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3o puis encore, après cette qualification de ces rapports, par un mouvement ascensionnel de généralisation, «< la découverte des principes juridiques plus généraux auxquels ils sont subordonnés, « die Auffindung der allgemeineren Rechtsbegriffe denen sie untergeordnet sind » ; 4o enfin, après cette généralisation ascendante, par un mouvement contraire, la déduction de ces principes dominants découverts des conséquences qui en découlent, car « les principes généraux trouvés, la tâche n'est pas encore achevée, il faut encore développer les conséquences qui en découlent », « mit der Auffindung der allgemeinen Principien ist die Aufgabe noch nicht vollständig gelost; es mussen auch die aus den gefundenen Principien sich ergelenden Folgerungen entwickelt werden » (1).

Telle est donc la marche à suivre, mais Laband ne se contente pas de la tracer, il indique le guide qu'il faut prendre pour s'engager dans cette voie. C'est la « logique », « la raison pure ». « Pour accomplir cette tâche il n'y a pas d'autre moyen que la logique, ici rien ne peut la remplacer; toutes les considérations historiques, politiques et philosophiques, quelque valeur qu'elles aient en soi, sont, en ce qui concerne la dogmatique d'une matière juridique, sans portée et ne servent trop souvent qu'à masquer le défaut de travail constructif ». « Zur Lösung dieser Aufgabe giebt es kein anders Mittel als die Logik; dieselbe lässt sich für diesen Zweck durch nichts ersetzen». « Je ne comprends pas que l'on fasse à la méthode dogmatique un reproche de ce qu'elle opère au moyen de deductions logiques et non de recherches historiques ou de considérations politiques». «Ich verstehe es nicht, wenn jemand einer dogmatischen Behandlung es zum Vorwurf macht, dass sie mit logischen Schlussfolgerungen operirt, statt mit historischen Untersuchungen und politischen Erörterungen». (2).

Et si tels sont décrits par Laband, les procédés et le ressort de la méthode juridique appliquée à l'étude de la science

(1) PAUL LABAND, das Staatsrecht des deutschen Reiches: Préface de la 1" édition, dans la seconde édition de 1888, p. 6 et 7. Voir également préface de la 2• édition, p. 11.

(2) LABAND, das Staatsrecht des deutschen Reiches: Préface de la 2 édit. p. 11.

politique, en voici maintenant le fondement en quelque sorte métaphysique. C'est la croyance qu'il y a en effet des concepts juridiques généraux préexistant à toute organisation politique positive, données de la raison même, catégories abstraites, auxquels se rapportent toutes les institutions que nous pouvons imaginer et que les constitutions des différents peuples peuvent appeler à la vie ; concepts juridiques supérieurs desquels dans un ordre logique découlent les règles sans nombre, dont le tissu, au dessin infiniment varié mais toujours harmonieux, forme l'ensemble du droit public. Et c'est ainsi que Laband à ceux qui prétendent que la Constitution allemande est trop exceptionnelle et anormale pour être traitée par la méthode juridique répond: « On n'a pas le droit de se dérober à ce travail en alléguant que la Constitution de l'Empire allemand est d'espèce si particulière qu'elle ne rentre dans aucune des catégories traditionnelles des conceptions juridiques .... la création d'une institution juridique nouvelle qui ne pourrait être soumise à aucun concept juridique et supérieur est aussi impossible que la découverte d'une catégorie logique nouvelle, ou l'apparition d'une nouvelle force de la nature » ;` « ist die Schaffung eines neuen Rechtsinstitutes, welches einem hoheren und allgemeineren Rechtsbegriff uberhaupt nich untergeordnet werden kann, gerade so unmöglich wie die Erfindung einer neuen logischen Kategorie oder die Entstehung einer neuen Naturkraft» (1).

Nous touchons ainsi au fond rationnel de la méthode juridique appliquée à la science politique et nous pouvons résumer la thèse de Laband ainsi : Il y a des principes abstraits préexistant et supérieurs auxquels se réfère toute institution, que l'intelligence peut concevoir et que les constitutions positives peuvent établir. Il faut, en partant de l'analyse des règles posées par les textes, remonter à ces principes, qu'ils supposent et dont ils ne sont que l'expression partielle, et redescendre ensuite de ces principes dominants pour en déduire les règles non formulées par lesquelles le système politique, dans son harmonie d'ensemble, se complète. Il faut pour opérer ce double travail procéder par voie de raisonnement pur car la

(1) LABAND, Das Staatsrecht des deutschen Reiches, Préface de la 1'e édit., p. 6.

logique domine et commande toute organisation politique qui n'est que la réalisation d'un type idéal et rationnel.

Telle est donc d'après Laband, porte-parole de l'école allemande, la méthode de la science politique. On a bien pu dire que c'est une méthode «< intensivement juridique ». C'est ainsi, en effet, par voie de construction systématique et de déduction logique, que traditionnellement l'on procède dans le domaine du droit privé (1).

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Mais il nous faut noter que la méthode allemande en science politique n'emprunte pas seulement à la science juridique ses procédés, elle est juridique encore par son orientation même. Pour elle la science politique, n'est jamais que «le droit public», « das Staatsrecht ». L'objet de cette science n'est que «l'ensemble des rapports de droit public », « der öffentlichrechtli chen Verhältnisse ». La nature de ces rapports est toujours juridique, « rechtliche Natur ». Et les principes supérieurs auxquels il faut remonter pour en trouver la clé sont toujours des principes juridiques « allgemeine Rechtsbegriffe ». Ainsi pour l'école allemande une constitution, un régime politique ce n'est qu'un vaste système juridique, un ensemble de relations de droits et d'obligations, relations d'ordre purement juridique, que des principes juridiques dominent. Et l'on comprend dès lors que toute cette substance uniquement juridique soit traitée par des procédés essentiellement juridiques

eux-mêmes.

II. Application de la méthode juridique par la science allemande.

Cette méthode, que je me propose de critiquer et de combattre, tout au moins comme méthode unique ou même fondamentale de la science politique, je ne puis pas me contenter d'en donner l'analyse, mème d'après le manifeste sinon de

(1) Voir l'ouvrage si remarquable de notre collègue M. GÉNY, Méthode d'interprétation et sources du droit privé positif, Première partie : Exposé analytique de la méthode traditionnelle d'interprétation.

son inventeur (1) du moins de son plus illustre représentant. Pour la juger sainement et pour apprécier la science allemande qu'elle domine dans son ensemble (2) il nous faut lasuivre quelque peu au moins dans sa mise en œuvre.

Dès que nous ouvrons les traités de droit public allemands, à parcourir simplement leur table des matières, il est une chose qui nous frappe : c'est leur contenu ; et nous allons voir qu'il est, et comment il est, une première conséquence de l'adoption en science politique de la méthode juridique.

Dans tous ces ouvrages, en effet, sous le même titre de droit public (3), et avec la même importance (4) il est traité des corps politiques de l'Etat et des administrations ou services publics. L'Empereur et le Chancelier n'y font pas plus grande figure et ne sont pas autrement présentés que les simples fonctionnaires. Les associations, corporations, organisations religieuses s'y rencontrent et sur le même pied avec le Bundesrath ou le Reichstag. Observation capitale car nous voyons ainsi que les Allemands n'établissent pas entre ce qui est pour nous d'ordre constitutionnel, concernant les grands pouvoirs souverains de l'Etat, et ce qui est d'ordre administratif seulement, ne se référant qu'aux autorités subordonnées, de séparation fondamentale. Là où nous faisons deux domaines pour deux sciences différentes il n'en voient qu'un.

Pourquoi donc cette confusion chez eux des matières politi

(1) MEYER, LEXIS, t. I, p. 365, attribue à GERBER l'emploi initial raisonné de la méthode juridique en science politique.

(2) MEYER, eod. loc. ne signale qu'un auteur en ces dernières années, Sterk, qui ne se soit pas rallié à la méthode juridique et qui suive encore la méthode politique.

(3) Voyez LABAND, das Staatsrecht des deutschen Reiches: PHILIP ZORN, das Reichs Staatsrecht; GEORG MEYER, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts.

(4) Voyez par exemple le traité de MEYER, dans lequel après 180 pages consacrées à une théorie générale de l'Etat et à l'histoire de la formation de l'Allemagne, il n'y en a pas plus de 300 consacrées aux organes et aux fonctions de l'Etat impé rial et des Etats particuliers (30 pages seulement sont données à l'organisation de l'Empire), partie de droit constitutionnel proprement dite, contre plus de 200 pages où il est traité de matières administratives, fonctionnaires, force publique, finances; droits du citoyen, droits corporatifs, organisation religieuse, etc. Dans tous les traités allemands on trouve ainsi cet ensemble de matières rapprochées et souvent confondues, ce que nous appelons droit constitutionnel, ne se détachant pas de ce que nous comprenons sous le titre de droit administratif.

ques et des matières administratives? Pour cette raison qu'aux unes et aux autres ils appliquent la même méthode, qui est la méthode juridique. Tandis, en effet, que nous réservons celleci pour les seules études administratives, ne l'employant que très subsidiairement pour les études politiques, les Allemands l'adoptent d'une façon absolue pour les uns et pour les autres, ou plutôt ils ne connaissent qu'une catégorie d'études, absorbant dans un droit administratif élargi ce que nous appelons du nom, d'ailleurs malheureux, de droit constitutionnel.

C'est bien, en effet, par la méthode juridique, avec toutes ses démarches et ses procédés, tels que Laband les expose doctrinalement, qu'effectivement les auteurs allemands édifient la science de l'Etat.

Le premier effort en face d'une institution à expliquer doit tendre, nous l'avons vu, à la découverte du principe abstrait et logique dont elle est la réalisation concrète. Et en effet, que l'on prenne dans un traité quelconque un chapitre au hasard on verra que le premier titre que l'on rencontre est: Begriff, Begriff und Arten, Rechtsstellung, Rechtliche Natur (1). Quelque soit l'organe ou la fonction dont il s'agit c'est tout d'abord à l'établissement d'une formule fondamentale qui en est la caractéristique que l'auteur s'attaque (2). Et la méthode est si

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(1) Voici à titre d'exemple dans le Manuel de droit public, de MARQUARDSEN les titres des paragraphes par lesquels il ouvre ses différents chapitres, sur l'Orga nisation politique, ou les Fonctions de l'Empire : § 5. Der Kaiser, I. Begriff und juristische Natur des Kaiserthums; 6. Der Bundesrath. I. Begriff und staatsrechtliche Stellung ; 7. Der Reichstag. I. Begriff und staatsrechtliche Befugnisse ; 8. Die Reichsbehörden. I. Begriff und staatsrehtliche Stellung; 9. Die Reichsbeamten. I. Begriff der Reichsbeamten ; 10. Die Gesetzgebung. 1. Der Begriff und die Erfordernisse des Gesetzes ; § 11. Die Verwaltung. I. Der Begriff; - § 12. Die Staatsverträge. I. Begriff und juristische Natur. Il y a là une règle si strictement appliquée que l'ouvrage (et il en est de même de tous les ouvrages de droit public allemand) prend un aspect rigide et comme mécanique. (2) Voyez notamment, le traité de ZoRx, das Reichs-Staatsrecht. Le Bundesrath est ainsi défini suivant les paroles du prince de Bismarck: Der repräsentant der eigentlichen Souveränetät ist der die Bundesregierungen vertretenden Bundesrath, 1. p.136. Le Reichstag est caractérisé en cette formule : « Der Reichstag ist die Vertretung des deutschen Volkes und jedes einzelne Mitglied des Reichstages ist Vertreter des ganzen Volkes », p. 168, etc.

REVUE DU DROIT PUBLIC. -T. XIV

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