GRÈCE (FÉVRIER-NOVEMBRE 1899) SOMMAIRE: 1. Les élections législatives. 2. L'ouverture de la Chambre; le discours du tróne. - 3. Le cabinet Theotokis. 4. Les travaux parlementaires. 5. Les réformes 6. Les réformes administratives. 7. Les élections muni fiscales et économiques. cipales. 1. LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES. Les élections générales eurent lieu le 7 février; en Grèce les députés sont élus au suffrage universel et à la majorité relative; il n'y a pas de ballottage. Les élections de 1899 se firent, comme les élections précédentes, non pas sur de véritables programmes politiques, mais bien sur des questions de personne. Ce qui caractérisait au moins les élections précédentes, c'était l'existence de deux partis disciplinés et forts, dirigés par des hommes ayant une autorité réelle sur leurs troupes, MM. Tricoupis et Deliannis. Aux dernières élections le parti tricoupiste, subissant après la mort de son chef le sort inévitable de tous les partis de personnes, s'était disloqué; le parti delianniste avait subi une vraie débâcle après la guerre, de telle sorte que les électeurs votaient, sauf quelques très rares exceptions, pour les candidats sans programme et même sans chef; le nombre des candidats anexartiti (indépendants) était particulièrement considérable. Après les élections, c'était le chaos; le parti delianniste avait subi un véritable désastre ; ce résultat est dù sans doute en grande partie à la malheureuse guerre dont on a voulu rendre responsable le gouvernement de M. Deliannis; mais de pareils résultats électoraux sont fréquents en Grèce et tiennent à des causes plus profondes : le peuple y a tous les défauts politiques des peuples démocratiques : il aime les changements et il accorde volontiers ses faveurs aux adversaires de ceux qui avaient eu sa confiance pendant quelque temps; de plus le spoils system, qui se pratique en Grèce plus que partout ailleurs (désigné sous le nom barbare de rousfeti), aboutit forcément à de telles fluctuations de partis; tous ceux qui se mettent sous le drapeau d'un parti en vue de places ou d'autres avantages quittent le plus facilement du monde ce parti quand, ce qui arrive presque toujours, il n'a pas pu les satisfaire; ils se mettent alors du côté du parti adverse espérant mieux réussir, quitte à reprendre le même cercle après des déceptions du même ordre. Le parti tricoupiste avait fait élire un certain nombre de ses candidats, mais sans chef incontestablement reconnu par tous. Avant les élections, des représentants influents de ce parti s'étaient réunis en vue de désigner un directeur du parti pendant les élections; M. Theotokis, ancien ministre tricoupiste, a été chargé de cette mission; M. Dragoumis, également ancien ministre tricoupiste, homme d'Etat distingué, par beaucoup considéré comme le vrai successeur de Tricoupis, a pris une attitude indépendante et il a combattu séparément. M. Zaïmis, président du conseil, M. Carapanos, ancien ministre, un archéologue distingué doublé d'un économiste de grande valeur, M. Delegeorges se présentaient également comme chefs de parti. Les élections générales ont donné à chacun de ces hommes politiques un nombre plus ou moins restreint de députés; si l'on ajoute le grand nombre des députés indépendants ou sans chef reconnu, on comprendra facilement la difficulté de constituer une majorité parlementaire et de composer un cabinet homogène et fort. En présence des opinions douteuses d'un grand nombre de députés qui attendaient la constitution du cabinet pour faire envahir l'administration publique par leurs amis, chaque chef politique calculait les forces de son parti à la Chambre en exagérant considérablement le nombre de ses partisans. En attendant, le cabinet Zaïmis qui avait présidé aux élections restait au pouvoir, mais il était certain qu'après la vérification des pouvoirs des nouveaux députés, il ne saurait s'y maintenir longtemps étant en minorité manifeste. 2. L'OUVERTURE DE LA CHAMBre. Le discours DU TRÒNE. — L'ouverture de la Chambre eut lieu le 4 mars. Jamais pareille cérémonie ne fut aussi solennelle. Le roi lut à la Chambre son discours qui contenait beaucoup de promesses: « Mon gouvernement vous soumettra des projets de loi relatifs à l'organisation d'une inspection générale de toutes les branches. des services publics, au recrutement des fonctionnaires..., à l'appel d'hommes compétents de l'étranger en vue de la réorganisation de certains services publics... Mon gouvernement vous soumettra un projet de loi sur la presse... Une des principales préoccupations de mon gouvernement est le développement de la production nationale et l'amélioration des dèmes (communes) dont la plupart languissent, ainsi que l'étude d'un projet de décentralisation administrative en vue du développement de véritables institutions d'autonomie locale... On a cru nécessaire de diviser le travail par l'établissement d'un ministère de l'agriculture; du commerce et de l'industrie. Grâce à ce ministère on espère protéger les différentes branches de la production nationale... On préparera des mesures législatives en vue de la protection des personnes occupées dans l'industrie, notamment des femmes et des enfants, et en vue de donner des soins aux ouvriers devenus incapables de travailler à cause de vieillesse ou d'accidents survenus dans l'exercice de leur métier... L'amélioration relative des finances de l'Etat et du crédit public fait espérer que l'équilibre budgétaire sera établi dans l'avenir. Il ne semble pas urgent d'établir de nouveaux impôts... etc., etc. ». 3. LE CABINET THEOTOKIS. Le 22 mars le ministère Zaïmis donnait sa démission justifiant cette résolution par les résultats des élections qui ne lui permettaient pas de se présenter comme cabinet parlementaire. On était, après la démission du cabinet, en plein désarroi. Les chefs antitricoupistes ont essayé de s'entendre; MM. Deliannis, Zaïmis, Delegeorges ont tenté de former un cabinet de coalition, mais ils n'ont pas réussi à atteindre ce but. Cela était par avance certain chez nous, en effet, tout chef de parti quelque peu important cherche à devenir premier ministre et ne consent que difficilement à entrer comme simple ministre dans un autre cabinet; et s'il a déjà été président du conseil on est sûr qu'il n'acceptera jamais un simple portefeuille ministériel. Or, la situation étant celle que nous avons définie et aucun parti n'ayant de majorité manifeste à la Chambre, la couronne a laissé entendre qu'elle appellerait au ministère celui des chefs politiques que la Chambre désignerait indirectement par l'élection de son président. Il y a là un curieux phénomène politique qui semble donner raison aux publicistes qui, comme Bagehot par exemple, soutiennent que le ministère dans les pays à gouvernement parlementaire n'est qu'un comité exécutif désigné par la Chambre des députés. Ce qui s'est passé dernièrement en Grèce n'est pas bien loin de ce que proposait Prévost-Paradol dans sa France nouvelle, p. 102 : la désignation formelle du président du conseil par la Chambre ellemême. L'élection du président de la Chambre a pris ainsi un caractère purement politique et, comme aux Etats-Unis, elle a concentré tous les efforts des partis. Elle eut lieu le 31 mars; M. Tsamados, candidat theotokiste, fut élu par 138 voix ; M. Romas, candidat delianniste, n'eut que 37 voix; M. Topalis, pour qui votèrent les membres du cabinet Zaïmis et les amis du gouvernement, n'eut que 28 voix. Le lendemain, le roi fit appeler au palais M. Theotokis, le président du conseil indirectement désigné par la majorité de la Chambre et il le chargea de constituer le cabinet. M. Theotokis, président du conseil, a pris le portefeuille de l'intérieur; celui des finances a été donné à M. Simopoulos, député des plus influents; c'est même grâce à lui que M. Theotokis a pu s'assurer une forte majorité dans la Chambre. M. Theotokis n'est souvent que primus inter pares; il se qualifiait lui-même dans un discours politique qu'il prononçait dans un grand banquet offert aux députés gouvernementaux, non pas chef de parti, mais simple directeur du parti tricoupiste qu'il appelait réformiste. Notons en passant que les banquets politiques, qui jouent un si grand rôle en Angleterre et même en France, ont été pratiqués pour la première fois en Grèce. Le cabinet Theotokis, et c'est là son grand mérite, a de très bonnes intentions; il veut travailler, il a soumis ou il va soumettre un grand nombre de projets de réforme dans toutes les branches de la législation et des services publics, mais la grande réforme, la restriction du spoils system, saurat-il l'accomplir? Ce n'est pas la bonne volonté qui lui manque, mais il est plus facile de changer des lois que de réformer des mœurs; il s'agit de résister à de vieilles habitudes qui constituent, hélas, chez nous, la seule, l'unique force des cabinets et des partis ! La couronne a voulu résister et elle a refusé de signer tout changement dans le personnel de l'administra. tion qui ne serait pas motivé par des raisons concernant le bon fonctionnement des services publics. Cette attitude de la couronne a été vivement commentée; on professe chez nous, en effet, le dogme; le roi règne et ne gouverne pas, et ceux-là même qui demandent pour le roi un rôle plus actif disent purement et simplement, ainsi que le faisait le rapporteur de la Constitution, M. le professeur Saripolos le roi règne et gouverne, mais n'administre pas, et l'attitude de la couronne en cette occasion constituait bel et bien une intervention dans la pure administration. Après quelques démarches de M. Theotokis et quelques conseils de cabinet, la couronne a signé les tableaux de changements qu'on lui présentait. Nous aimons à croire que le cabinet Theotokis aura la force nécessaire pour résister désormais à ces pratiques et à ces tentations funestes qui caractérisaient la plupart de ses prédécesseurs. Le gouvernement a présenté un 4. - LES TRAVAUX PARLEMENTAIRES. grand nombre de projets de loi se référant à des réformes fiscales, écononomiques, administratives, militaires, etc. On doit reconnaître que la plupart de ces projets de loi l'initiative parlementaire ne joue qu'un rôle des plus effacés chez nous, tout vient du gouvernement ont été préparés et votés un peu à la hàte et sans qu'une étude approfondie les ait précédés. On ne doit pas en rendre responsable le cabinet Theotokis qui comprend des hommes de grande valeur et de véritables travailleurs; la faute en est à notre organisation politique : les projets de loi sont préparés par les ministres, sinon par des chefs de bureau; ils sont soumis directement à la Chambre unique dont la majorité les vote, les yeux fermés en général: point de Conseil d'Etat, point de Sénat ; les trois lectures et les trois votes successifs à des intervalles de trois jours, prescrits par la Constitution (art. 57), ne sont, au fond, qu'une simple formalité. On doit admirer, cependant, le zèle de nos députés; pendant des mois entiers les séances de la Chambre se prolongeaient au-delà de minuit et très souvent jusqu'à quatre ou cinq heures du matin. On a voté ainsi la loi du 30 juin 1899 complètant et modifiant les lois de patente, la loi du 22 juillet de la même année sur les forêts, la loi du 22 mai 1899 modifiant les articles 1076 et 1077 du code de procédure civile, la loi du 8 juillet 1899 sur l'expulsion des locataires qui ne paient pas leur loyer, la loi du 24 juillet 1899 sur les antiquités, la loi du 15 juillet 1899 sur l'appel d'officiers étrangers en vue de la réorganisation de l'armée de terre et de mer, etc. etc. Les réformes fiscales, économiques et administratives méritent une mention à part. 5. LES RÉFORMEs fiscales et ÉCONOMIQUES. La loi du 5 juin 1899 a remplacé l'impôt indirect sur la consommation du vin par un impôt direct sur les vignobles : chaque arpent de terre est grevé d'une à six drachmes au maximum (art. 15) selon son revenu établi sur la déclaration des contribuables contrôlée par les autorités compétentes. La nouvelle loi combina le système de répartition, système nouveau en Grèce, avec le système de quotité une circulaire du ministre des finances répartit l'impôt entre les dèmes (communes) du pays : tout arpent de terre, la quatrième année après la plantation des vignobles, est grevé d'un impôt direct d'une drachme au moins; dans les dèmes où l'impôt réparti dépasse la somme d'une drachme par arpent de terre, le conseil municipal divise les terres de la commune en trois catégories d'après leur qualité; l'impôt est réparti entre les catégories par une commission spéciale composée d'autorités administratives et judiciaires de la commune (art. 16 et 17). La loi du 9 juin 1899 introduit une taxe sur le bétail de boucherie, sur les chevaux et sur les chiens de garde, de chasse et de luxe. La loi du 17 juin 1899 a renouvelé pour dix ans la loi provisoire des retenues (parakratisis). Ce système n'est autre chose qu'une intervention de l'Etat dans le réglement de la production des raisins secs afin d'établir artificiellement des prix rémunérateurs. La loi a été vivement critiquée à la Chambre comme inconstitutionnelle : elle n'est, disait-on, qu'une atteinte portée à la propriété privée sans indemnité préalable. Ce système en tous cas constitue une intervention arbitraire de l'Etat qui, dans un pays comme le nôtre, présente plus d'un danger. Ce système qui existe en Grèce depuis 1895 a pour but de remédier aux maux de la surproduction des raisins secs au moyen d'une retenue par l'Etat de 10 à 20 p. 100 sur le raisin sec exporté à l'étranger. On espère ainsi établir l'équilibre économique entre la production et la consommation faire hausser les prix et par là même adoucir la crise. La même loi crée une banque des raisins secs (staphidiki trapeza) dont le capital est constitué par les produits de la retenue; tout producteur de raisins secs soumis à la retenue est actionnaire ipso jure de la banque. La banque a des attributions multiples: elle est un établissement de crédit agricole en même temps qu'une espèce de Chambre syndicale : « La staphidiki trapeza doit s'occuper principalement des moyens propres à étendre la consommation des raisins secs à l'étranger et à amener l'amélioration de la production... La banque doit prêter seulement aux propriétaires de raisins secs, en vue de la culture au taux de 50/0 par an... Ces prêts sont réglés d'après la participation de chaque propriétaire au capital de la banque. Les prêts consentis à chaque propriétaire ne doivent par dépasser la somme de mille drachmes par an» (art. 20). 6. LES RÉFORMES ADMINISTRATIVES. La Grèce formait 16 départements (ou). Son système administratif se caractérisait et se caractérise encore par une centralisation excessive. Il est vrai que la constitution de 1864 garantit l'élection des maires dans toutes les communes par le suffrage universel et direct (antérieurement, ils étaient nommés par le roi ou par le préfet suivant l'importance de la commune), mais il faut y voir plutôt une mesure de déconcentration que de vraie décentralisation. Deux lois du 6 juillet 1899 sur la division administrative et sur les départements et leur administration ont introduit d'importantes réformes dans l'administration départementale. La Grèce est divisée en 26 départements; le département acquiert la personnalité juridique et une certaine autonomie administrative par la création d'un conseil départemental (paya Sufouhov), analogue au conseil général français, muni de droits de décision. Le projet de loi soumis à la Chambre était précédé d'un exposé des motifs dont voici quelques extraits : « La nécessité de diviser le pays en circonscriptions administratives moins étendues a été reconnue depuis longtemps; elle s'imposait depuis l'époque où la province (éparchie) a cessé de former une circonscription administrative et n'est restée qu'une simple circonscription électorale... Plusieurs raisons imposent la décentralisation dans le gouvernement central et une certaine centralisation dans le département... Le département doit former un centre d'action |