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militaire que pour la marine marchande. M. Alin en concluait que la résolution royale devait être considérée comme une convention unionnelle, qui ne pouvait être annulée par la volonté d'un seul des contractants. Et l'acceptation par la Suède de cette annulation ne serait qu'une concession de plus, faite aussi d'un seul côté et, par conséquent, contraire au maintien du principe du statu quo. Une autre opinion se fit cependant jour dans le discours, applaudi aussi, d'un autre orateur qui, après avoir insisté sur ce qu'il y avait de regrettable et de blessant dans la résolution prise en Norvège au sujet du pavillon, se bornait à exprimer son espoir que cette résolution n'aurait pas pour effet d'apporter des modifications au pavillon suédois: « Les Norvégiens devaient seuls supporter le tort que pourrait porter à la Norvège l'équivoque résultant de la conservation de la marque unionnelle dans le pavillon suédois ».

Pendant la période suivante, la question continua à être le sujet d'une discussion animée dans la presse journalière, dans les réunions publiques, spécialement dans celles qui se tinrent en été pour les nouvelles élections à la seconde Chambre; elle fut ainsi étudiée dans diverses brochures. Parmi celles-ci, il en parut une du plus éminent maître de la Suède pour le droit public, M. le professeur Rydin. Elle était intitulée : « Portée juridique de la loi norvégienne sur le pavillon ». Cette brochure, outre la valeur de son contenu, en empruntait une nouvelle à ce fait que, dans une question unionnelle, relative à l'établissement d'un gouverneur suédois en Norvège, M. Rydin s'était entièrement rangé du côté des Norvégiens et avait ainsi énergiquement contribué à procurer à cette question une solution favorable aux prétentions norvégiennes ; on ne pouvait donc voir en lui un adversaire déclaré de la Norvège, ni le soupçonner de mauvaise volonté à l'égard de ce pays. Comme, dans son entier, ce traité peut être considéré comme l'exposition la plus complète de l'opinion suédoise dans la question, nous devons donner ici un abrégé de ses propositions principales.

Tout d'abord il établit que, d'après la constitution norvégienne, les décisions relatives au pavillon n'ont pas été destinées à être traitées comme loi, mais au contraire sont considérées comme une prérogative du pouvoir exécutif, principe qui, appliqué déjà avant l'Union, a toujours été maintenu depuis sa formation il y a 80 ans. Il avance, de plus: Que, le roi ayant refusé sa sanction à la décision du Storthing, le consen tement donné à la publication de la résolution finale ne saurait être considéré comme équivalant à la promulgation pour la mise en vigueur; Que, même dans son contenu, la loi norvégienne dite du pavillon était si incomplète en plusieurs points qu'elle nécessitait absolument des décisions complémentaires de la part du pouvoir exécutif, spécialement en ce qui concerne les effets de la négligence apportée à se conformer à ses prescriptions;

(1) Auparavant le pavillon de commerce norvégien n'était pas marqué du signe de l'Union, par contre le pavillon suédois devait être aussi porté par la marine de guerre norvégienne. Par la résolution royale il fut décidé que les deux marines taut militaire que marchande porteraient les couleurs de leur pays, mais avec un quart marqué du signe de l'Union,

Que des instructions à ce sujet ne pouvaient être données que par le ministre des affaires étrangères après décision prise en Conseil d'Etat unionnel;

Que jusqu'à ce que ces instructions aient été données l'ordre de choses établi 1844 devait demeurer en vigueur;

Que, cet ordre de choses étant le fruit d'une convention unionnelle, il pouvait, à la vérité, être dénoncé et aboli, mais seulement après des négociations entre les deux parties;

Que c'était au roi de l'Union qu'il appartenait de veiller à ce que, devant l'étranger, les pavillons des deux royaumes fussent l'expression vraie de leur situation récipropre, c'est à-dire à la fois de leur union et de leur identité de situation, ce qui était bien le cas d'après la loi de 1844 sur le pavillon, mais ne le serait plus après l'ordre nouveau proposé, parce que le pavillon qui deviendrait celui de la flotte de commerce norvégienne n'indiquerait plus l'union, et, par comparaison avec le pavillon suédois resté sans changement et continuant à porter la marque de l'union, n'indiquerait pas davantage l'identité;

Qu'enfin cette question, aussi bien du côté de la Suède que du côté de la Norvège, ne devait pas être considérée comme une bagatelle, parce que la modification introduite de cette façon dans le pavillon norvégien pou vait contribuer d'une manière déplorable à faciliter aussi l'abolition de la communauté en ce qui concerne l'institution des consulats.

D'autre part, contre le raisonnement du professeur Rydin, en faveur des concessions à faire aux désirs de la Norvège, il fut allégué :

Que, la Norvège ayant, aux termes du § III de sa Constitution, incontestablement droit à un pavillon de commerce qui lui fùt spécial, elle devait aussi avoir le droit de modifier l'aspect de ce pavillon;

Que, même si depuis la constitution de l'union, le roi avait joui sans trouble du droit de décision en cette matière, cependant, par suite de son pouvoir législatif, le Storthing avait le droit d'élargir sa compétence (argument qui, envisagé du point de vue unionnel, pourrait certainement conduire à des conséquences regrettables, alors qu'en Norvège les prérogatives de la puissance royale peuvent difficilement être encore amoindries sans porter atteinte au pouvoir que, comme roi norvégien, il lui faut posséder pour protéger les intérêts de l'Union);

Que, quoiqu'il en fût à ce sujet, le droit que le roi de Norvège avait pu posséder avait été abandonné par lui au moment même où tout en refusant, il est vrai, sa sanction, il avait autorisé la publication de la résolution comme loi; et que, exiger et désirer que, comme roi de l'Union, il put prendre une autre position que celle qu'il avait prise auparavant comme roi de Norvège, serait assurément se montrer injuste envers lui;

Que la résolution de 1844 était bien, de fait, le fruit d'une convention unionnelle et, par conséquent, créait à la Suède un droit moral, mais que ce droit n'avait cependant pas été revêtu des formes qui l'eussent rendu obligatoire pour les deux parties;

Que le refus de la Suède de donner sa coopération à l'entrée en vigueur de la loi serait immanquablement, au point de vue norvégien, compris et

représenté comme une intrusion non justifiée de la Suède dans les affaires intérieures de la Norvège ;

Que, maintenant et depuis qu'une décision avait été prise sur la question, l'opinion norvégienne était unanime, tandis qu'en Suède les avis étaient partagés, et qu'enfin si l'aspect du pavillon norvégien n'était pas pour la Suède une chose tout à fait indifférente, la question n'était cependant pas d'une importance pratique telle que, pour maintenir les prétentions de la Suède, il fallut compromettre la bonne entente entre les « peuples frères» ou en arriver à une rupture ouverte.

On s'attendait en Suède à ce que la question fùt résolue dans le cours du premier semestre de l'année et l'on avait même tiré à ce sujet quelques conclusions trop hàtives sur son issue, parce qu'une maladie du roi l'avait empêché, du 23 janvier au 11 mai, de présider au gouvernement et l'avait même contraint de le remettre entre les mains du prince héritier, lequel ne se trouvait point lié au même degré que le roi lui-même par les concessions de celui-ci. Mais comme aucune démarche officielle ne fut faite par la Norvège au sujet de cette affaire, on dut attendre qu'il s'en produisit une. On croyait pouvoir admettre que, malgré la position prise par le ministre des affaires étrangères, le ministère, dans son ensemble, avait une tendance aux concessions; et cette supposition devint presque une certitude lorsque le bruit courut, immédiatement avant les élections à la seconde Chambre, que des ouvertures avaient été faites par les membres du cabinet à diverses personnalités influentes. Ainsi arriva-t-il qu'aux susdites élections, divers membres qui avaient pris dans cette question ce qu'on appelait le « point de vue suédois» d'une façon particulièrement prononcée, restèrent sur le carreau. Ce qui est caractéristique, c'est qu'à peu d'exceptions près, aucun candidat ne défendit directement la politique de concession; tous la voilèrent sous la formule suivante destinée à l'embellir: « Pleine confiance dans la volonté et le pouvoir du gouvernement de maintenir le droit de la Suède ».

La communication du gouvernement norvégien se fit attendre. On pensait peut-être en Norvège que la publication dans le Recueil des lois norvégiennes était suffisante aussi pour la mise en vigueur de la loi, au point de vue de l'étranger. Il était pourtant évident que cela ne pouvait mener au but cherché. On trouve à la vérité un indice de cette manière de voir dans la démarche faite par le gouvernement norvégien qui, sans avoir recours au ministre des affaires extérieures, communiquait aux consuls des Royaumes-Unis le contenu de la loi. Quoi qu'il en soit, on reçut le 3 septembre et l'avis de la susdite démarche et la demande de prendre les mesures nécessaires pour la notification aux gouvernements étrangers de la loi ainsi communiquée. Lorsque ce sujet fut traité, le 6 octobre, dans le conseil d'Etat unionnel, le ministre des affaires étrangères, M. le Comte Douglas, fit remarquer en passant ce qu'il y avait d'irrégulier dans la manière d'agir du gouvernement norvégien de s'adresser directement aux envoyés et aux consuls des Royaumes-Unis; il maintint avec force que la lettre royale du 20 juin 1844 ne pouvait être annulée d'une autre façon que celle dont elle avait été établie, c'est-à-dire après résolution prise en

conseil d'Etat unionnel; cependantre il mit la question de savoir comment une modification à la susdite lettre royale pouvait avoir lieu aux soins du ministre de l'intérieur (ministre civil) suédois, sur la proposition duquel cette lettre avait été écrite en 1844. Ce ministre conclut que, à la différence de ce qui devrait avoir lieu dans des questions de nature unionnelle concernant la direction des affaires étrangères et le corps consulaire, — le droit de la Norvège de prendre des décisions au sujet de son pavillon commercial découlait indubitablement du § 3 de sa Constitution et que ce droit n'avait pas été limité de façon obligatoire par la lettre royale de 1844. Le décret norvégien du 10 décembre 1898 donnant à entendre qu'une décision légale à ce sujet était prise, le ministre, après avoir exprimé le mécontentement fondé du peuple suédois sur le contenu de cette décision, proposa que 1o Sa Majesté Royale voulût bien décider que ce que la lettre royale de 1844 renfermait de contraire à la nouvelle loi cesserait d'être en vigueur; 2o que cette décision fût communiquée tant à l'autorité intérieure suédoise (Collège de Commerce) qu'au ministre des affaires extérieures pour que celui-ci prît les mesures qui étaient de son ressort, c'est-à-dire en fit la communication aux ambassadeurs et aux consuls.

Suivant les règlements établis pour le traitement des affaires unionnelles, il fallait demander au gouvernement norvégien communication de son opinion à ce sujet. Cette communication fut remise dès le lendemain, 7 octobre; elle contenait d'abord la justification de la démarche faite lors de la notification directe de la loi norvégienne et ensuite la déclaration peu justifiée « que cette loi n'est sous aucun rapport, de la part de la Norvège, une démonstration ou une attaque dirigée contre la Suède », ce qui était une sorte de protestation contre les paroles du ministre civil qui avait dit que pour que la loi norvégienne pût entrer en vigueur, une modification de la loi du 20 août 1844 était nécessaire. Elle se terminait cependant en demandant l'approbation du projet. Lors de la discussion finale sur la matière, le 11 octobre, les membres du Conseil d'Etat suédois firent d'abord la déclaration unanime suivante : « Dans le but de motiver l'envoi de la loi du pavillon aux ambassadeurs à l'étranger, le gouvernement norvégien avance qu'aux termes formels de la loi, non seulement les consuls, mais aussi les ambassadeurs avaient pour devoir d'observer les prescriptions de la loi ; il nous sera permis de rappeler que tel n'est pas le cas. Dans son § 2, la loi dit seulement que le pavillon établi par le § 1 sera employé par les navires de commerce « lorsque, se trouvant dans un port étranger, ils désireront obtenir aide et protection des envoyés, consuls ou agents commerciaux ». Il n'y a là, comme on voit, qu'une prescription aux armateurs et capitaines de navires norvégiens, mais qui ne s'applique nullement aux ambassades ou autres organes unionnels. Et cela, avec raison, car naturellement il ne saurait appartenir au Storthing norvégien pas plus qu'à un des pouvoirs de l'Etat suédois de donner isolément dans l'affaire ci-dessus exposée, des ordres aux organes unionnels

Par la même raison, nous devons repousser l'assertion du gouvernement norvégien prétendant que la décision proposée par le chef du ministère de l'intérieur concernant le sixième point de la lettre royale du 30 juin 1884 ne serait pas nécessaire.

Le ministre des affaires étrangères prit ensuite la parole et, en termes courtois, mais énergiques, combattit l'acceptation de la modification. Nous reproduisons les parties essentielles de son discours comme particulièrement propres à mettre dans leur vrai jour la nature de la question. Tout d'abord, le ministre basa sa proposition de rejet sur ce que le droit qu'a la Norvège, en vertu des termes du 3e paragraphe de la Constitution, de prendre toutes décisions au sujet de son pavillon particulier a jusqu'à présent toujours été exercé par les rois de Norvège. On ne saurait admettre qu'ils aient illégalement exercé ce droit. De ce que le Storthing a illégalement porté atteinte à cette prérogative de la puissance royale, on ne saurait conclure que la puissance royale dût abandonner sa manière de voir antérieure dans cette question. De même la situation qui est résultée de l'autorisation donnée par le roi — néanmoins avec refus de sanction de publier la loi norvégienne, ne saurait non plus avoir cette conséquence d'emporter de la part du roi renonciation en pareille matière à tout droit de décision. Il ne peut nullement en être ainsi, car, lorsque cette loi adoptée par le Storthing contre la volonté du droit décide dans son 2o paragraphe: «que le pavillon établi par le § 1, sera employé par les navires de commerce lorsque, dans un port étranger, ils désireront obtenir aide et et protection du corps diplomatique, des consuls, etc. », cette loi se place alors sur un terrain où, sans l'assistance du roi, elle ne peut avoir d'action. Les ambassadeurs et les consuls ressortissent au ministère des affaires étrangères et le ministre ne peut ordonner aux ambassadeurs et aux consuls de se baser, dans la pratique, sur le deuxième paragraphe susdit que dans le cas où le roi, en assemblée du conseil d'Etat, déciderait d'apporter une modification à la lettre royale du 20 juin 1844, dont les prescriptions du sixième point sont en contradiction avec la nouvelle loi norvégienne.

La décision qui va être prise envisage donc le côté unionnel de la question du pavillon ou, en d'autres termes, la question de savoir de quelle façon le changement de pavillon doit, pour produire ses effets, être signifiée aussi bien à l'étranger par une communication officielle aux puissances étrangères, qu'aux fonctionnaires unionnels faisant partie du corps diplomatique et consulaire par une communication les obligeant à s'y

conformer.

Que dans son conseil d'Etat unionnel le roi ait droit de décision complet et illimité et qu'il lui soit réservé de prendre la décision qu'il jugera la plus propre à procurer le vrai bien de l'Union, c'est ce qui ne saurait faire l'objet d'un doute.

Par contre, le ministre pense qu'il n'existe qu'une seule réponse à faire à cette autre question: comment le retranchement sur le pavillon norvégien de la marque de l'Union peut-il être compatible avec le vrai bien de l'Union?

Mais si le roi décidait maintenant que la marque unionnelle dût continuer à figurer sur leur pavillon lorsque les navires de commerce norvégiens entreraient en rapport avec les fonctionnaires unionnels et les puissances étrangères, cette décision se trouverait en collision avec la nouvelle loi norvégienne. Le conflit qui s'élèverait ainsi serait de nature grave; le

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