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ANALYSES ET COMPTES RENDUS

Il governo locale inglese e le sui relazioni con la vita nazionale (Le gouvernement local anglais et ses relations avec la vie nationale), par PIETRO BERTOLINI, Turin, Fratelli Bocca, 1899, 2 vol.

L'une des caractéristiques les plus remarquables de l'universalité d'un droit réside dans la nature cosmopolite des littératures qui en font l'objet de leurs études.

Chaque nation civilisée vante le tribut apporté par ses plus éminents écrivains à l'étude du droit romain. Et comme, dans le domaine du droit public, l'Angleterre occupe la même place que Rome dans le domaine du droit privé, il s'ensuit que le droit public anglais est devenu le patrimoine de toutes les nations civilisées qui toutes en ont fait le sujet de travaux excellents.

Depuis l'époque de sa renaissance nationale (qui a déterminé aussi une période nouvelle de vie scientifique), l'Italie avait aussi vu naître une petite, mais remarquable littérature spéciale d'études sur le droit public anglais. Le récent travail de M. Bertolini est digne d'y figurer avec grand honneur, non seulement au point de vue de la littérature italienne sur la constitution anglaise, mais aussi au point de vue de la littérature italienne en général. Il prend place dans la catégorie encore restreinte des travaux faits exclusivement de première main. On n'y rencontre, oserais-je dire, ni une page, ni une ligne qui ne découle directement d'une source anglaise lois, discussions et documents parlementaires, statistiques, rapports, articles de ces célèbres revues anglaises dans lesquelles chaque réforme un peu importante se manifeste, s'élabore et, finalement, s'impose.

Il est facile de comprendre qu'une matière aussi vaste, aussi complexe, ayant des rapports si variés et si intimes avec les problèmes les plus graves de la politique et du droit, se soit prêtée à une égale variété dans les méthodes et les systèmes employés pour son étude. Et cette variété se rencontre en ce qui concerne la préférence donnée à telle ou telle partie des institutions anglaises. A ce point de vue même, on rencontre dès l'abord un courant double et opposé. Reprenant la comparaison connue de la constitution anglaise avec un arbre séculaire solidement assis sur ses profondes racines, nous voyons l'un particulièrement séduit par la partie extérieure, par ce tronc imposant éprouvé par les tempêtes, riche en robustes rameaux couverts de feuilles verdoyantes; l'autre, au contraire, a trouvé d'un intérêt bien supérieur l'étude des racines dans leurs ramifications compliquées, dans leur savante distribution, et l'enthousiasme s'accroissait avec la ténuité de la racine que le microscope du chercheur arrivait à découvrir.

Certes, l'une et l'autre études sont, en elles-mêmes, utiles: mais, comme il arrive souvent, la partialité pour le sujet choisi et pour le point de vue propre a conduit à en exagérer l'importance non seulement absolue, mais surtout relative. C'est ce qui s'est produit dans le sujet que nous traitons. Non seulement les premiers écrivains qui l'ont étudiée, mais aussi quelques-uns parmi les

modernes ont été principalement frappés par la majesté extérieure de la constitution anglaise, et ont été ainsi conduits à attribuer sa force et sa grandeur à l'équilibre des grands pouvoirs de l'Etat, au mécanisme de chacun d'eux, à la manière savante dont sont réglées les attributions du cabinet, à l'organisation des grands partis politiques. Les autres ont préféré tout rapporter aux causes, et celles-ci leur ont paru d'autant plus efficaces qu'elles étaient plus cachées ; et ils ont trouvé la raison intime des lumineux progrès de l'ordonnancement constitutionnel dans le mode de formation et d'action du gouvernement local, de ce << self government » dont le sens intime est si difficilement apprécié par nous autres continentaux et, finalement, dans l'éducation politique de la classe dirigeante dont l'action est même moins influente dans l'exercice du mandat politique que dans la fonction quotidienne de juge de paix comme magistrat et administrateur local.

On pourrait croire que M. Bertolini appartient à cette seconde catégorie d'auteurs, puisque le thème choisi par lui est, justement, celui du gouvernement local. Mais la vérité est qu'il n'y a là qu'une simple question de détermination de thème; l'auteur ne lui attribue pas une importance exagérée, et il me semble mème qu'il ait trouvé le juste milieu entre les exagérations extrêmes. Il considère les institutions locales anglaises comme un puissant facteur du développement politique et économique de l'Angleterre, mais, en même temps, il attribue une haute valeur aux considérations politiques et sociales auxquelles il attribue la détermination des principales réformes de l'ordonnancement local. Cette manière équitable d'envisager son propre sujet doit certainement être attribuée à ce parfait équilibre d'esprit qui est une des qualités les plus saillantes de l'auteur. Mais elle résulte aussi d'une autre raison qui permet, plus spécialement, d'attribuer à l'œuvre de M. Bertolini un caractère, je ne dis pas unique, mais certainement peu fréquent, dans les études sur la constitution anglaise : il n'a aucun parti pris, pas plus dans le domaine juridique que dans celui de la philosophie politique.

La démonstration la plus caractéristique de la parfaite objectivité de l'œuvre de M. Bertolini, en ce qui concerne l'évaluation juridique du thème choisi par lui, nous est fournie par un curieux parallèle. Presque simultanément avec l'ouvrage de M. Bertolini, il en était publié un autre en Allemagne, sur un thème analogue et dans des circonstances telles que chacun des deux auteurs devait nécessairement ignorer le travail de l'autre. L'ouvrage allemand, très remarquable aussi, est de M. Hatschek et a pour titre : Die selbstverwaltung in politischer und juristischer Bedeutung. Cette fois encore, bien que le titre indique une œuvre tout à fait générale, l'étude du selfgovernment anglais en constitue une grande partie : l'auteur y a consacré les deux premiers chapitres et tout un ap. pendice amplement documenté (pp. 169-236). Quelque valeur qu'ait l'ouvrage de l'écrivain allemand, et bien que la partie historique soit peut-être plus complète que dans celui de M. Bertolini, l'auteur reste cependant par-dessus tout théoricien. Son écrit est consacré à la démonstration d'une thèse. Ses études historiques sur le selfgovernment anglais ont pour but de confirmer expérimentalement une théorie générale établie par lui sur la nature des collectivités qui exercent des attributions d'Etat.

La question, vivement controversée chez les écrivains allemands, a été aussi traitée en Italie dans des travaux récents. C'est une question dans laquelle se reproduit la vieille et toujours renaissante antithèse entre l'Etat et la Société. entre le droit et la politique. Ainsi, tandis que chez Stein et Laband on voit prédominer une conception purement juridique, par suite de laquelle les collectivités de l'administration locale jouissent d'une personnalité de droit public en vertu

d'une concession de l'Etat et exercent ainsi des droits subjectifs propres, on voit au contraire que, pour Gneist, le selfgovernment anglais est exclusivement caractérisé par la participation d'une classe de citoyens à l'administration de l'Etat, sans tenir compte de leurs intérêts particuliers.

Dans le premier sens, on considère la collectivité comme une unité réelle dans le domaine du droit ; dans le second, l'unité organique disparaît et il ne reste qu'un domaine dans lequel se développe l'activité d'une classe sociale déterminée. Dans le premier sens, c'est l'Etat qui agit au moyen d'organes que luimême a rendus autonomes; dans le second, c'est la Société qui fait valoir son influence par le moyen de son groupement en classes.

M. Hatschek représente une théorie intermédiaire. Selon lui, il faut distinguer le cas de certaines collectivités auxquelles on reconnaît sans conteste une personnalité de droit public, du cas de certaines autres collectivités qui manquent entièrement de personnalité, ou au moins de personnalité de droit public, mais dont les membres sont appelés à accomplir des fonctions dont le but est de profiter à la collectivité dont ils font partie. C'est là, avons-nous dit, une théorie intermédiaire, puisque les droits et devoirs exercés par les membres d'une collectivité ont justement leur racine dans cette qualité, à savoir, de faire partie d'une association donnée qui arrive ainsi à constituer une collectivité dont l'existence est impossible à nier dans le domaine du droit. Et, selon Hatschek, on rencontre dans le selfgovernment anglais la mise en œuvre effec tive du type théorique reconstitué par lui.

Ce n'est certainement point le cas d'entrer ici dans de semblables discussions, dont nous nous sommes contenté de donner un aperçu. Revenant à notre auteur, il est naturel que, conformément aux directrices générales de son travail, il ne s'appesantisse pas sur la question théorique et évite même de la préjuger en employant des expressions propres à représenter les collectivités locales comme des personnalités de droit public. Il n'en serait que d'autant plus intéressant de déterminer quelle est celle des théories en discussion qui serait appuyée par la considération purement objective et par l'exposition historique, débarrassée de toutes présuppositions, que nous offre le livre de M. Bertolini,

Un semblable travail devrait être très complexe, et nécessairement très analytique, pour arriver à être concluant ; et ces deux raisons font comprendre que le présent article ne saurait être l'endroit convenable pour un pareil examen. Probablement, du reste, les résultats de cet examen ne donneraient raison à aucune des deux opinions en discussion. Les théories systématiques supposent des divisions nettes et tranchées, des antithèses dialectiques, des catégories rigoureuses; or, la caractéristique propre du développement de la législation anglaise est la flexibilité extraordinaire avec laquelle elle s'applique aux nécessités d'ordre pratique, tandis que son mode de développement semble lent et graduel, entièrement opposé à la création d'organismes tout à fait nouveaux établis d'après des points de vue théoriques et doctrinaux, et détermine, au contraire, un tel entrelacement de dispositions vieilles et nouvelles, obligatoires et facultatives, générales et particulières, de formes indéfiniment intermédiaires, qu'en fin de compte l'ensemble constitue la négation de toute symétrie systématique.

Des études antérieures avaient déjà démontré qu'on ne saurait prétendre qu'avant le xv siècle il se fût formé en Angleterre un concept de l'association en tant qu'impliquant des droits et des devoirs ; et ce fait est amplement confirmé par les considérations développées par M. Bertolini. Toutefois, je ne crois pas que, depuis le xvIe siècle jusqu'à la fin du xvIII°, on puisse raisonnablement nier que les collectivités territoriales anglaises n'aient constitué des corporations dans

le sens strict du mot, et par cela même n'aient possédé la personnalité juridique. Il sera plus facile que concluant de dire qu'une telle personnalité se déployait dans le domaine propre du droit privé et n'était point reconnue dans celui du droit public mais qui peut, en ce qui concerne les institutions de cette époque, établir avec sûreté la limite qui séparait le droit public du droit privé ?

Et comment ferons-nous pour rechercher la ligne de démarcation encore plus subtile entre les associations de droit public actives et les associations passives dans lesquelles la collectivité ne figure pas directement, mais se fait valoir par le moyen d'un membre de la communauté ?

D'autre part, c'est à peine si l'on peut prétendre que l'idée d'une reconnaissance directe et consciente de personnalités, dans le domaine du droit public, est compatible avec le selfgovernment anglais. La raison intime de cette impossibilitė renferme une observation três importante, faite par M. Bertolini, à propos de ce que lui-même appelle justement : système général de la législation anglaise toujours observé, dans le passé relativement aux corporations municipales, de n'attribuer à personne, soit autorité, soit collectivité du gouvernement local, une compétence générique indéfinie, mais seulement des pouvoirs spécifiquement déterminés ». Or, il nous semble que cette proposition renferme la synthèse la plus exacte et la plus heureuse de la théorie juridique du gouvernement local anglais. Et il reste ainsi démontré combien sont vains les efforts faits pour délimiter par des lignes symétriques établies à l'avance, une législation dont la spécialité consiste précisément dans l'absence de tout système préconçu.

Mais il est encore plus intéressant de relever la place qui doit être assignée à l'œuvre de M. Bertolini, relativement aux écoles et aux tendances d'ordre politique et constitutionnel. On peut soutenir que l'étude des dispositions de la législa‐ tion anglaise a été le champ de bataille sur lequel les théories philosophiques générales du droit constitutionnel et de la science politique ont le plus ardemment lutté. On peut arriver à dire, sans exagération, que ces théories se sont formées suivant une manière donnée de comprendre la législation anglaise ; mais il faut, malheureusement, admettre aussi la proposition réciproque, à savoir que la constitution anglaise a souvent été étudiée à travers une théorie préconçue. Et l'on peut dire qu'il en a été ainsi depuis l'origine même de nos études. En effet, la science constitutionnelle moderne naquit à l'époque même où la constitution anglaise fut exposée scientifiquement pour la première fois. Le premier concept de gouvernement représentatif fut publié par Montesquieu, non comme une théorie abstraite qui lui fût propre, mais comme une simple généralisation des caractères qu'il rencontrait dans la constitution anglaise.

Et l'on pourrait poursuivre cet intéressant parallèle entre le développement théorique de la science constitutionnelle, d'une part, et, d'autre part l'appui positif qu'on cherchait pour cette théorie dans l'ordonnancement de la législation anglaise.

Mais, pour en arriver aux écrivains les plus récents, chacun connaît les rapports existant entre cette fameuse théorie du « Rechtsstaat» qui a exercé tant d'influence sur la science d'Etat moderne, et les études sur la constitution anglaise.

M. Gneist, qui est le plus éminent des auteurs contemporains qui aient cultivė ces études, est, en même temps, un des plus ardents soutiens et propagateurs de la théorie de l'Etat juridique, dont il trouve la genèse, le développement et l'application dans les formes classiques du selfgovernment anglais. Peut-être son idée est-elle de rapporter entièrement à ces origines germaniques la raison intime de la grandeur politique de l'Angleterre. Ainsi, dans cette manière de concevoir cette législation, il fait presque exclusivement résider sa plus grande

force dans la garantie des droits individuels de la liberté civile. C'est là un héritage de la très antique civilisation germanique, lequel s'est concrété et retranché comme dans une forteresse inexpugnable dans la manière d'être des institutions locales. Et, il s'attache à cette conception complètement indépendante de la garantie d'ordre constitutionnel dont il peut se passer; en même temps, d'après lui, le principe représentatif doit son origine et trouve sa défense dans les libertés locales. Et, peut-être, l'effet finit-il par nuire à la cause.

Le principe de l'omnipotence du Parlement, observe M. Gneist, n'a surgi en Angleterre qu'après que l'Etat juridique s'y fût solidement assis et s'y fût assuré contre les abus des partis politiques. On peut, dans cette observation, trouver à l'état latent la pensée suivante : que le système parlementaire, loin d'aider à la formation du Rechtsstaat, lui aurait plutôt était contraire. Du reste l'incompatibilité de ces deux éléments est plus ou moins explicitement établie par M. Gneist lui-même. Il ne peut certainement omettre de constater quelque déplaisir qu'il en puisse éprouver, que cette même Angleterre qui, dans le selfgovernment, créa la matière première du Rechtsstaat, créa aussi la forme de ce gouvernement parlementaire qui vise à substituer à l'empire du droit celui d'une majorité politique. M. Gneist se tire de cette difficulté qui, dans son système, serait une contradiction logique, en faisant observer que si, en Angleterre, le gouvernement parlementaire n'a pas fait trop de mal, cela tient à l'impuissance dans laquelle il se trouve de ce côté, car: « la présence au pouvoir d'un ministère tory ou d'un ministère whig n'a aucune influence sur l'administration intérieure du pays ».

Toutefois il ne pouvait échapper à l'œil vigilant de cet auteur que les réformes administratives modernes avaient transformé si profondément le système classique du selfgovernment, qu'on pouvait avancer que ses caractères substantiels étaient perdus, ou peu s'en fallait. Et il commence en lançant contre ces réformes une espèce d'excommunication scientifique : Ce qu'il importe surtout d'étudier, dit-il, pour connaître la nature juridique de l'Etat anglais, c'est la constitution avant le Reform bill. » Du reste, passant au domaine strictement politique, ses pronostics pour l'avenir sont tout à fait sombres. La lutte de la société dans sa marche vers l'égalité, fait-il observer, en même temps qu'elle tend à affaiblir le système complexe et organique du selfgovernment en tant qu'«< associations unies par le sentiment du devoir pour l'exécution responsable des lois et de la tâche de l'Etat, y constitue le concept plus simple et plus formel de l'autonomie communale se manifestant par des boards librement élus, avec faculté autonome de prendre des délibérations et de nommer aux emplois publics. On a donné ainsi << un caractère plus aigu.» aux réformes sociales administratives et politiques. On a rendu la constitution plus démocratique et l'administration publique plus bureaucratique, en amenant ainsi « l'ère des partis radicaux ». Tel est le produit du « fanatisme puritain pour l'égalité, qui se rapprochera plus du type de Bentham que du type français, mais qui soulèvera une agitation plus profonde ».

A cette tendance pleine d'enthousiasmes pour le passé, de tristesses pour le présent et de craintes pour l'avenir, opposez la contre-partie tracée par un autre écrivain, lui aussi des plus marquants!

M. Boutmy, dans sa belle étude sur Le développement de la Constitution et de la Société politique en Angleterre, trouve, lui aussi, que dans ces trente dernières années, l'Etat anglais a été « transfiguré par la démocratie », mais sous l'impulsion d'un grand besoin de justice et de progrès ». Dans la chute du pouvoir de la gentry, dont il reconnaît cependant les mérites historiques, M. Boutmy voit la suppression de priviléges civils et administratifs, et du monopole de la pro

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