Page images
PDF
EPUB

que concédait le texte du projet. Aussi M. Cooreman, ministre de l'industrie et du travail, présenta un nouveau texte précisant mieux la nature et l'objet de la délégation accordée au gouvernement et établissant certaines garanties. D'après la loi nouvelle, le gouvernement est autorisé à prescrire aux patrons et aux ouvriers les mesures propres à assurer la salubrité des ateliers ou du travail et la sécurité des ouvriers dans toutes entreprises industrielles et commerciales dont l'exploitation présente des dangers, à l'exception toutefois des entreprises où le patron ne travaille qu'avec des membres de sa famille habitant chez lui, ou avec des domestiques ou gens de maison. Il peut prescrire la déclaration des accidents de travail qui surviennent dans ces entreprises. Toutefois il ne pourra exercer ses pouvoirs que par voie d'arrêtés généraux, s'appliquant uniformément à tous les ateliers d'une mème catégorie. De plus il devra, avant de prescrire des mesures de sécurité ou de salubrité, prendre l'avis des conseils de l'industrie et du travail, des députations permanentes et du conseil supérieur d'hygiène publique. Cependant l'avis de cette dernière assemblée peut être remplacé par celui de l'Académie de médecine ou du conseil supérieur du travail.

5. LOI ÉLECTORALE. PREMIÈRE CRISE MINISTÉRIELLE. Depuis plusieurs années déjà la nécessité se faisait sentir de plus en plus pressante de modifier un point important de notre législation électorale: la répartition des sièges.

Depuis 1831, nous vivions sous un système empirique que personne n'avait jamais défendu et auquel aucun gouvernement n'osait toucher, par crainte d'être accusé par ses adversaires de tenter un odieux coup de parti. La division des circonscriptions électorales, abandonnée aux autorités provinciales, avait été tracée dans les diverses provinces d'après les vues les plus divergentes. Telles provinces riches et peuplées comme le Brabant n'avaient été découpées qu'en trois grands arrondissements, tandis que d'autres plus pauvres et peu habitées avaient multiplié les petites circonscriptions. Et nos députés étaient élus tantôt au scrutin de liste, tantôt au scrutin uninominal. Ce système n'offrait pas à l'origine de trop graves inconvénients en 1831 le collège électoral de Bruxelles n'élisait que 7 députés, celui de Gand 6, ceux d'Anvers et de Liège chacun 4. Mais depuis lors, grâce à la concentration des populations dans les grandes villes et dans les centres industriels, chaque recensement amenait le législateur à augmenter le nombre des députés des grandes circonscriptions, tandis que les petits arrondissements ruraux dont la population restait à peu près stationnaire, continuaient à n'élire qu'un ou deux représentants. Aujourd'hui l'arrondissement de Bruxelles a dix-huit députés, Liège et Anvers en élisent chacun onze, Gand neuf, Charleroi huit ; et ces chiffres seront encore augmentés au prochain recensement. Et d'un autre côté neufs arrondissements ne sont représentés à la Chambre que par un député, neuf autres par deux députés.

M. Beernaert, le chef éminent du parti catholique qui avait réalisé la grande œuvre de la revision constitutionnelle, avait voulu entreprendre de

mettre fin à cette répartition illogique et dangereuse. Il offrit au Parlement une solution qui écartait toute idée de tricherie électorale : la représentation proportionnelle. Mais après avoir obtenu de la Chambre constituante une modification à un texte constitutionnel qui aurait pu dans une certaine mesure gêner l'application de cette réforme, il vit le projet de loi qu'il avait déposé, rejeté par les sections. Et ce fut l'occasion qui amena en 1894 sa retraite. Depuis lors les divers ministres qui lui avaient succédé, avaient ajourné toute solution à cause des divergences profondes que soulevait la question au sein de la majorité, comme d'ailleurs au sein de tous les partis. En dehors de quelques beati possidentes personne ne soutenait le maintien du statu quo. La représentation proportionnelle comptait des adhérents fidèles sur les bancs de la droite M. Beernaert, M. Nyssens, ministre de l'industrie et du travail, le banc de Bruxelles, les démocrates chrétiens; le petit groupe progressiste; et les hommes les plus éminents de la gauche socialiste MM. Van der Velde, Anseele, Denis, Bertrand ne cachaient pas leurs sympathies pour ce système. Mais il avait contre lui la majorité de la droite, guidée par MM. Wæste et Helleputte qui ne cessaient de la combattre avec l'ardeur la plus tenace, et une partie du groupe socialiste conduite par MM. Defuisseaux. A droite les uns auraient voulu procéder à la division, au « découpage » des grands arrondissements; d'autres plus logiques et plus radicaux voulaient étendre à toute la Belgique le régime du scrutin uninominal. Ce système préconisé surtout par M. Helleputte et quelques députés de la Campine avait été longtemps considéré comme n'ayant aucune chance d'aboutir. Mais dans le courant de décembre 1898 les hommes politiques s'aperçurent que le petit groupe des partisans du scrutin uninominal avait fait boule de neige, et entamait une propagande assidue sur les bancs de la droite. Il avait acquis l'adhésion au moins passive de M. Waste et bientôt on voyait des ministres, notamment MM. Van den Peereboom et Schollaert, lui donner ouvertement et de la manière la plus active leur appui. L'opinion publique ne prêtait d'abord aucune attention à cette campagne qui restait confinée dans l'enceinte parlementaire; on savait que les deux ministres les plus populaires, ceux qui s'étaient distingués par leur esprit d'initiative et de progrès, MM. de Smet de Nayer et Nyssens, lui étaient résolument hostiles. Mais voici qu'on apprenait que le Roi lui-même encourageait ses ministres à présenter un projet établissant le scrutin uninominal, et les bruits de crise ministérielle prenaient de plus en plus de consistance. Toutes ces nouvelles inattendues soulevaient dans le pays et surtout dans le parti catholique le plus vif émoi; les grandes associations conservatrices se réunissaient pour protester contre les projets annoncés. Le professeur de droit public à l'Université de Louvain, M. Van den Heuvel, abandonnait un moment ses occupations · habituelles pour montrer dans une brochure alerte et vive, avec l'autorité de sa science, les graves dangers que ferait courir au pays et au parti conservateur l'introduction du scrutin uninominal. Les opposants durent croire un instant leur cause perdue : le 20 janvier la démission de MM. de Smet de Naeyer et Nyssens devint certaine et le 23 les journaux annonçaient qu'ils étaient remplacés par les deux protagonistes du scrutin uni

nominal MM. Helleputte et de Broqueville. Mais le lendemain matin le Moniteur Officiel annonçait la nomination de M. Liebaert comme ministre des finances et de M. Cooreman comme ministre de l'industrie et du travail, tandis que M. Van den Peereboom succédait à M. de Smet de Naeyer en qualité de chef du Cabinet.

Ce fut une stupéfaction générale. M. Liebaert était connu comme un adversaire décidé du régime uninominal, M. Cooreman était un des viceprésidents de l'Association pour la représentation proportionnelle. Ceux qui espéraient trouver dans la déclaration ministérielle le mot de l'énigme furent complètement déçus. M. Van den Peereboom se contenta d'annoncer qu'« à la suite d'un dissentiment au sein du gouvernement au sujet d'une question importante relative à la législation électorale », le Roi avait accepté la démission de MM. de Smet de Naeyer et Nyssens. Il ajoutait que le nouveau ministère continuerait « à suivre la politique du « gouvernement précédent et qu'un de ses premiers soins serait après « mùr examen, de saisir la Chambre d'un projet de réforme électorale ». Rien ne put faire sortir le nouveau chef du Cabinet, ni ses collègues de leur silence sur leurs projets. Ni les déclarations de MM. de Smet de Naeyer et Nyssens qui tinrent à affirmer « de la manière la plus nette « qu'ils avaient quitté le pouvoir à cause de la formule du scrutin unino<«minal » qu'on voulait leur imposer et parce qu'ils avaient jugé ne pouvoir s'associer à une politique qui en consacrait le principe » ; ni les demandes d'explications venues de droite comme de gauche, ne purent amener d'autre déclaration que celle-ci e le gouvernement ne s'est pas a constitué sur une formule déterminée; il examinera quel sera le «tème à présenter à la législature, sans en avoir arrêté aucun pour le

moment ».

:

sys

Cette attitude ambiguë du nouveau ministère ne manqua pas de donner naissance aux racontars les plus fantaisistes sur les causes de la crise ministérielle. Cependant les déclarations nettes et catégoriques des deux ministres démissionnaires et les renseignements précis pris aux sources les plus sûres ne permettent pas de douter que la question du scrutin uninominal est la seule qui ait provoqué un dissentiment formel et positif entre les membres de l'ancien Cabinet et que MM. de Smet et Nyssens ont abandonné leurs portefeuilles, parce qu'ils ne voulaient pas suivre sur ce point l'avis du Roi et de la majorité de leurs collègues. Mais comment le nouveau gouvernement n'annonçait-il pas un projet de scrutin uninominal? Il est fort difficile de savoir exactement ce qui se passa dans ces circonstances. D'après la version qui parut dès l'abord la plus probable et que les événements postérieurs ont confirmé, M. Van den Peereboom aurait accepté la mission de reconstituer un nouveau ministère, ayant comme premier point de son programme l'établissement du scrutin uninominal. Mais l'intense mouvement d'opposition qui se manifesta spontanément et subitement dans le parti catholique, leur fit comprendre clairement qu'il allait courir à un échec certain. Dans la nuit du 22 au 23 janvier changeant résolument son fusil d'épaule, il abandonnait les négociations déjà très avancées avec MM. Helleputte et de Broqueville et demandait le concours

de MM. Liebaert et Cooreman. Cependant il ne voulait pas rompre immédiatement et publiquement avec les partisans du scrutin uninominal, auxquels. il venait de donner tant d'encouragements et d'espérances. Il préférait ajourner la solution jusqu'après une nouvelle étude de la question. Pour obtenir d'ailleurs quelque répit, il annonçait qu'il inviterait les membres de la majorité à venir conférer avec lui par petits groupes de quinze à vingt membres. Les députés qui se rendirent plus tard à ces convocations, curieux d'y recueillir au moins quelques indications sur les intentions toujours cachées du gouvernement, revinrent sans avoir rien appris. Le ministre invitait les députés à donner leurs avis, mais restait absolument muet sur ses propres projets; il fut bientôt évident que ces conférences n'aboutiraient à aucun résultat.

Cependant vers la fin du mois de février, le bruit se répandit que le gouvernement allait présenter un projet appliquant dans une mesure restreinte la représentation proportionnelle. Les doutes ne tardèrent pas à être levés, lorsqu'on vit M. Woeste, l'adversaire infatigable de cette réforme, l'ami et le soutien de M. Van den Peereboom, se retourner contre celui-ci et saisir les moindres occasions pour lui adresser des critiques de plus en plus vives devant le Parlement. A la rentrée des Chambres après le court congé de Pâques le ministre de l'intérieur M. Schollaert déposa un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs et des représentants dans les grands arrondissements.

6. PROJET DE REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE RESTREINTE. Ce projet maintenait l'ancien système de l'élection à la majorité absolue dans tous les arrondissements élisant moins de six représentants et de trois sénateurs. Il n'appliquait donc en réalité la représentation proportionnelle qu'aux arrondissements de Bruxelles, Anvers, Gand, Liège, Charleroi, Mons et Louvain élisant ensemble 69 députés sur 152. Dans ces grandes circonscriptions, la représentation proportionnelle était organisée de la manière suivante: n'étaient admises à la répartition des sièges que les listes dont le chiffre électoral atteignait le sixième du total des votes valables; ce chiffre électoral de chaque liste était formé par l'addition des votes valables ne contenant de suffrages qu'en faveur de cette liste seule ou d'un ou de plusieurs de ses candidats; le quotient électoral était formé en divisant par le nombre de membres à élire le total des chiffres électoraux des listes admises à la répartition des sièges; la répartition entre ces listes devait s'opérer en attribuant à chacune d'elles autant de sièges que son chiffre électoral comprenait de fois entièrement ce quotient; et comme les excédents inévitables de chaque liste devaient laisser inévitablement un ou plusieurs sièges sans attribution. la loi les accordait à la liste ayant obtenu le plus de voix. Dans chaque liste les mandats étaient successivement conféres aux candidats d'après le chiffre de suffrages qu'ils avaient personnellement recueilli et, parmi les non élus les trois candidats les plus favorisés étaient députés ou sénateurs suppléants et chargés éventuellement d'achever les mandats des députés ou sénateurs élus.

Le projet gouvernemental reçut un accueil peu encourageant. A droite,

certains anti-proportionnalistes l'acceptaient par résignation, tandis que M. Woeste, adversaire intraitable de la représentation proportionnelle, le déclarait « indéfendable» et se préparait à l'attaquer avec toute la vigueur et l'énergie de son talent; les proportionnalistes se disposaient à le voter sans enthousiasme, et uniquement parce qu'ils se flattaient de trouver dans la future Chambre une majorité pour établir la représentation proportionnelle intégrale. Mais à gauche, proportionnalistes et anti-proportionnalistes, libéraux modérés, progressistes, radicaux, socialistes, jetaient feu et flamme contre le gouvernement et accusaient celui-ci de vouloir fausser la sincérité du régime représentatif. Vous maintenez, disaient-ils, le régime majoritaire dans les petits arrondissements où presque partout la majorité vous est acquise, pour l'appliquer aux grandes circonscriptions dans lesquelles vous êtes réduits à l'état de minorité perpétuelle, comme à Liège, Mons et Charleroi, ou dans lesquelles vos majorités ne sont qu'accidentelles comme à Bruxelles, ou pas assurées comme à Anvers et Gand. Vous assurez par là votre domination exclusive; vous prenez votre part de mandats là où vous êtes ou risquez d'être en minorité, vous ne laissez aucun siège à vos adversaires là où vous êtes majorité. Toute espérance d'arriver à conquérir la majorité parlementaire est fermée aux partis de gauche, d'autant plus que vous favorisez encore votre propre parti en attribuant les sièges non répartis par la première distribution au groupe le plus puissant.

Cette argumentation était de nature à frapper l'opinion publique qui toujours en Belgique s'est montrée très rebelle à ce qu'elle considérait comme un coup de parti. Les députés proportionnalistes de droite insis taient vivement pour obtenir une application plus étendue de la représentation proportionnelle et espéraient obtenir des concessions sérieuses. Mais le gouvernement, croyant le pays calme et paisible malgré les excitations du parti socialiste et de la presse libérale maintint sans aucune modification ses propositions et le 23 juin il demanda de mettre la discussion de son projet à l'ordre du jour de la Chambre.

Ce fut le signal de scènes de désordre telles que notre Parlement n'en avait pas encore vues. Tandis que la gauche libérale et progressiste du Sénat comme de la Chambre annonçait sa volonté de ne prendre aucune part à la délibération d'un projet qui n'était qu'un coup de parti, les socialistes proclamaient leur intention de s'opposer par tous les moyens à la discussion. Et à peine la Chambre eût-elle décidé le 27 juin d'aborder le 5 juillet suivant le débat sur le projet de loi électorale, qu'ils montraient leur volonté bien arrêtée d'entraver absolument les travaux parlementaires. Non contents de soulever incidents sur incidents, de lancer injures sur injures aux ministres et aux députés de la droite, ils voulurent couvrir, par des cris, des sifflets, des trompettes même qu'ils apportaient à la Chambre la voix des orateurs. Voici comment le compte rendu analytique, publié par la Chambre même, expose la fin de la séance du 27 juin : « Budget des chemins de fer. - Reprise de la discussion générale. M. Renkin « s'efforce de se faire entendre au milieu d'un vacarme assourdissant. « M. Furnémont s'installe au pied de la tribune et parle en même temps

« PreviousContinue »