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3. UN MOYEN D'ÉVITER LES AUGMENTATIONS DE DÉPENSES. On a souvent remarqué que la difficulté d'équilibrer le budget et l'augmentation constante des dépenses tient principalement aux relèvements de crédits votés par les Chambres, et plus particulièrement par la Chambre des députés, sur les chiffres proposés par le gouvernement; dans ces dernières années, les relèvements annuels ont été en moyenne de 9 millions, et comme la plupart de ces remboursements ont été définitifs, et ont pesé sur les budgets ultérieurs, ils ont été la principale des raisons pour lesquelles les dépenses, en cinq ans, de 1895 à 1900, ont augmenté de près de 100 millions. D'un autre côté, les relèvements supposent une multitude d'amendements dont la discussion retarde le vote du budget; ces amendements ont été au nombre de 406 pour le budget de 1897, de 547 pour celui de 1898, de 387 pour celui de 1899. On a donc vu grandir l'idée que nos députés, n'ayant pas une liberté suffisante vis-à-vis de leurs électeurs, devaient se lier eux-mêmes les mains et se mettre par avance dans l'impossibilité de relever les crédits proposés par le gouvernement. C'est une résolution de ce genre qui a éte prise par la Chambre dans la discussion du budget de 1900 (1). Elle a décidé que, en ce qui touche la loi du budget, aucun amendement ou article additionnel tendant à augmenter les dépenses ne peut être déposé après les trois séances qui suivent la distribution du rapport dans lequel figure le chapitre visé; aucune proposition tendant soit à des augmentations de traitements, d'indemnités ou de pensions, soit à des créations de services, d'emplois, de pensions ou à leur extension en dehors des limites prévues par les lois en vigueur, ne peut être faite sous forme d'amendement ou d'article additionnel.

Cette courageuse résolution, autour de laquelle on a fait grand bruit, et qui a valu à la Chambre, dans la presse, d'unanimes éloges, n'est pas peut-être sans soulever, à divers points de vue, des objections.

D'abord, remarquons qu'elle a été votée après la discussion complète du budget de 1900, c'est-à-dire à un moment où la Chambre était sûre de ne s'enchaîner que pour les années suivantes; on peut craindre que le jour où on lui opposera directement sa résolution pour l'empêcher de voter une augmentation de dépenses, elle ne passe outre ; à supposer que, par un sentiment de pudeur que nous lui souhaitons, la Chambre se croie liée pendant quelques années, elle perdra sans doute tôt ou tard le souvenir de sa résolution.

En second lieu cette résolution est platonique; elle autorise, il est vrai, le président à refuser de mettre en discussion les propositions visées par la résolution; mais la Chambre a toujours le droit de ne pas tenir compte de la décision qu'elle a prise. Il en aurait été autrement s'il s'était agi d'une loi véritable; et c'est sous cette dernière forme que la Chambre avait été tout d'abord appelée à trancher la question. Mais bien qu'on n'ait pas indiqué les motifs pour lesquels la proposition de loi s'est trouvée transformée en proposition de résolution, ce motif est facile à déterminer. Une loi

(1) Sur l'initiative de MM. André Berthelot, Rouvier et Almond. V. Chambre, 15 mars 1900, Journ. Offic. du 16, pp. 889 et s. Chambre, 16 mars 1900, Journ. Offic. du 17; PP. 901 et s.

aurait nécessité le vote du Sénat; sans aucun doute le Sénat, à supposer qu'il fût dans les mêmes dispositions que la Chambre, se serait refusé à voter une résolution limitant les droits de la Chambre seule en matière d'augmentation de dépenses, car il aurait craint de paraître renoncer à la revendication constante qu'il fait du droit de voter les augmentations de dépenses (1); et d'autre part, si une loi limitait à la fois les droits des deux Chambres en matière d'augmentation de crédits, elle consacrerait implicitement les droits du Sénat, alors que la Chambre ne cesse de les contester. Cette loi, d'ailleurs, aurait été, selon nous, contraire à la constitution; car il ne semble pas que les Chambres puissent se refuser à ellesmêmes, dans une mesure quelconque, le droit de légiférer, ce droit leur étant accordé en termes absolus par la constitution. La résolution votée par la Chambre est plus contraire encore à la constitution, car une modification aux attributions du pouvoir législatif, à supposer qu'elle puisse être votée, ne peut l'être que sous forme de lois, la constitution ne reconnaissant d'autres dispositions législatives que les textes votés par les deux Chambres.

Dans tous les cas, la résolution prise par la Chambre a un résultat des plus singuliers; c'est qu'en matière budgétaire, et pour les augmentation de crédits, la Chambre se refuse désormais des droits que le Sénat continue à s'attribuer, alors cependant que la Chambre se reconnaît à elle seule la faculté d'augmenter les crédits proposés par le gouvernement.

4. SUR LE CARACTÈRE JURIDIQUE des douzièmes PROVISOIRES. - Dans le cours de la discussion des douzièmes provisoires d'avril et mai 1899, il s'est élevé, entre le rapporteur général de la commission du budget à la Chambre, d'une part, le rapporteur général de la commission des finances au Sénat et le ministre des finances, d'autre part, un débat très vif qui montre à quel point la nature juridique des douzièmes provisoires et les droits qu'ils donnent au gouvernement sont encore mal déterminés.

Le rapporteur de la Chambre a émis l'idée que, sous le régime des douzièmes provisoires comme sous celui de la loi de budget, le gouvernement peut, non seulement continuer les travaux commencés, mais engager, dans la limite des crédits qui lui sont ouverts, des travaux nouveaux, et la raison qu'il en a donnée c'est que « les douzièmes provisoires forment une fraction indivisible d'un budget qui n'est pas encore définitivement voté, mais qui n'en conserve pas moins, à tous les autres égards, les caractères habituels de tous les budgets ». Il allait jusqu'à soutenir que le gouvernement peut faire état, «en cas d'entente entre le parlement et lui, des décisions de la commission du budget et de la Chambre, qui n'ont pas encore reçu la sanction légale définitive ». Et il précisait plus nettement encore sa pensée en disant: «Les seules dépenses que l'administration doive réserver sont celles pour lesquelles elle s'est vu refuser cette première approbation, ou ne l'a pas sollicitée » (1).

(1) V. infra, n° 6.

(2) Rapport Pelletan à la Chambre. V. aussi Chambre, 23 mars 1899, J. Off. du 24, Déb. parl. P. 1067.

Le ministre des finances a fait ses réserves au sujet de cette doctrine, que le rapporteur du Sénat a très vivement combattue. Suivant ce dernier «< les douzièmes provisoires ne sont qu'un expédient financier permettant de ne pas arrêter la marche des affaires publiques ». A ses yeux, les douzièmes provisoires sont la continuation du budget de l'exercice antérieur. « Tout. ce qui a été autorisé par les lois de finances des exercices antérieurs peut et doit se continuer, dans la limite des sommes prévues aux lois des douzièmes bien entendu, mais aucune œuvre nouvelle non votée ne peut être commencée, aucun engagement nouveau ne peut être pris par le gouvernement sans autorisation expresse des deux Chambres. S'il en était autrement, que deviendrait le vote des dépenses par le Parlement ? Une formalité sans objet. Ce serait l'abandon des finances du pays à la seule volonté du gouvernement. Il est à peine besoin d'insister. La doctrine est si absolue que des articles sont insérés dans la loi des douzièmes, sorte de loi de finances partielle, pour autoriser le gouvernement à entreprendre certains travaux neufs, et à prendre certains engagements dont l'ajournement aurait des conséquences tout à fait périlleuses »> (1).

Chacune de ces deux doctrines contient, à notre avis, une part de vérité, mais nous ne pensons pas que l'une ni l'autre soit exacte.

Nous penchons à croire que, comme l'admettait le rapporteur de la Chambre, la loi des douzièmes est non pas la continuation de la loi des finances de l'exercice antérieur (ni, à plus forte raison, comme semble le dire le rapporteur du Sénat, la continuation des lois de finances des exercices antérieurs), mais la loi de finances de ceux des mois de l'exercice courant auxquels elle s'applique, c'est-à-dire un fragment quant au temps de la loi de budget de cet exercice. En un mot, les lois des douzièmes et la loi du budget sont toutes deux des lois de budget, les premières pour les premiers mois, la seconde pour les autres mois. Si la loi des douzièmes était la suite du budget précédent, elle se présenterait ellemême comme donnant au gouvernement le droit de continuer la perception des recettes et le service des dépenses instituées par la précédente loi des finances; or, sans faire aucune mention de cette loi, elle ouvre les crédits, et elle décide que « la perception des impôts indirects et des produits et revenus publics continuera d'être opérée jusqu'au..., conformément aux lois en vigueur », c'est-à-dire conformément aux lois, indépendantes du budget, qui ont établi ces impôts. Du reste, alors même que la loi des douzièmes se bornerait à déclarer que la loi des finances de l'exercice antérieur continuera à être appliquée, elle n'en constituerait pas moins une loi indépendante édicter la prolongation d'application d'une loi, c'est faire une loi nouvelle, qui adopte simplement les bases de la précédente. Il y a lieu de se demander, enfin, s'il ne serait pas contraire à la Constitution de prolonger au delà d'une année la durée d'application d'une loi budgétaire; l'annalité du budget n'est sans doute pas écrite dans les lois budgétaires; mais si c'était ici le lieu, nous croirions pouvoir établir qu'en matière budgétaire, il existe beaucoup de principes qui, sans (1) Rapport Prevet au Sénat.

être inscrits dans les lois constitutionnelles en vigueur, ont la valeur de règles constitutionnelles, et que l'annalité est du nombre.

La loi des douzièmes est donc un fragment du budget de l'exercice. Elle se rattache tellement peu au budget antérieur qu'elle ne manque jamais de décider qu'un décret répartira les crédits entre les ministères et les chapitres, au lieu d'adopter, au sujet de cette répartition, les bases posées par le budget antérieur. Ce qui démontre encore ce que nous avançons, c'est la proposition qui, dans les lois des douzièmes, suit immédiatement celle dont nous venons de parler. « Ils (les crédits ainsi répartis) se confondront d'ailleurs avec les crédits qui seront accordés pour l'année entière par la loi de finances de l'exercice... >>

Il faut cependant préciser ce point que si la loi de budget est applicable seulement à la période de l'année qui suit sa promulgation, elle constitue en même temps. pour la période écoulée, la régularisation de la loi des douzièmes. La loi des douzièmes ne se suffit à elle-même qu'en ce qui concerne l'autorisation provisoire donnée au gouvernement de faire les recettes, les dépenses, la répartition des crédits. Le mot provisoire figure dans ces lois, et c'est à raison de leur caractère provisoire que les crédits sont indiqués dans les mêmes lois comme destinés à se confondre avec ceux qu'établira la loi de finances.

Cette dernière observation a un effet important : bien que les douzièmes, comme leur nom l'indique, ne soient jamais accordés que pour des périodes indivisibles d'un ou plusieurs mois, leur caractère provisoire fait que le budget, aussitôt publié, est applicable, alors même que le mois pour lequel a été voté le dernier douzième provisoire ne serait pas expiré. Cela est admis sans difficulté dans la pratique, bien que la loi de budget ne dise jamais à partir de quelle époque elle entrera en vigueur. La répartition des crédits, telle qu'elle a été opérée par le gouvernement, la fixation du total des crédits par la loi des douzièmes, l'autorisation de percevoir les impôts sur les bases des lois antérieures, cessent donc de produire leur effet dès que le budget est publié.

Mais, dès lors que la loi des douzièmes est une loi indépendante du bud. get antérieur, elle permet au gouvernement, aussitôt qu'elle est volée, non seulement de continuer l'engagement des crédits ouverts antérieurement, mais de faire des dépenses nouvelles; sur ce point le rapporteur de la Chambre nous paraît avoir raison. Ce droit, que le gouvernement tire de la loi des douzièmes, n'a rien à faire avec celui que lui accordait la loi précédente des finances, et qui est d'ailleurs épuisé par l'expiration de l'année à laquelle s'appliquait cette dernière loi. Du reste la loi des douzièmes donne, en termes très larges, comme nous l'avons vu, au gouvernément, le droit de répartir les crédits par ministères et par chapitres; le gouvernement reçoit ainsi du pouvoir législatif la délégation du droit de répartition qui appartient à ce pouvoir et dont il use lui-même dans la loi du budget. Que cette délégation soit constitutionnellement valable, c'est ce qui nous paraît indéniable, et ce que nous n'avons pas à examiner ici; ce qui est sûr, c'est qu'elle existe et que, par suite, le gouvernement, sous la seule condition de ne pas dépasser le montant des crédits, peut répartir

ees crédits comme il l'entend; cela signifie qu'il peut user, même pour des travaux neufs, des crédits qu'il a placés dans un chapitre déterminé ; cela signifie même qu'il peut créer des chapitres nouveaux, c'est-à-dire engager des crédits s'appliquant non seulement à des travaux neufs, mais à des dépenses de nature nouvelle, ne se rattachant en aucune manière à des catégories existantes. Cela est grave évidemment, mais cela est certain, puisque les Chambres donnent provisoirement au gouvernement les droits qui leur appartiennent. Et nous croyons même que, malgré ce caractère provisoire, la loi du budget ne peut supprimer un crédit ainsi ouvert par le gouvernement et suivi d'exécution. Le budget ne fait que régulariser pour le passé les lois des douzièmes; régulariser n'est pas confirmer ou abroger; la régularisation est simplement la refonte des lois des douzièmes, leur confusion avec la loi du budget, la fixation de crédits et l'évaluation de revenus pour l'année entière, comprenant le passé et l'avenir. C'est seulement pour les crédits non encore ordonnancés que la loi du budget se substitue entièrement aux lois des douzièmes.

Sans doute il y a là, comme le disait le rapporteur du Sénat «< l'abandon des finances du pays à la seule volonté du gouvernement », mais cet abandon est écrit textuellement, comme nous l'avons montré, dans la loi des douzièmes.

Il est d'ailleurs logique, et, en outre, il devrait être regardé comme ayant été consenti au gouvernement alors qu'il ne serait pas mentionné dans la loi. D'une part, il est impossible que des dépenses urgentes soient empêchées par l'impuissance des Chambres à voter le budget dans le temps voulu, alors que certaines dépenses non urgentes pourront être effectuées sans difficulté, et, du reste, on n'a pas à craindre que le gouvernement abuse de son droit, car il est, à cet égard, soumis à la même responsabilité, devant les Chambres, que dans tous les autres actes réguliers qu'il accomplit; osera-t-on se plaindre des inconvénients de la latitude accordée au gouvernement, alors que les Chambres restent en session pour voter

le budget et sont ainsi en mesure d'exercer une surveillance constante sur le gouvernement ? Le gouvernement n'a-t-il pas le droit, beaucoup plus grave, d'ouvrir certains crédits additionnels en l'absence des Chambres ? Sans doute ce dernier droit a dû lui être attribué par la force même des choses, mais n'en est-il pas de même du premier ?

D'autre part, dès lors que la loi des douzièmes attribue au gouvernement le droit d'ouvrir des crédits, en fixant seulement leur total, elle lui permettrait nécessairement par là, si même elle ne le disait pas, de répartir les crédits comme il l'entendrait.

Mais le rapporteur de la Chambre a eu tort d'affirmer que les décisions de la commission du budget et de la Chambre, non converties encore en lois peuvent, dès la loi des douzièmes provisoires, être exécutées par le gouvernement. On comprend que cette doctrine ait été combattue au nom du Sénat. D'abord elle accorde à la Chambre sur le Sénat une suprématie qui ne lui appartient pas; elle attribue, en effet, aux décisions de la Chambre un effet immédiat alors que les lois financières, comme les autres lois, ne tirent leur efficacité que de l'accord des deux Chambres. Ensuite, elle

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