égyptien dans le Ouadaï et ne nous laisser pour établir notre communication entre le Congo et l'Algérie qu'une étroite bande de terre sur les rives du Tehad. La question est actuellement de savoir s'il nous convient de prendre possession immédiatement des territoires qui nous sont réservés ou s'il n'est pas plus opportun d'ajourner cette entreprise jusqu'au moment où nos chemins de fer africains seront construits et notre base d'opérations solidement établie. Malgré des avis prudents, le gouvernement s'est d'abord laissé entraîner vers la première opinion. Trois missions furent organisées qui devaient se rencontrer sur les bords du lac Tchad. La première, dirigée par MM. Foureau et Lamy, partit de l'Algérie; la seconde, sous le commandement des capitaines Voulet et Chanoine, partit du Soudan; enfin, dans le Haut-Oubanghi, on envoya M. Bretonnet rejoindre et renforcer M. Gentil, pour l'accompagner jusqu'au Tchad. Ce programme malheureusement ne devait pas se réaliser. On connaît la triste fin de la mission dirigée par MM. Voulet et Chanoine et l'impression pénible produite dans toute la France par le drame du Soudan. Le lieutenant-colonel Klobb, chargé de faire une enquête sur des faits graves d'atrocités reprochés à ces deux officiers, fut accueilli par des feux de salves et tué le 14 juillet 1899, non loin de Zinder, l'endroit où la mission Cazemajou avait été massacrée quelque temps auparavant. Déjà on se demandait ce qu'il adviendrait au cas où ces soldats français en révolte arriveraient à se tailler dans le centre de l'Afrique un empire, quand on apprit heureusement que les deux cou. pables avaient été tués par leurs propres hommes restés fidèles au drapeau et à la discipline. Mais le but de la mission était manqué. La mission Bretonnet de son côté se heurta contre Rabah, le fameux conquérant noir qui dévaste depuis plusieurs années l'Afrique centrale, et fut massacrée au début d'août 1899 après une défense héroïque. Seule la mission FoureauLamy a pu jusqu'ici traverser heureusement le Sahara. Aux dernières nouvelles, elle était rendue à Agadès. De l'autre côté de l'Afrique, une difficulté s'est élevée en novembre 1898 au sujet de la délimitation des possessions françaises et italiennes sur les bords de la mer Rouge, difficulté bientôt terminée par une explication amicale entre les deux gouvernements. Un commissaire italien étant venu à bord du Volturno occuper le pays de Raheita situé au nord du raz Doumeirah et comme tel placé, d'après l'entente provisoire de 1891, en territoire italien, la canonnière française le Scorpion, dans le doute, vint se rendre compte de la situation et laissa à terre quelques hommes. Les deux gouvernements ont décidé de s'en tenir aux termes de la convention de 1891. Une commission de délimitation, dont fait partie le lieutenant Blondiaux pour la France, a été chargée de reconnaître et de fixer définitivement les frontières (1). (1) Discours de l'amiral Canevaro à la Chambre italienne le 22 novembre 1898. Cpr. Rouard de Card. Les possessions françaises de la côte orientale d'Afrique. Revue générale de droit international public, 1899, no 3. 2. LES ENCOURAGEMENTS A LA COLONISATION. OFFICE COLONIAL ET JARDINS D'ESSAI. Les premiers mois de l'année 1899 ont vu naître deux créations intéressantes dues à l'initiative gouvernementale et ayant pour objet de renseigner les commerçants et les colons: l'office colonial et les jardins d'essai. La suppression de l'Exposition permanente des colonies, entraînée par la démolition du Palais de l'industrie où elle était installée, laissait une lacune fâcheuse. Il y avait à cette exposition une collection d'échantillons, une bibliothèque et un service de renseignements qui, mieux connus, auraient pu rendre de sérieux services. Une des tâches de l'administration centrale des colonies doit être de mettre à la disposition des commerçants et des futurs colons les renseignements qu'elle possède sur la situation économique de notre domaine d'outre-mer. Or, une fois l'exposition permanente dipersée, ce rôle n'était plus rempli. M. Doumer avait essayé de combler cette lacune, en ce qui concerne nos possessions d'Extrême-Orient, par la création à Paris d'un office de l'Indo-Chine (Arr. 1er septembre 1898). Restait à généraliser et à développer cette institution. Tel a été l'objet du décret du 14 mars 1899. L'Office de l'Indo-Chine, devenu l'Office colonial, commence aujourd'hui à fonctionner utilement. Il publie chaque mois une feuille de renseignements, tient dans ses bureaux (1) à la disposition du public un certain nombre de rapports et de documents, et offre gratuitement son intermédiaire aux employeurs et aux employés pour les colonies, aux acheteurs et aux vendeurs de produits coloniaux qui, ne se connaissant pas, désirent entrer en relation. L'Office colonial est une création très heureuse, mais il ne faut pas oublier que la bonne volonté de ceux qui le dirigent ne suffit pas. Il est nécessaire tout d'abord que la complaisance des bureaux du Pavillon de Flore leur donne les moyens de remplir leur mission. Il faut ensuite que le public apprenne le chemin de l'Office colonial et contracte l'habitude de s'adresser à lui. Or ce dernier résultat ne peut être que l'œuvre du temps. L'idée des jardins d'essai a été mise en avant par M.Milhe-Poutingon, directeur de l'utile Revue des cultures coloniales. Le but à poursuivre est, d'une part, d'améliorer et d'accroître la production agricole des colonies, et,de l'au· tre, d'épargner aux nouveaux colons les tâtonnements et les écoles coûteuses. Autrement dit, il faut faire pour l'agriculture coloniale ce quel'on a fait jusqu'ici seulement pour l'agriculture métropolitaine en multipliant les champs d'expérience et de démonstration, en vulgarisant les meilleures méthodes. Nos colonies, il ne faut pas se lasser de le répéter, en sont à cette période de leur développement économique que l'on a appelée l'âge de l'agriculture. C'est la production agricole surtout qu'il convient de développer et d'encourager chez elles. Sans doute des jardins d'essai existaient bien déjà dans quelques-unes de nos colonies, mais l'isolement dans lequel chacun d'eux travaillait et leurs ressources restreintes ne leur permettaient pas de rendre de bien grands services. Ici encore un organe central chargé de (1) Galerie d'Orléans, Palais Royal. coordonner les efforts épars, de répandre les meilleures espèces et les méthodes perfectionnées, s'imposait. Et que l'on ne se récrie pas à l'idée de créer un jardin colonial en France! L'idée n'est paradoxale qu'en apparence. L'exemple des célèbres jardins de Kew en Angleterre prouve au contraire qu'elle est très pratique. Une commission des jardins d'essai fut instituée au ministère des colonies par un arrêté du 24 octobre 1898 et, à la suite d'un intéressant rapport présenté au nom de cette commission par M. Paul Bourde le 25 novembre 1898 (1), un décret du 28 janvier 1899 créa un jardin d'essai colonial à Vincennes. A côté des encouragements ainsi donnés à la colonisation par l'administration centrale, il serait injuste de ne pas signaler les efforts accomplis tant par les administrations locales que par l'initiative privée. Nous avons signalé dans notre dernière chronique (2) ce qui a été fait dans cet ordre d'idées par le gouvernement de l'Indo-Chine, et la tâche accomplie par M. le gouverneur Feillet en Nouvelle-Calédonie. Dans ces deux pays, le progrès continue. Une exposition locale vient d'avoir lieu à Nouméa au mois de septembre 1899 : elle a permis de constater l'importance des résultats obtenus. En ouvrant cette année la session du Conseil général, M. Feillet a pu dire avec orgueil : « Depuis quatre ans, depuis juin 1895, près de 500 propriétés agricoles ont été fondées dans la colonie. 148 jeunes gens du pays ont pris des concessions; 379 familles d'émigrants, de fonctionnaires retraités, de militaires se sont installées; 39 seulement (10 0/0 environ) sont reparties. En somme, on peut évaluer à plus de 1.200 personnes l'augmentation de population et à plus de 4 millions l'introduction des capitaux nouveaux » (3). L'initiative privée, qui a multiplié dans notre pays les associations dont le but est d'encourager la colonisation, a fait de son côté de nouvelles et intéressantes tentatives. Des familles nombreuses désirant aller se fixer aux colonies ont pu trouver, grâce à elle, le crédit qui leur était indispensable (4). Une société s'est fondée pour faciliter l'établissement de pharmaciens dans nos colonies. Mais rien ne vaut la propagande faite auprès de leurs parents et amis restés en France par les colons qui ont réussi, ce que l'on nomme l'auto-recrutement. Des berrichons établis au Tonkin fondent une association de secours mutuels qui servira de point d'appui à leurs compatriotes sollicités de venir les retrouver. En même temps, des romanciers prennent le monde colonial comme sujet de leurs observations. La taxe des lettres circulant entre la métropole et les colonies qui était de 0 fr. 25 (comme pour l'étranger) est réduite à 0 fr. 15 (comme pour la France). Voilà quelques-uns de ces menus faits dont la répercussion est quelquefois très grande. 3. LE RÉGIME DES TERRES ET LES CONCESSIONS. LES MINES. (1) Reproduit dans le Journal Officiel du 31 janvier 1899. (2) Revue du droit public, no de novembre- décembre 1898, pages 477 et 478. (3) Quinzaine coloniale du 25 août 1899. (4) H. de Castries, Un essai de crédit pour la colonisation familiale (Quinzaine coloniale du 10 octobre 1899). foncière de nos colonies a pris en 1899 un grand développement, principalement en Guyane et au Congo. Cette importante matière, autrefois laissée à l'abandon ou régie tout au plus par des arrêtés locaux fort imparfaits, a fait depuis peu l'objet de toute une série de décrets qui posent des règles nettes et précises. Pour la Guyane, un décret du 15 novembre 1898 sur les concessions de terres domaniales reproduit mutatis mutandis les règles posées par le décret du 10 avril 1897 pour la Nouvelle-Calédonie. En principe, l'État affirme énergiquement son droit de propriété sur les terres vacantes et sans maitre de la Guyane. En fait il abandonne pendant un délai de dix ans les produits de ce domaine au budget local de la colonie, pour être uniquement affectés aux dépenses de colonisation rendues obligatoires. En ce qui concerne l'aliénation ou la location des biens domaniaux, l'adjudica tion publique est la règle (1). Ce décret a soulevé de vives protestations au sein du Conseil général de la Guyane dont les pouvoirs en cette matière se trouvent considérablement diminués. Nous ne pouvons que répéter à ce sujet les observations formulées dans une chronique précédente (2) sur les concessions de terres en Nouvelle-Calédonie. Pour le Congo, un véritable code a été édicté. Il se compose de quatre décrets. Le premier, du 8 février 1899, énumère les biens qui font partie du domaine public dans la colonie et précise les servitudes d'utilité publique dont peuvent être frappées les propriétés privées. Le second, du 28 mars (complété par un décret du 9 septembre), concerne le régime forestier au Congo. Ce décret, dont l'objet est de prévenir une exploitation abusive, pose le principe de la nécessité d'une autorisation pour les bois du domaine (art. 2), impose des procédés rationnels d'exploitation (art. 3 à 6), interdit dans certains cas le déboisement (art. 8 et 9), oblige à replanter les espèces d'arbres les plus précieuses (art. 10), et détermine (art. 11 et suiv.) les formalités destinées à assurer l'exécution de ces prescriptions. Le troisième, également du 28 mars, est le plus important. Il donne au Congo un régime foncier inspiré du système Torrens et dont voici les grandes lignes. La condition d'application du système est l'immatriculation de l'immeuble. Peuvent seuls être immatriculés les fonds de terre et les bâtiments appartenant à des Européens et descendants d'eux ou à des indigènes naturalisés. En principe l'immatriculation est facultative. Exceptionnellement elle est obligatoire : 1o dans tous les cas de ventes ou concessions en pleine propriété de terrains domaniaux; 2o dans tous les cas où des Européens ou assimilés se rendent acquéreurs de biens apparnant à des indigènes; 3° dans tous les cas où, après mise en valeur aux conditions spécifiées par son cahier des charges, un concessionnaire acquiert la propriété de terrains concédés (art. 7). Autrement dit, le nouveau régime (1) Voir pour les détails le texte du décret précité et les deux arrêtés locaux du 11 août 1899. (2) Revue du droit public, no de juillet-août 1897, p. 117. foncier ne s'impose pas aux propriétés européennes déjà existantes; cellesci peuvent rester soumises aux règles du Code civil; mais il frappe nécessairement toutes celles qui naîtraient dans l'avenir. Puis, pour rendre tout retour en arrière impossible, l'art. 40 décide que les immeubles immatriculés ne pourront plus être replacés sous l'empire du droit commun. Après avoir organisé, avec le minimum de formalités possibles, la procédure de l'immatriculation, le décret en règle ensuite les effets. Le titre de propriété établi par le conservateur de la propriété foncière est définitif et inattaquable et forme le point de départ unique de tous les droits réels existant sur l'immeuble (art. 36). Dès lors, aucun droit réel, aucune cause de résolution ou de rescision, ne peuvent-être opposés au propriétaire. Les personnes lésées par suite d'une immatriculation n'ont aucune action réelle, mais seulement une action personnelle en indemnité contre l'auteur du dommage (art. 38). La prescription ne peut faire acquérir aucun droit réel sur un immeuble immatriculé, et une servitude, quelle qu'elle soit, ne peut-être établie sur lui que par titre (art. 39). Les constitutions et les transmissions de droits réels sur l'immeuble une fois immatriculé doivent faire l'objet d'une inscription (1), et il en est de mème des baux de plus de trois années. Mais le décret n'attache pas à l'inscription un effet absolu comme celui de l'immatriculation. Toute personne dont les droits auraient été lésés par une inscription peut en demander la modification ou l'annulation, sauf à ne pas porter préjudice aux tiers de bonne foi (art. 42). Cette demande doit d'ailleurs faire l'objet d'une prénotation qui a pour objet de les prévenir. Sur l'immeuble immatriculé,il n'y a plus que deux sortes d'hypothèques possibles: l'hypothèque conventionnelle qui peut être consentie par acte sous seing privé, et l'hypothèque forcée acquise en vertu d'une décision de justice au mineur, à l'interdit, à la femme, au vendeur à l'échangiste ou au copartageant. L'hypothèque testamentaire, admise par la loi foncière tunisienne et par le décret du 16 juillet 1897 sur la propriété foncière à Madagascar, disparaît. Il y aurait une comparaison fort intéressante à faire entre ces trois législations foncières, tunisienne, malgache et congolaise. Le décret du 28 mars 1899 marque un progrès très sensible sur les textes antérieurs. Sa rédaction plus brève (2) est à la fois plus précise et plus claire. Le décret concernant la propriété à Madagascar présentait des imperfections choquantes. On eût dit, à certains endroits, de la mauvaise copie de bureau. Dans le décret relatif au Congo, on reconnaît la plume d'un vrai jurisconsulte. Enfin, un quatrième décret, portant toujours la date du 28 mars, complète cette législation en organisant le régime des concessions. Ici encore l'Etat affirme son droit de propriété sur les terres vacantes et sans maître, (I) Exception est faite seulement pour les privilèges généraux de l'art. 2101 du Code Civ. et pour les privileges du trésor. (2) Le décret du 16 juillet 1897 ne comptait pas moins de 230 articles; il n'y en a que 100 dans celui du 28 mars 1899. |