Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

fierté est la force des petites nations. La majorité du peuple a protesté aussi contre la publication de la correspondance de la Reine avec le Pape à la fin de la Conférence et contre la correspondance elle-même. La lettre de la Reine n'a pas été contresignée par un ministre; ce qui peut paraître inconstitutionnel, car il s'agissait bien d'un acte politique; le ministre des affaires étrangères a pris la responsabilité sur lui et il paraît que les princes, dans leur correspondance, même politique, ne se servent jamais que de leur propre signature, Le même ministère a fait valoir aussi qu'il était de coutume de demander au Pape son appui moral, quand les circonstances s'y prêtaient ; que cela s'était fait pour d'autres conférences, notamment celle convoquée à Berlin par l'Empereur d'Allemagne pour étudier les questions sociales, etc...; ces raisons-là sans doute étaient suffisantes, mais le Pape a profité de la bienveillance de la Reine pour maintenir toutes ses anciennes prétentions et pour dire qu'il aurait bien pu donner encore un autre appui qu'un appui simplement moral. Voilà ce qui a froissé le peuple. Il y a d'ailleurs beaucoup de raisons pour croire que le ministre des affaires étrangères a, par cette complaisance envers les catholiques, voulu affermir son pouvoir menacé.

Beaucoup de gens, même parmi les non-catholiques, croient que le Pape a des droits historiques au rôle d'arbitre universel, mais la vérité est que, déjà au commencement du moyen âge, son autorité comme juge suprême allait en diminuant. Son idéal, qui est de réunir tous les pays de la chrétienté en un seul royaume sous son autorité suprême, n'a jamais été réalisé. Charlemagne y touchait, mais après sa mort son royaume fut partagé; depuis, Henri IV aussi a rêvé d'une monarchie qui embrasserait le monde chrétien ; le dernier effort en ce sens a abouti à la défaite de la maison des Habsbourg dans la guerre de Trente ans ; la paix de Wesphalie a donc fait sombrer pour toujours les plans du Pape. Si le Pape n'avait jamais eu de conflit avec l'Empereur, qui par son épée devait assurer l'exécution de ses arrêts, s'il avait respecté un peu plus la souveraineté et l'indépendance des pays qui devaient former son royaume universel, si la Réforme n'était pas venue, peut-être aurait-il réussi. Mais son ambition de s'emparer du pouvoir temporel l'éloignait des empereurs, son désir d'abaisser les pays souverains au rôle de simples provinces d'une monarchie dont il serait le seul souverain et dès lors le juge suprême, et les abus dans lesquels tomba l'Eglise et qui firent naître la Réforme, ont fait que l'histoire a marché en sens inverse. Maintenant le droit des gens a remplacé pour toujours le droit canonique. Le Pape, qui après 1870 n'est plus un sujet du droit des gens et n'a plus ni territoire, ni armée, ne peut plus jouer un rôle actif sur le terrain du droit international. S'il abandonnait pour toujours ses prétentions au pouvoir temporel, on pourrait se servir peut-être de son autorité de prêtre, quoique chaque invitation au Pape de se charger d'un arbitrage ne puisse servir qu'à lui faire nourrir de vains espoirs. Le Pape ne voit dans cette invitation qu'une reconnaissance de sa souveraineté temporelle, supérieure à toute autre souveraineté et cela n'est pas sans danger. Il est vrai que Bismarck s'est adressé à lui pour juger le différend avec l'Espagne au sujet des Carolines, mais Bismarck à ce moment avait

besoin du Pape. Déjà, au dix-septième siècle, la médiation du Pape a été refusée pour la conclusion de la paix de Nimègue (1678) et de la paix de Ryswyck (1697). Ce n'étaient pas les nations protestantes seulement, l'Angleterre et les Pays-Bas,qui rejetaient alors ses offres, mais aussi la France; ce fait prouve surabondamment que le Pape ne fait que renouveler des prétentions surannées en réclamant encore le droit de juger les différends entre les peuples ou de s'en occuper.

2. LOIS MILITAIRES. Sur le terrain de la législation militaire, négligée trop longtemps, l'année écoulée a vu faire des progrès sérieux. Nous avons raconté déjà, dans notre dernière chronique, comment, malgré l'opposition véhémente des catholiques, le service personnel et obligatoire a été substitué à la fin au système vicieux du remplacement. Cependant, après le vote, tous les catholiques n'ont pas accepté leur défaite : ils ont cherché, pour la plupart, des moyens de se soustraire à la loi et l'un d'eux, M. Coolen, un notaire, a été assez ingénieux pour trouver dans la loi même du 19 août 1861 (B. d. L., no 72) sur la milice nationale, modifiée par la loi du 2 juillet 1898 (B. d. L., no 170) un moyen d'échapper au service personnel. Il a donc continué à faire d'une question seulement militaire une question catholique et cléricale. Beaucoup de catholiques intelligents et indépendants ont désapprouvé cette conduite; parmi eux, deux députés, MM. Schapman et Nolem. Voici en quoi consistait le plan Coolen. Là où il y a un nombre suffisant de volontaires pour compléter le contingent, personne n'est obligé de servir. Il fallait donc augmenter le nombre des volontaires par des moyens artificiels et ces moyens étaient des subsides de la caisse communale. Heureusement le gouvernement a été vigilant et actif C'étaient les communes catholiques de Tilburg et de Helvoort qui avaient donné l'exemple et leurs résolutions avaient été approuvées par les Etats députés du Brabant. Mais par deux décrets du 14 février 1899, (B. d. L., nos 71 et 72) la Reine a cassé les résolutions de ces Etats. Il est vrai, dit-elle, qu'un décret royal du 17 décembre 1861 (B. d. L., no 127) prescrit aux communes de favoriser l'enrôlement volontaire, mais ce décret n'autorise pas des dépenses dans ce but. Il n'y a pas de loi qui impose aux communes des dépenses de ce genre et dès lors les communes doivent se borner aux besoins communaux. Cette mesure toutefois n'a pas paru suffisante. Le gouvernement a voulu tarir le mal dans sa source: la Reine a proposé de modifier la loi déjà citée sur la milice nationale. C'est ce qui a été fait par la loi du 22 juillet 1899 (B. d. L.,no 174). On a rayé entre autres de l'article 1er de la première loi les mots : « la milice, autant que possible, sera composée de volontaires ». Comme le nombre de ces volontaires était minime, les inconvénients pratiques de la mesure n'ont pas été graves. On a rompu toutefois avec la tradition historique de la Constitution qui a toujours voulu qu'on comptât d'abord sur les volontaires (1).

(1) L'article 181 de la Constitution est ainsi conçu Pour protéger les intérêts de l'Etat il y a une force armée de mer et de terre, composée de volontaires et de ceux qui sont obligés de servir. La loi règle le service obligatoire. Elle règle aussi les devoirs qui peuvent être imposés pour la défense du pays à ceux qui ne font pas partie de la force armée ». Comment a-t-on pu supprimer les volontaires sans violer la Constitution? La marine reste

Une seconde loi très importante est celle du 23 mai 1899, (B. d. L., no 128) contenant des prescriptions pour exécution de l'article 187 de la Constitution (1). La loi fait la distinction ordinaire entre l'état de paix, l'état de guerre et l'état de siège. Dans certains cas la déclaration de l'état de guerre ou de l'état de siège peut être faite par le pouvoir militaire, mais ordinairement c'est à la Reine seule qu'il appartient de la faire. Cette déclaration doit être confirmée par une loi, sauf le cas d'une invasion ennemie. Le pouvoir donné aux autorités militaires, quand elles remplacent les autorités civiles, est presque illimité et cela peut être indispensable, mais alors une bonne organisation de la juridiction militaire est la seule garantie qui reste aux citoyens contre les excès militaires. Il me semble donc que la loi devrait établir des bases plus larges et plus solides pour cette juridiction qu'elle ne le fait dans l'article 40, en établissant surtout qu'il y aura toujours des éléments civils dans tous les tribunaux militaires et que les jugements devront toujours être motivés. Il me semble aussi que la loi aurait dù contenir quelque article donnant pouvoir aux autorités militaires de proclamer des moratoria et de faire surseoir aux payements.

La loi dont nous parlons et qui paraît indispensable à tout pays bien gouverné est la première de ce genre depuis la restauration de la Maison d'Orange en 1813. Pendant tout ce temps nous nous sommes contentés de la loi du 10 juillet 1791 et du décret impérial du 24 décembre 1811, c'est-àdire d'un reste de la législation napoléonienne, qui n'était plus du tout en rapport avec la Constitution et même qui était peut-être abolie depuis longtemps. Voilà comment le législateur tarde souvent aux Pays-Bas à faire ce qu'il faut. Cette législation napoléonienne était fort bonne dans son temps. Napoléon toutefois proclamait assez souvent l'état de siège pour des raisons purement politiques et cela n'est plus permis.

entièrement composée de volontaires, tous les officiers servent volontairement. Enfin il y a encore une espèce de volontariat sous une autre forme, qu'on appelle cadre de réserve. (1) Afin de maintenir la sûreté extérieure ou intérieure chaque partie du pays peut être déclarée en état de guerre ou en état de siège par la Reine ou en son nom. La loi indique dans quels cas cela peut être fait, de quelle manière et quelles en seront les conséquences. Dans cette règlementation (légale) il peut être dit que les pouvoirs constitutionnels de l'antorité civile en ce qui concerne l'ordre public et la police seront dévolus, en tout ou en partie, aux autorités militaires et que les autorités civiles leur seront subordonnées. Dans cette même loi il est permis de déroger aux articles 7, 9, 158 et 159 de la Constitution. En cas de guerre il peut être dérogé aussi au premier alinéa de l'article 156 de la Constitution. Voici le texte des articles cités dans l'article 187 de la Constitution : Article 7.

--

Personne n'a besoin d'une autorisation préalable pour publier, par le moyen de la presse, des idées ou des sentiments, sauf la responsabilité de chacun devant la loi (Code pénal).

Article 9. Le droit des habitants du pays de s'associer et de se réunir est reconnu. La loi règle et limite l'exercice de ce droit dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 158.

--

Il est permis d'entrer dans une maison contre la volonté de l'habitant, mais seulement dans les cas spécifiés par une loi en vertu d'une autorisation spéciale ou générale d'un pouvoir indiqué par la loi.

La loi règle les formes à observer dans l'exercice de ce pouvoir.
Article 159.

[ocr errors]

Le secret des lettres confiées à la poste ou à quelque autre institution publique qui les transporte est inviolable, sauf sur l'ordonnance du juge, dans les cas prescrits par la loi.

Article 156 (1" alinéa).

la loi lui donne.

Personne ne peut être détenu sans la volonté du juge que

En troisième lieu nous avons la loi du 22 juillet 1899 (B. d. L., no 175) modifiant la loi du 14 septembre 1866 (B. d. L.,no 138) concernant le logement et l'entretien des troupes. Cette modification a été de peu d'impor.

tance.

-

3. RELATIONS AVEC L'ÉTRANGER. Plusieurs traités sont venus consolider nos bonnes relations avec l'étranger. Entre autres, un traité de commerce et d'amitié du 22 septembre 1897 avec les Etats-Unis du Mexique. Ce traité n'a été ratifié que par la loi du 8 avril 1899 (B. d. L., no 92) et publié en vertu d'un décret royal du 11 août 1899 (B. d. L., no 200). On se demande la cause de ce grand retard. Dans l'article 6, la largeur de la mer territoriale est fixée à 20 kilomètres à compter de la ligne de la marée la plus basse, et l'article 16 élève les règles du droit international privé au même rang que les règles du droit des gens. Pour le reste, il n'y a que les stipulations ordinaires.

Les autres conventions traitent surtout de l'extradition. Dans le traité avec l'Angleterre conclu à Londres, le 26 septembre 1898, pour remplacer le traité du 19 juin 1874 et publié en vertu du décret royal du 2 janvier 1899 (B. d. L., no 15), l'extradition des citoyens du pays n'est pas formellement exclue. Il est dit seulement, dans l'article 3, que chaque gouvernement peut la refuser à volonté; mais, l'article 4 de la Constitution (1) ne reconnaissant la possibilité de l'extradition que pour les étrangers, la Grande Bretagne ne pourra jamais compter sur quelque prévenance de notre part tant que cet article existera. De même une loi du 6 avril 1875 (B. d. L., no 6), modifiée par la loi du 15 avril 1886 (B. d. L., no 64) et rendue en exécution dudit article 4 de la Constitution, ne connaît que l'extradition des étrangers, tandis que chaque traité d'extradition doit s'y conformer.

4. FINANCES. Sur le terrain des finances, la mesure la plus intéressante a été l'abolition de tous les droits exigés par l'Etat pour l'usage des chaussées, canaux, ports, écluses et ponts, par la loi du 22 juillet 1899 (B. d. L., no 173). Ces droits pesaient surtout sur les petites gens. Dans quelques cas, ces droits ont dû être maintenus pour respecter les droits de tierces personnes; mais là où l'Etat n'était pas lié par un contrat, il a abandonné ses prétentions. En revanche, les droits de la même nature exigés par les provinces et les communes sont restés. La loi dont il s'agit a été signée par les cinq ministres intéressés dans la mesure, à savoir les ministres des finances, du Waterstaat (2), de la guerre, de la marine et des affaires intérieures.

La loi du 29 juin 1899 (B. d. L., no 148), concernant un emprunt de 53 millions à conclure par l'Etat, contient une clause d'amortissement

(1) Voici la traduction de cet article 4: Tous ceux qui se trouvent sur le territoire du royaume ont les mêmes droits à la protection de leurs personnes et de leurs bieus. La loi règle l'admission et l'expulsion des étrangers et les conditions générales sur lesquelles des traités concernant leur extradition peuvent être conclus avec des puissances étrangeres ». (2) Nous rappelons que le mot Waterstaat est spécialement néerlandais et embrasse tous les soins qui concernent le sol, tant pour le défendre contre les eaux envahissantes que pour le rendre propre aux communications par le moyen de ponts, chaussées, etc.

annuelle et obligatoire, qui, à notre avis, ne vaut pas grand'chose en réalité. Pour la mettre à exécution, il faut, en effet, qu'une certaine somme soit portée tous les ans au budget; or, le budget est dressé par une loi, et une loi postérieure peut déroger à une loi antérieure ; le législateur du budget peut donc annuler la prescription du législateur de la loi dont il s'agit.

En troisième lieu, je veux citer l'article 5 de la loi du 29 juin 1899 (B. d. L., no 149) sur les pensions civiles. Les pensions, y est-il dit, ne dépendront pas de la manière dont les employés ont été congédiés. Cette mesure me paraît juste et humaine souvent un employé est congédié honorablement, quoiqu'il ne le mérite pas, parce qu'on ne veut pas le priver d'une pension au paiement de laquelle il a contribué.

Nous avons raconté autrefois comment le budget de la guerre avait été dépassé, de bonne foi, de plus d'un million; cette irrégularité a donné lieu à la loi du 29 décembre 1898 (B. d. L., no 279), qui a pour but d'améliorer notre comptabilité. Les dépenses pour l'équipement des sousofficiers et des soldats de l'armée et des maréchaussées et le contrôle sur les provisions d'habits et d'objets d'équipement dans les magasins du département de la guerre sont délégués directement à la Cour des comptes. Cette prescription, qui existe déjà depuis longtemps aux Indes orientales, nous paraît d'une très grande importance. Tout ce qui regarde le contrôle des finances doit être concentré dans les mains de la Cour des comptes. Dans l'article 7 de cette loi, il est dit que cinq des articles auront force de loi au 1er janvier 1900 et que le sixième entrera directement en vigueur. Il me semble que la loi aurait dû étendre la dernière clause à l'article 7 aussi. Comment l'article 6 peut-il entrer en vigueur directement en vertu de l'article 7, si cet article 7 lui-même ne l'est pas encore ? 5. COLONIES. Plusieurs mesures très importantes, relatives aux colonies, ont été prises. Par la loi du 19 mai 1889 (B. d. L., no 121), nous avons changé l'article 109 du règlement sur le mode de gouvernement des Indes néerlandaises, publié le 2 septembre 1845 (B. d. L., n° 129) (1). Ce règlement forme, en quelque sorte, la Constitution des Indes Orientales et contient plusieurs articles tirés de la Constitution de la métropole. Il s'agissait maintenant de prendre une mesure en faveur des Japonais. Nous avons conclu avec le Japon un traité de commerce et

[ocr errors]

(1) Voici maintenant le texte de l'article 109 modifié : « Les décisions de ce règlement et de tous les autres règlements généraux, dans lesquels il est question d'Européens et d'indigènes, sont applicables aux personnes qui leur ont été asssimilées, sauf stipulation contraire, Sont assimilés aux Européens tous les chrétiens, tous les Japonais et toutes les personnes qui ne tombent pas dans les termes de l'alinéa suivant.

Sont assimilés aux indigènes : les Arabes, les Maures, les Chinois et tous ceux qui n'ont pas été nommés dans l'alinea précédent et qui sont mahométans ou païens.

Les chrétiens indigènes restent soumis à l'autorité des chefs indigènes et, pour ce qui con. cerne leurs droits, leurs charges et leurs devoirs, aux mêmes règlements et institutions généraux, provinciaus ou communaux que les indigènes qui ne professent pas la religion chrétienne.

Le gouverneur général peut, de concert avec le conseil des Indes néerlandaises, dispenser des prescriptions du présent article.

« PreviousContinue »