Page images
PDF
EPUB

tions que soulèvent toutes primes d'exportation en elles-mêmes, notam ment de la charge, qu'elles imposent au contribuable français, de payer la prospérité d'une industrie qui fournit l'étranger, les résultats des primes accordées aux sucres sont là pour faire reculer le législateur; les primes au blé auraient un effet beaucoup plus désastreux; comme la plupart des pays sont producteurs de blés, ce n'est pas, pour le sucre, un petit nombre de pays, ce serait le monde civilisé tout entier qui ferait en sorte d'enlever à ces primes tout effet (1) ; il ne serait pas nécessaire pour obtenir ce résultat que chaque pays accordàt des primes à ses producteurs de blé, il lui suffirait de prohiber l'importation des blés français. La seule conséquences des primes serait de développer, sans lui assurer des débouchés nouveaux, une production à laquelle les débouchés font déjà défaut; la culture du blé augmenterait dans une mesure bien plus large que celle de la betterave, car le blé, pour être livré à la consommation,c'està-dire pour bénéficier des primes le jour où elles seront distribuées, est soumis à des préparations plus simples, moins coûteuses et moins longues que la betterave; il faudrait donc, pour ne pas charger outre mesure le budget, limiter les quantités appelées à benéficier des primes ou le montant des primes; si on limite les quantités, comment choisira-t-on les agriculteurs appelés à bénéficier des primes? En tous cas on ne remédiera pas au mal, puisqu'on n'empêchera la ruine que d'un nombre déterminé d'agriculteurs. Si on limite le montant des primes, on risquera de ne pas atteindre le but poursuivi, celui de procurer un bénéfice aux agricul

teurs.

L'idée suivante a été proposée. On donnerait aux céréales exportées une prime d'exportation égale au droit d'entrée perçu sur les céréales étrangères. On est sans doute partie de cette réflexion, assez spécieuse, que la différence entre le coût de la production des blés français et le coût de la production et du transport des blés étrangers étant représentée par le droit de 7 fr., une somme égale, allouée aux blés français transportés à l'étranger, les mettra en état de soutenir la concurrence. Cela n'est pas sur les blés que frappe en France le droit de 7 fr. n'ont pas à supporter, pour arriver sur les marchés étrangers, des frais de transport inférieurs à ceux qu'ils acquittent pour entrer en France; ils peuvent être livrés sur ces marchés, abstraction faite des droits de douane, au même prix que sur les marchés français, qui auront nécessairement à supporter, pour arriver sur les marchés étrangers, des frais de transport beaucoup plus forts que ceux qu'ils payent en France; en un mot, la prime, qui est l'équivalent du droit de douane, ne pourrait mettre les blés français en mesure de soutenir la concurrence que sur le marché français et non pas sur les marchés étrangers, où les blés français, à la différence des blés étrangers, doivent, pour laisser un bénéfice au producteur, être vendus plus cher qu'en France.

D'ailleurs, sur quelles ressources prendrait-on le montant des primes?

(1) Déjà, pour compenser les primes d'exportation projetées en France, le parti agrarien en Hollande a demandé l'établissement d'un droit protecteur de 1 florin (2 fr. 14) par 100 kilos sur les farines étrangères; ce droit n'a été repoussé (en juillet 1899) qu'à une infime majorité.

Sans doute sur les produits du droit de douane auquel sont soumis les blés étrangers. Mais ce droit ne donne une somme importante que si l'insuffisance de la récolte en France provoque une importation considérable; or, si la récolte est insuffisante, l'exportation doit être découragée et, au surplus, disparaîtra d'elle-même, les producteurs pouvant élever leurs prix sur les marchés intérieurs. En sens inverse si la récolte est abondante, il y aura peu d'importations; et, par conséquent, c'est quand la récolte sera supérieure aux besoins, quand les producteurs auront besoin d'exporter, que les primes, c'est-à-dire les moyens d'exporter, leur feront défaut.

Le système des bons d'importation (1) imité de l'Allemagne, paraît avoir rencontré plus de faveur (2). L'exportateur de céréales (blé, avoine, orge, seigle, maïs, fêves, féverolles, farine de blé et de fèves, malt pour brasserie) obtiendra de la douane un bon d'exportation indiquant la quantité ou le poids nets de la denrée exportée, ainsi que la somme que cette denrée aurait payée si, au lieu d'être exportée elle avait été importée; ce bon, qui sera transférable par la simple tradition, servira à acquitter les droits de douane sur les mêmes céréales importées en France. Sa validité ne pourra excéder six mois. C'est également, on le voit, une prime; ce système soulève donc toute les objections que nous avons formulées d'une manière générale contre les primes à l'exportation des blés. Mais il est supérieur au précédent, car il limite les sacrifices du Trésor; en effet, comme les bons d'importation ne sont pas remboursables en argent, c'est seulement dans les limites des droits d'entrée dus sur les céréales étrangères que les primes fonctionneront, il suffira donc, pour échapper à tout déficit budgétaire. de ne plus faire figurer au budget que pour mémoire les droits d'importation sur les céréales. Mais une remarque que nous avons faite à propos du système précédent peut-être reproduite ici pour que les primes soient réellement avantageuses, il faut qu'elles puissent profiter à des exportations considérables, dans les années où l'importance. de la récolte rend ces exportations nécessaires; or ces années sont précisément celles où les importations sont peu nombreuses, c'est-à-dire où les droits de douane ne donnent pas un produit assez important pour permettre l'allocation de primes en grande quantité. Les bons d'importation n'auront sur le marché qu'un cours insignifiant, quand on pourra crain dre que l'occasion fasse défaut au producteur ou à ses cessionnaires de se faire allouer les droits de prime. D'autre part un producteur a besoin de savoir, au moment même où il exporte, s'il a intérêt à exporter; le caractère aléatoire de la prime lui enlève toute certitude à cet égard; c'est une raison pour que les bons d'importation ne remplissent pas leur but, ne soient pas de nature à développer les exportations.

Ce sont là des dangers que les auteurs de la proposition n'ont pas vus; en revanche, ils ont attribué à leur projet un avantage qu'il n'aura peutêtre pas la production française, ont-ils dit, ayant une tendance con

(1) Proposition Debussy, Chambre, 3 juill. 1899.

(2) En Allemagne, les bons d'importation servent, non seulement, comme dans la proposi tion que nous analysons, à l'acquittement des droits de douane sur les blés importés, mais encore sur les autres marchandises.

stante à s'augmenter, les importations deviendront de moins en moins considérables, les bons trouveront donc une difficulté croissante de placement et leur prix s'abaissera de telle manière qu'il n'aura plus d'influence sur les cours du blé en France; mais les rendements de notre agriculture seront alors tels qu'elle pourra exporter sans primes. C'est une prophétie qui a peu de chances d'être sur tous les points confirmée par les faits. A supposer que les bons d'importation doivent donner à l'exportation de nos blés une extension considérable (nous venons de montrer le contraire), il arrivera effectivement que les bons d'exportation perdront peu à peu toute leur valeur, le montant des importations étant destiné à diminuer avec l'augmentation de la production. Mais comment peut-on croire que cette augmentation même de la production permettra aux producteurs de lutter plus facilement qu'aujourd'hui sur les marchés étrangers? Plus la production sera considérable, plus les prix s'aviliront. On aura beau développer les rendements par des perfectionnements dans les procédés de culture; il restera vrai, il deviendra de plus en plus vrai que l'agriculture française, obligée pour se réserver le marché intérieur, de compter sur des droits de douane, presque prohibitifs, ne pourra jamais s'emparer, sans que l'Etat lui vienne en aide, des marchés étrangers. Le système des bons d'importation fait donc valoir une tentative de justification qui se retourne contre lui; car il compte, pour réduire peu à peu les charges de l'Etat, sur un phénomène qu'il prétend provoquer et qui, s'il se produit, augmentera infiniment l'intensité de la crise qu'on veut conjurer.

L'exemple de l'Allemagne ne peut tromper que les observateurs superficiels en Allemagne, la production reste très inférieure à la consommation (1), bien qu'elle augmente d'année en année. L'Allemagne poursuit l'ambition légitime de récolter toutes les céréales qu'elle a besoin de consommer; ce n'est pas le but que recherche la France.

Ce système, dans tous les cas, ne vaut ni plus ni moins que celui des bons d'exportation. Dans ce dernier système c'est l'importateur qui, en payant les droits de douane, reçoit un bon d'exportation, transmissible par voie d'endossement, et qui permettrait d'obtenir dans les six mois de sa création le remboursement des droits en tout ou en partie si le porteur du bon justifiait avoir emporté des céréales (2). C'est, a vec une modification dans la forme, un système à peu près identique au précédent.

Les deux propositions qui précèdent créent l'une et l'autre des bons transmissibles. Ces bons peuvent donner lieu à une spéculation qui en élèvera le prix au détriment des producteurs. C'est le prétexte qu'on a donné pour proposer autre chose, la suppression de l'admission temporaire des blés soumis à réimportation et par suite des acquits à caution, qui, eux aussi, donnent lieu à un agiotage; une compensation - une large compensation — accordée aux agriculteurs par le payement de primes équivalentes aux droits de douanes (3) les primes restent donc fixées à un taux considérable, et elles sont illimitées. A la vérité, les auteurs de la proposition

(1) V. le tableau de la production de 1899, suprà, p. 510.

(2) Proposition Papelier et Fénal, Chambre, 3 juil. 1899.

(3) Proposition de Pontbriand et autres, Chambres, 3 juil. 1899.

pensent que le Trésor n'en souffrira guère, parce que nous sommes loin de produire le blé nécessaire à notre consommation. Voilà ce qu'on osait dire au moment ou le résultat de la récolte de 1899 était déjà prévu par tout le monde! L'excédent de cette récolte, destiné à l'exportation, grèverait déjà le trésor de 140 millions; que serait-ce les années suivantes, lorsque les cultivateurs, encouragés par les primes, auraient développé leur rendement et l'étendue de leurs cultures? Après tout, disent les auteurs de la proposition, « s'il était besoin d'une prime, on ne pourrait refuser aux producteurs de blés ce qu'on a accordé aux producteurs de sucres. » Il était, en effet, à prévoir et nous avions prédit depuis longtemps que tous nos producteurs demanderaient, dès que le marché national leur ferait défaut, à partager la faveur dont jouissent les producteurs de sucre. Mais au moins les primes allouées au sucre sont elles limitées et ne tombent-elles pas directement à la charge du Trésor.

Une autre proposition est plus modeste dans sa forme, mais provoque des objections peut-être beaucoup plus graves encore; il s'agirait, tout en maintenant les droits de douane actuels, de donner au gouvernement le droit d'abaisser ou d'élever par simple décret ces droits, en tenant compte du rendement en blé de la production nationale, de l'importation et de l'exportation, et enfin des cours moyens des marchés français, de manière à maintenir « autant que possible » le prix courant du blé entre 20 et 22 fr. les 100 kilos (1); on a cru fournir ainsi au gouvernement un moyen sûr d'éviter à la fois la concurrence étrangère, qui abaisse les prix, et la spéculation qui les élève.

Ce qui est plus surprenant, c'est qu'on a pensé que, par ce moyen, l'agriculture vendrait toujours ses blés à un prix remunérateur, qu'en un mot il n'y aurait plus jamais d'excès de production. Nous venons de dire que, comme l'ont compris les auteurs de plusieurs autres propositions, des droits de douane ne font pas vendre les blés indigènes dès lors que la quantité produite est supérieure aux besoins de la consommation nationale; la proposition n'empêche pas cette éventualité de se produire; elle la rend même plus frequente, car, ainsi que nous allons le montrer, la concurrence étrangère se trouvera diminuée; il résultera de là que dans les années de déficit, les cultivateurs français pourront élever leurs prix dans des proporportions considérables malgré la suppression temporaire des droits de douane, cette perspective est de nature à développer les cultures, et à rendre ainsi plus intense la crise qui se produira dans les années ordinaires, celles où la production dépassera la consommation. Le gouverne ment ne peut pas décréter que le prix du blé ne restera point au-dessous d'un chiffre déterminé ; l'abondance des produits à vendre sera une cause irrésistible d'avilissement de prix. Ainsi, plus encore qu'aujourd'hui, les prix s'abaisseront.

Et, d'autre part. ils s'élèveront plus qu'aujourd'hui dans les années où

(1) Proposition Andrieu et Gouzy, Chambre, 3 juil. 1899 ; une autre proposition à peu, près identique fixe le prix à 25 fr., proposition Gulle net et Denécheau, Chambre 20 juin 1898.

la récolte du pays se trouvera inférieure à la consommation; aujourd'hui, l'importation étrangère supplée à cette insuffisance, tout au moins si les récoltes étrangères ne sont pas, elles aussi, en déficit; mais déjà l'instabilité des tarifs, due au droit qu'a le gouvernement d'abaisser ou supprimer (en vertu de la loi du 29 mars 1887) ou d'élever (en vertu de la loi générale du cadenas) provisoirement le droit, fait souvent reculer les importa teurs; que sera-ce lorsque le gouvernement, soustrait désormais à la nécessité de faire ratifier ses décisions par les Chambres, pourra modifier les droits sans contrôle, et devra même le faire continuellement pour maintenir les prix dans une limite déterminée ! Ce n'est pas seulement une élévation des prix qui sera à craindre, ce sera une insuffisance des produits offerts à la consommation, c'est-à-dire la famine.

Ce droit du gouvernement est d'ailleurs une nouveauté, et appelle la réflexion; il était, dans la proposition dont nous parlons, indispensable. car on ne peut raisonnablement mettre en mouvement l'appareil législatif à des intervalles très fréquents pour apprécier l'opportunité d'un décret rendu. Mais c'est aux Chambres seules qu'il appartient de régler, dans un ordre que détermine la constitution (art. 8 de la loi du 24 février 1875) tout ce qui concerne les impôts; elles ne peuvent donc, par une loi votée dans la forme ordinaire, déléguer ce droit au gouvernement. Déjà le cadenas a soulevé, dans cet ordre d'idées une objection; mais au moins peuton dire que la décision du pouvoir exécutif est provisoire et n'a d'existence véritable que par la loi qui la ratifie.

On se demande aussi comment le gouvernement devra s'y prendre pour déterminer le prix du blé et modifier en conséquence les tarifs. Le prix du blé sera, d'après la proposition, fixé sur chaque marché important par une commission spéciale » qu'organisera un décret. Quelle sera la garantie contre les erreurs de la commission? Quels seront les marchés réputés importants?

On sait, d'autre part, que les prix sont loin d'être les mêmes partout; il y a souvent des écarts de 2 ou 3 fr. par hectolitre entre les prix des différents marchés français; fera-t-on une moyenne? Nous ne parlons pas des tâtonnements auxquels donnera lieu l'obligation imposée au gouvernement; de jour en jour, il faudra modifier les droits pour maintenir l'unité des prix, l'expérience ne serait ici d'aucune utilité, tant sont nombreux les éléments qui influent sur le prix d'une denrée.

Il est enfin arbitraire de fixer à l'avance le prix courant que le gouvernement devra s'efforcer de maintenir; on s'est arrêté au chiffre de 20 à 21 fr. parce qu'on a considéré que ce prix présente le double caractère d'être rémunérateur et de ne pas procurer au producteur un bénéfice trop considérable, dont les consommateurs les plus intéressants feraient les frais. Mais si le chiffre fixé répond aux conditions de la production quand la récolte est normale, il est loin d'y répondre toujours. Comme nous l'avons fait observer autrefois, il y a des années dans lesquelles, à raison de la quantité ou du poids exceptionnel de la récolte, les cultivateurs, en vendant leur blé beaucoup moins cher, font un bénéfice; il y en a eu d'autres dans lesquelles le déficit ou la mauvaise qualité de la récolte les

« PreviousContinue »