canada les inconvénients d'un régime politique, qui le laisse sous la dépendance de l'Angleterre, c'est-à-dire de l'Europe, contrairement au principe que l'Amérique doit être américaine, et en dehors des «Stars and Strips » (étoiles et raies) (1), contrairement à la formule de Polk: L'Amérique du Nord aux Etats-Unis.

Tandis que l'américanisme impose durement au Canada son bon plaisir économique, pour l'amener sous sa loi politique ou tout au moins pour le punir de n'y pas être, le Canada se venge sur d'autres points des sévérités draconiennes d'un monroïsme exagéré, dénaturé par l'ambition et corrompu par l'orgueil. Les Etats-Unis frappent ses fermiers ; il frappera leurs pêcheurs sur la côte du Pacifique, en refusant d'accepter les règlements américains relatifs à la chasse des phoques à fourrure, sur la côte de l'Atlantique, en les empêchant de s'approvisionner de boette à TerreNeuve. En apparence en vertu d'un droit propre, en réalité à titre de représailles, le Canada soulève ainsi deux questions nouvelles, intimement liées à la première, de sorte que la commission anglo-américaine, chargée de régler le premier point, s'est par cela même trouvée saisie des deux autres.

Comment le Canada peut-il, dans la chasse des phoques à fourrure, trouver matière à quelque conflit? Est-ce que cette question n'a pas été souverainement tranchée, le 15 août 1893, par jugement d'un tribunal arbitral, constitué spécialement dans ce but, à Paris, sous la présidence du baron de Courcel (2)? Si la sentence reconnaissait aux Anglais, c'est-àdire aux Canadiens, le droit de chasser les phoques dans la mer de Behring, à trois milles des côtes, elle établissait, en vertu d'un pouvoir spécialement donné aux arbitres (3), un règlement d'après lequel les navires devaient se munir d'une licence spéciale et d'un pavillon distinctif, s'abstenir de toute chasse pendant une close season, instituée du 1er mai au 31 juillet dans la mer de Behring et le Pacifique Nord, respecter autour des iles Pribiloff, centre de reproduction des phoques, une zone fermée de soixante milles géographiques, enfin ne faire usage ni d'armes à feu, ni d'explosifs, ni de filets, ni même de bateaux à vapeur. Ce règlement était en vigueur pour une période de cinq ans. Mais, sur l'opposition du Canada, mécontent de ces restrictions, plus désireux de tuer les phoques que de ménager le troupeau américain des Pribiloff, l'Angleterre trouve moyen de retarder jusqu'en fin février 1894 la mise en vigueur du règlement arbitral (4). Les arbitres avaient recommandé, pour la conservation de l'espèce, sans cependant l'ordonner, que la poursuite des phoques fùt provisoirement, pendant deux ou trois ans, suspendue dans la mer de Behring. Les Etats-Unis le proposaient, le Canada refuse ou plus exacte

(1) C'est le drapeau de l'Union.

(2) Livre jaune, Affaires de Behring, 1893.

(3) Renault, Une nouvelle mission donnée aux arbitres, dans la Rev. génér, de dr. intern. publc, I. 1894, p, 44 et s.

(4) Engelhardt, La question des phoques de Behring, dans la Rev. de dr. intern. publ, 1898, V. p. 204.

REVUE DU DROIT PUBLIC.

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ment fait refuser l'Angleterre. Les premiers résultats du nouveau régime ayant été très insuffisants, les Etats-Unis proposent d'en compléter les effets en l'étendant jusqu'à la côte asiatique. La Russie, le Japon y consentent. Le Foreign Office refuse, par un memorandum du 4 janvier 1894. Mais la Grande-Bretagne n'était ici que l'organe complaisant du Dominion. Insistant pour traiter directement la question avec les Etats-Unis, refusant, malgré tous leurs efforts, la mise en cause de la Russie et du Japon, le Dominion voulait étrangler les propositions américaines, dans une conférence technique d'experts, naturalistes ou statisticiens, et ily réussit. Les quatre commissaires (2 pour les Etats-Unis, 1 pour l'Angleterre, 1 pour le Canada) réunis à Washington dans les premiers jours de novembre 1897 se bornèrent à constater que le troupeau des Pribiloff avait diminué d'année en année de 1894 à 1837; que si l'espèce n'était pas menacée d'une destruction biologique, elle l'était d'une extermination commerciale et, se prévalant de leur compétence toute technique, pour éviter d'entrer dans les vues américaines, ils refusaient d'élargir et complèter le règlement de 1893. Les choses en étaient là quand, en 1898, la haute commission mixte a pris en main le litige avec tous ceux des Etats-Unis et du Canada. En acceptant de lier cette question aux autres, le Canada montrait la vraie raison de son attitude. Aux Etats-Unis, qui prétendaient le vexer par des tarifs draconiens, le Canada ripostait en refusant, à bon droit d'ailleurs, puisqu'il était dans les termes stricts de l'arbitrage, toutes les complaisances que les Etats-Unis réclamaient et dont le caractère de profonde utilité sociale n'altéraient pas cependant, à raison du jugement de 1893, la nature de purs actes d'obligeances,

Pour tirer vengence des tarifs américains, le Canada garde encore une seconde ressource. C'est d'empêcher les Américains d'exercer la pêche sur la côte nord-est (1). Comment cela ? Pour le comprendre, il faut d'abord observer que pour prendre dans ces parages les poissons habituels, morue, flétan (halibut), églefin et maquereau, les pêcheurs américains doivent se procurer de l'appåt, ou boette (bait), avec des harengs et autres petits poissons, qui se trouvent, non pas comme les autres, au large, en eau profonde, mais près des côtes de Terre-Neuve. Pour s'approvisionner, les pêcheurs américains échelonnés le long de la côte du Massachusetts, ayant Gloucester pour port et 400 vaisseaux, dont 300 ne pêchent qu'à la boette, sont obligés d'aller, dès le mois de janvier, mais surtout à partir de mars, chercher leur appât dans les eaux territoriales de Terre Neuve. Ils s'y rencontrent avec des Canadiens, qui, étant sujets britanniques, ont un droit de pêche, avec des Français qui tiennent le leur du traité d'Utrecht (1713); quant à eux, dont le droit ne se fonde ni sur leur nationalité, ni sur un traité de cession, ils ont simplement, aux termes d'un modus vivendi signé à Washington en 1888 la permission d'entrer dans les eaux et de chercher la boette, moyennant un droit de $ 1,50 par tonne. Mais en 1890, Terre Neuve préfère substituer à ce système qui lui rapportait

(1) T. M. GRATH, The Atlantic fisheries question, dans the North amer. rev., dèc. 1898, p. 728 et s.

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15.000 dollars par an, la concession irrévocable du droit de prendre la boette, moyennant la libre entrée des morues de Terre-Neuve sur le marché fédéral. Cette proposition, favorablement accueillie par les Américains fut acceptée dans un traité signé par le secrétaire d'Etat, Blaine, pour les Etats-Unis, et M. Bond, secrétaire colonial, pour l'île. C'est alors que le Dominion entre en scène pour empêcher la Grande-Bretagne de donner à cet acte sa ratification. Les Canadiens prétendent que, sujets anglais, ils ont, dans les eaux de Terre-Neuve, comme tous les sujets britanniques, un droit de pêche exclusif dont le parlement de Terre-Neuve ne peut les priver, en accordant des licences aux pêcheurs étrangers. Ou sinon, que le Canada soit, en retour, associé aux avantages de TerreNeuve qu'il ait, lui aussi, la libre entrée de sa pêche sur le marché fédéral. Moyennant quoi le Dominion retirera son opposition. Mais tandis que les Terre-Neuviens, fournisseurs de l'Europe et du Labrador, écartés des EtatsUnis par leur situation géographique, n'y peuvent apporter que peu de poisson, le Canada, plus proche, plus riche en poissons, ferait aux EtatsUnis sur leur propre marché une concurrence désastreuse. Si les Américains veulent librement prendre la boette au prix qu'exige l'opposition canadienne, ils perdent ainsi le monopole de leur vente, puisqu'en aug. mentant la production ils augmenteraient la concurrence, concurrence d'autant plus redoutable que le Canada a plus près de lui des eaux de pêche meilleures, et que les vaisseaux, leur armement et les engins de pêche coûtent un tiers plus cher (par saison et par navire 15.000 dollars) aux Américains qu'aux Canadiens (par saison et par navire 10.000 dollars). Ouvrir la porte au poisson canadien, c'est compromettre gravement les 20 millions de dollars que tous les ans apportent à l'Union. ses pêcheries de l'Atlantique. Voilà pourquoi les Etats-Unis refusent les propositions inacceptables du Canada. Du même coup, vis-à-vis de TerreNeuve, leur situation est compromise, car, si l'île ne peut leur céder le droit d'appåter dans ses eaux moyennant le libre accès douanier, elle ne le peut pas d'avantage moyennant 15.000 dollars de licence. Il faut que le Canada cède ou que les pêcheries américaines de l'Atlantique disparaissent. Que si le Canada devait rester intraitable, il y aurait bien une solution, qui consisterait à acquérir des Français le droit qu'ils tiennent du traité d'Utrecht et dont l'attitude terre-neuvienne rend de plus en plus le maintien difficile. Un des hommes les mieux renseignés sur ces questions, le directeur du Herald, de St-Jean (Terre-Neuve) écrivait, en décembre 1898, que le Canada ne continuerait pas son obstruction quand les Etats-Unis céderaient sur un des autres points, par exemple sur la question générale des tarifs douaniers. Mais la commission mixte s'est dissoute sans aboutir. Si les négociations ne sont pas reprises, la marine de pêche, pépinière d'hommes pour la marine marchande et la marine de guerre, va se trouver compromise. Ici, c'est avec elle l'impérialisme, dont elle est un des fondements, qui se trouve engagée dans le conflit. Le monroïsme intransigeant, qui veut obliger le Canada à se tourner en suppliant vers les Etats-Unis, se heurte ainsi dans l'enchaînement de ses conséquences à l'impérialisme. Loin d'implorer l'union douanière,

préface d'un protectorat ou d'une annexion, le Canada, qui lutte obstinément contre les brutales conditions de l'hégémonie américaine, a trouvé là le défaut de cette politique absorbante et le moyen de la faire céder à brève échéance. Ce ne peut être qu'une question de temps, car le pseudo-monroïsme qui rêve l'hégémonie, doctrine de mensonge et de force, n'est pas mûr pour entrer ouvertement dans les programmes de l'Union.

Mais si le pseudo-monroïsme, avec sa formule de dictature : « l'Amérique à l'Union » n'est pas capable de résister à la volonté du Canada, soutenue par la puissance de l'Angleterre, alors que l'impérialisme, avec la raison de la marine, le sape en dessous, du moins le vrai monroïsme a encore assez de force pour empêcher l'accord que l'impérialisme a hâte de conclure. Si la commission américo-canadienne s'est séparée sans aboutir, c'est en deux mots, parce que le pur monroïsme, celui de 1823, pris dans toute la certitude de son principe, s'est opposé au règlement simple et décisif de la question maîtresse soumise à l'examen des commissaires : celle des frontières de l'Alaska (1).

Quelles sont, d'abord, les origines de cette question? Un peu lointaines, elles remontent au traité par lequel, en 1825, la Grande-Bretagne, qui possédait le Canada, et la Russie, qui venait de prendre l'Alaska, se délimitèrent. Le territoire, peuplé d'Indiens, était, sauf sur la côte, à peine exploré. Très probablement le traité de limites fut basé sur des vieilles cartes dressées par Vancouver au xvII° siècle. Aussi les indications de ce traité sont-elles pleines d'erreurs. Elles se réfèrent à des canaux, qui ne portent pas le nom indiqué, à des montagnes qui n'existent pas à la place où les cartes les mentionnent. Deux points seulement sont certains, celuici que la frontiére orientale de l'Alaska doit suivre le 14° degré de longitude ouest et que les possessions russes doivent s'étendre au midi jusqu'à l'extrême pointe sud de l'île du Prince-de-Galles. Confirmé par le traité de commerce, qui suivit la guerre de Crimée, maintenu par le traité de 1867, qui met les Etats-Unis aux droits de la Russie, sans naturellement modifier ceux-ci, le texte de 1825 fait loi. Mais ses art. 3 et 4, qui règlent notre question, ne sont malheureusement pas clairs. Art. 3: « La ligne de démarcation entre les possessions des Hautes Parties contractantes sur la côte du continent et les îles de l'Amérique nord-ouest, sera tracée ainsi qu'il suit: A partir du point le plus méridional de l'île dite Prince-de-Galles, lequel point se trouve sur la parallèle du 54° degré 40 minutes de latitude nord, et entre le 131° et le 133 degré de longitude ouest (méridien de Greenwich) ladite ligne remontera au nord le long de la passe dite Portland Channel jusqu'au point de la terre ferme où elle atteint le 56° degré de latitude nord; de ce dernier point la ligne de démarcation suivra la crète des montagnes situées parallèlement à la côte, jusqu'au point d'intersection du 141 degré de longitude Ouest (mème méridien) et finalement, dudit point d'intersection, la même ligne méridienne du 141° degré formera,

(1) HORACE TOWNSEND. The Alaskan Canadary question, dans Fornightly review, sept. 1899, p. 490 et s. J. B. MOORE, The Alaskan Canadary, dans The North american -review, oct. 1899, p. 501-515.

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