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est mis en demeure de faire appel à tous les moyens, car ne pas vaincre c'est rester au dehors du Parlement pour de longues années. Le plus petit changement dans les forces respectives des combattants change les résultats de fond en comble, et l'édifice chancelle à chaque élection générale. Les électeurs indépendants, les électeurs qui pensent avec leur cerveau, sont obligés de s'abstenir; de ceux qui votent, une seule moitié obtient le contrôle politique, car à elle seule elle élit tout le parlement; ce parlement élu par une simple moitié se divise encore en deux parties, et la majorité gouvernementale n'est plus que du quart des électeurs! Résultat : le Parlement ne représente pas le pays, et à peine est-il élu qu'on recommence à s'en méfier; la vie parlementaire devient une espèce de mystère, au lieu d'ètre, comme le voulait Stuart Mill, un guide et une éducation pour le pays; les changements de cabinet se transforment en un jeu auquel le pays ne s'intéresse que médiocrement. Les critiques sont d'accord sur ces points, et de leur œuvre négative se dégage nettement le besoin de faire quelque chose pour que les Chambres soient la représentation du pays tel qu'il est, et non le résultat du hasard et du nombre. Mais quant aux remèdes, malheureusement c'est une autre affaire! Plusieurs prônent à cet effet la représentation professionnelle, et M. Malvezzi montre avec complaisance comment on l'a bien défendue en Belgique, et comment elle est sortie des discussions avec tous les honneurs de la guerre.

Quant à moi, s'il m'est permis d'exprimer encore mes idées en cette occasion, je ne partage pas la manière de voir des écrivains qui prônent la représentation professionnelle. En effet elle est fondée sur le plus grand arbitraire, car c'est la loi, c'est-à-dire c'est la volonté d'un parti en majorité, qui détermine comme bon lui semble quels sont les intérêts à faire représenter, et quelle est leur importance en chaque circonscription vis-à-vis des autres. Prendra-t-on les termes classiques, terre, capital et travail ? ou bien grandes villes, communes ou campagnes? Y verra-t-on les chambres de commerce, et celles de l'industrie et du travail ? Qui nous dira où nous arrêter en bonne justice? Sera-t-il même suffisant de copier l'organisation de la ville libre de Brême où les électeurs sont divisés par profession en huit classes, dont l'une (celle des industriels) est encore fractionnée en dix sous-classes ? Et ne faudra-t-il pas revenir incessamment sur la loi électorale pour corriger la répartition à la lumière des expériences toujours changeantes? Les partis ne seront-ils pas tentés d'y mettre souvent la main, en transportant dans ce champ, et même avec un peu plus de bonnes apparences, l'art des découpures électorales si bien connu quelque part pour les circons criptions ... Enfin, dans cette vie moderne si entremêlée, dans cette variété de problèmes, qui se posent au corps électoral à chaque renouvellement des cham bres, ce sera donc la loi, qui assignera à chacun de nous sa profession, son intérêt, son penchant unique ?...

Je pense que l'organisation et la pondération du suffrage s'obtiendront mieux avec la réprésentation proportionnelle qu'avec la représentation des intérêts. Ici, chaque électeur se rallie à la profession, à la classe, à l'opinion, à l'intérêt qui l'attirent le plus à un moment donné, sans être enchaîné à l'un ou à l'autre, comme il se pouvait concevoir du temps des corporations d'arts et métiers; ici chaque groupe électoral se forme comme il l'entend; ici rien de blessant pour les idées de notre temps. Chaque intérêt, pourvu qu'il corresponde à un député, marche pour son compte, sans être forcé de se fondre et de se confondre dans la masse de son parti politique; le choix des candidats n'est plus monopolisé par les comités, et devient un droit véritable des électeurs; les élections sont sincères; le parlement reproduit la photographie du pays; le gouvernement revient

REVUE DU DROIT PUBLIC. T. AV

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à la vraie majorité; ce régime représentatif qui nous manque à présent est alors un fait accompli.

Glornale degli Economisti, Rome.

J. RACIOPPI, Lo Stato d'asiedio e i tribunali di guerra (L'état de siège et les conseils de guerre) (fasc. d'août 1898).

Gouvernement, Chambres et Cour de cassation en Italie ont toujours retenu comme constitutionnel l'état de siège avec la juridiction militaire comme conséquence. Cependant, il est permis de contester cette interprétation; car elle ne résiste pas à la critique.

Avant tout, notre Statuto renferme quatre articles qui y sont expressément contraires l'art. 6, qui défend les décrets contraires aux lois; l'art. 70, qui défend de déroger à l'organisation judiciaire autrement que par une loi; l'article 71, qui défend de soustraire les citoyens à leurs juges naturels ; l'art. 36, qui permet au Gouvernement d'évoquer au Sénat, constitué en Haute-Cour de justice, les crimes de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'Etat, et, par cela même qu'il crée un tribunal d'exception pour ces crimes, défend d'en rechercher et d'en créer d'autres.

En second lieu, l'état de siège (inconnu à notre Statuto et à nos lois) ne peut pas être compris dans le pouvoir constitutionnel qui appartient au Roi, de déclarer la « guerre » et le Code pénal militaire, qui détermine les effets juridiques de la déclaration de la guerre, ne peut pas aller jusqu'à comprendre l'état de siège politique. Car l'état de guerre, selon la lettre et l'esprit de ce code, concerne exclusivement la guerre dans le vrai sens du mot: et, on le sait, en matière pénale toute interprétation extensive est interdite.

En troisième lieu, on ne peut admettre non plus le « droit de nécessité » dont quelques-uns prétendent déduire le droit de proclamer l'état de siège au nom de besoins qui sont supérieurs à toute loi en vue du salut public. Il y a ici une confusion entre l'Etat et le Gouvernement. En effet, personne ne nie à l'Etat le droit de se défendre ; mais quels sont, quels doivent être les droits de l'Exécutif dans la mission qu'il a de maintenir la paix publique ? Ces droits sont tout simplement ceux de réprimer les émeutes même avec les armes, et d'arrêter et mettre dans l'impossibilité de nuire tous ceux qui résistent aux ordres légitiems de l'autorité. Voilà ce qui est nécessaire. Mais, il n'est pas nécessaire que l'Exécutif ait le droit de juger lui-même ceux qu'il arrête, car dans un régime constitutionnel c'est au pouvoir judiciaire d'appliquer le droit, comme c'est au législatif de déterminer ce que le droit doit être. Ainsi raisonnent les Anglais, qui sont notre modèle en droit public. Nos lois, telles qu'elles sont, suffisent assurément au maintien de l'ordre que le gouvernement s'en tienne donc à la juste et même sévère application des lois, mais qu'il ne vienne pas les bouleverser, et, surtout, créer des tribunaux militaires ! Dans les crises, ce qui est urgent, c'est de réprimer les désordres et non de juger les individus arrêtés : juger, c'est fonction qui appartient aux tribunaux ordinaires de par la loi, non de par la confiance des ministres ; au surplus, ceux-ci peuvent bien substituer aux juges ordinaires le Sénat en Haute-Cour de justice, mais non les tribunaux de guerre, que la loi a créés exclusivement pour les militaires en temps de guerre et non pour les citoyens.

De quelque manière qu'on envisage la question, l'état de siège est donc contraire à nos lois.

Mais, admettons que le Gouvernement le prononce, comme il l'a fait plusieurs fois n'aura-t-on pas un contrôle sur ses actes ? Oui, certainement; notre régime

constitutionnel nous en offre deux, l'un politique par le Parlement, l'autre juridique par les Cours de justice. Examinons-les.

Si un décret du Gouvernement proclame l'état de siège, il est indispensable que ce décret soit présenté au Parlement le plus tôt possible; et il ne suffit pas d'un simple ordre du jour de la Chambre, il est nécessaire qu'une véritable loi le ratifie. En effet, tout décret-loi fait naître deux genres de rapports rapports entre le Gouvernement et le Parlement, rapports entre le Gouvernement et les citoyens. Or, en tant que l'acte est politique, l'ordre du jour de la Chambre peut suffire, mais en tant qu'il est illegal on ne peut pas se passer d'une loi, qui lui donne force de loi vis-à-vis des citoyens qui en ont reçu des dommages. Voilà la première garantie, la conversion en loi; et cependant elle a manqué presque toujours en Italie.

Passons maintenant à la seconde. Quel est le devoir des Cours de justice vis-àvis d'un décret-loi que les Chambres n'ont pas encore ratifié ? C'est de ne pas l'appliquer, car il n'est pas une loi, qui seule peut suspendre les autres lois ou dispenser de les appliquer. Juger autrement, c'est dénier toute valeur juridique à l'article 6 du Statuto, c'est déclarer que le Statuto n'est pas une loi. Eh bien ! notre Cour de cassation a méconnu ces principes, pourtant si élémentaires, de droit constitutionnel; ainsi le reproche d'avoir troublé l'ordre juridique doit être adressé moins au pouvoir exécutif qu'au pouvoir judiciaire, qui ne s'est pas opposé comme c'était sa mission, à la violation des lois du pays.

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On a dit mais le pouvoir judiciaire ne doit pas s'immiscer dans l'opportunité politique des décrets-lois. Oui sans doute le jugement sur l'opportunité appartient exclusivement au pouvoir législatif; mais tant que celui-ci n'a pas eu le loisir d'en juger, le décret-loi est-il juridiquement une loi, ou bien un décret contraire à la loi ?... Si donc le pouvoir judiciaire applique le décret-loi « pour ne pas préjuger la future décision du pouvoir législatif », il la préjuge cependant, car il en vient à juger lui-même de l'opportunité politique de l'ordonnance puisqu'il l'admet comme démontrée et hors de question? Si le juge applique le décret-loi comme une loi, c'en est fait de la distinction fondamentale qui différencie le régime constitutionnel du régime absolu : le gouvernement, alors, supprime le Parlement, et reste maître de l'interroger quand bon lui semble; et si le Parlement refusait sa tardive approbation, le judiciaire se trouverait avoir rendu des arrêts sans base légale, qui néanmoins resteraient irrévocables. Si, au contraire, le juge refuse d'appliquer les décrets-lois non encore ratifiés par le Parlement, voilà alors le Gouvernement mis en demeure de convoquer tout de suite les Chambres. Ainsi sont conciliés les droits de l'Exécutif avec ceux du Législatif, et l'ordre légal respecté avant tout par les pouvoirs publics euxmèmes.

Les défauts de la pratique italienne sont imputables au pouvoir judiciaire. Si celui-ci avait compris son rôle, on ne devrait pas se soucier de l'état de siège et en général des décrets-lois. Mais puisqu'il n'en est pas ainsi, il faut qu'on vote enfin une loi sur les décrets-lois, pour en déterminer clairement les effets juridiques vis-à-vis des citoyens et des Cours de justice.

M. SIOTTO-PINTOR. Aggioute e modificazioni alla legge elettorale politica (Additions et modifications à la loi électorale politique, (fasc, de février 1899). Le 19 novembre dernier notre honorable ministre de l'intérieur (Pelloux) présentait à la Chambre un court projet de modifications à la loi électorale: inéligibilité pour trois ans du député dont l'élection a été annulée pour faits de corruption qui lui sont imputables; suspension de la représentation aux arrondissements dans lesquels, deux fois de suite on a dù aunuler l'élection pour corruption ou

bien pour inéligibilité de l'élu; suspension du droit de prêter serment pour tout député élu au cours d'une législature jusqu'à sa validation.

M. Siotto-Pintor critique à fond ces dispositions, dont le caractère péna] saute aux yeux, et dont les conséquences probables seraient tout à fait opposées aux désirs de ceux qui les prônent.

Peut-on admettre, au point de vue du droit, le châtiment de toute une circonscription électorale ? Non, car un grand nombre de citoyens perdraient leur droit de représentation à la Chambre, pour un fait imputable personnellement aux violents ou aux corrupteurs : ce qui revient à dire qu'on prononcerait une peine, telle que la suspension d'un droit politique de premier ordre, contre des mil. liers d'individus tout à fait innocents. Et puis, même pour ceux qui ont aidé à l'élection de l'inéligible, quel est donc le crime dont ils se sont rendus coupables? Un simple crime d'opinion, qui ne peut plus exister de nos temps! D'autant plus que ce prétendu crime est sans aucune conséquence car il y a des moyens d'annuler les élections corrompues et celles des individus inéligibles et de punir comme on doit les individus qui personnellement se sont rendus coupables de crimes dans le cours des opérations électorales.

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Quant aux autres dispositions du projet, est-il admissible que, par cela seul qu'une élection a été entachée de fraude, une loi déclare a priori que les suivantes devront l'être, et que par conséquent elle ôte l'éligibilité à un citoyen sur un simple soupçon ? Est-il admissible (comme le projet le déclare) que cette inéligibilité du candidat soit déclarée lors de sa deuxième élection par l'assemblée électorale, tandis que le droit de vérification des pouvoirs est une indispensable garantie du Parlement, et par cela un droit de la Chambre ? Et si c'est le corps électoral qui fait le député, sous la simple condition résolutoire de l'annulation éventuellement prononcée par la Chambre, si la présomption est et doit être pour la validité, sauf la preuve contraire, peut-on admettre que les élus au cours de la législature doivent attendre à la porte, tandis que les élus aux élections générales entrent, comme ils doivent, tout de suite au Parlement ?

De quelque côté qu'on le regarde, le projet est donc absurde au point de vue du droit. Mais, du moins, est-il politique et opportun? Il ne l'est pas non plus, riposte l'auteur, tandis qu'il condamne à l'inaction les électeurs et les candidats des élections législatives, il oublie que ces mêmes citoyens ont aussi des droits dans le champ des élections des provinces et des communes; en sorte qu'on doit s'attendre à ce que les « élections de protestations » ne finissent pas : elles changeraient de forme, car on se servirait des élections administratives pour affirmer les sentiments qu'on ne pourrait plus affirmer dans les élections politiques. Ainsi le but n'est pas atteint, ce qui montre encore une fois comment on étudie et rédige les textes législatifs ! Mais, au fond, même les « élections de protestations » sont une indication de l'opinion publique, de l'état du pays ; quand même on pourrait les supprimer, ce serait se priver volontairement des lumières indispensables que tout gouvernement doit être content de rencontrer de temps à autre sur sa route; ce serait convier les ennemis et les mécontents aux machinations ténébreuses et sectaires, et déclarer qu'on en appelle à la violence, ne pouvant pas vaincre par la raison.

Ce n'est pas avec des expédients de ce genre, conclut l'auteur, qu'on remédie au malheur d'un pays. S'il y a des corruptions ou des violences dans les élections, c'est qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans les conditions du peuple. Un législateur digne de ce nom doit donc chercher à panser les maux réels, et non s'adonner à des artifices qui ne peuvent que surexciter le malaise.

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F. CAMMEO.

Lo Stato d'assedio et la giurisdizione (L'État de siège et la juridiction). (fasc. de novembre 1898).

Les graves événements de 1898 ont donné chez nous naissance à maints écrits sur l'état de siège. J'ai résumé celui publié par le Giornale degli Economisti ; je vais maintenant en résumer un autre, qui étudie très complètement et avec force détails l'état de siège au point de vue de la compétence et de la procédure criminelle.

La première question qu'aborde M. Cammeo concerne la légitimité des tribunaux militaires. Par de savantes recherches sur la distinction à faire entre l'état de siège en temps de rébellion interne et en temps de guerre effective, et par une autre distinction entre les effets de police et les effets juridictionnels de l'état de siège politique, il arrive aux conclusions suivantes : Comme il n'existe pas de loi qui règle en Italie l'état de siège politique, l'acte du gouvernement qui le proclame,est illégal, du moins quant à la création des tribunaux militaires. Même si on croit que l'état de siège politique est réglé par le code pénal militaire, les tribunaux militaires sont illégaux, car le droit du pouvoir militaire d'émettre des <<bans ayant force de loi » ne peut pas aller jusqu'à troubler l'ordre des juridictions en dépit du texte si explicite et formel de l'art. 71 du Statuto et de l'art. 9 du code de procédure criminelle. Le cas échéant, il doit suffire de faire application de l'art. 36 du Statuto, qui prévoit bien une juridiction exceptionnelle : le Sénat constitué en Haute Cour de Justice.

La deuxième question traité par l'auteur concerne les rapports entre la préten due juridiction militaire, et la juridiction ordinaire. En admettant que le fonctionnement des tribunaux de guerre en état de siège politique soit légitime, y a-t-il un remède juridique contre les arrêts qu'ils rendent ? Notre jurisprudence a admis qu'il y a recours à la Cour de cassation mais seulement pour incom

pétence ou excès de pouvoir, et non pour violation de la loi!

Si la Cour de cassation est créée pour garantir l'observation de la loi, comment peut on distinguer entre les lois de forme et celles de substance? Si elle est le juge suprême des conséquences entre les tribunaux ordinaires et les juridictions spéciales, pourquoi ne le sera-t-elle pas lorsqu'il s'agit des tribunaux de guerre?... Donc, la solution suivie chez nous n'est pas acceptable.

L'auteur aborde enfin une troisième question, et c'est la partie la plus intéressante de son travail peut-on appliquer les dispositions extraordinaires de compétence et de procédure aux crimes commis avant la proclamation de l'état de siège? Notre Cour de cassation l'a affirmé, parce que les lois de procédure sont rétroactives par essence; et parce qu'il serait injuste que les auteurs des faits, qui ont déterminé et rendu nécessaire l'état de siège, puissent se dérober aux sévères prescriptions de ce dernier. Mais l'auteur repousse très énergiquement cette dernière considération, qui est toute d'opportunité, et par conséquent dénuée de valeur juridique. D'autre part, si on l'admet comme vraie, on en vient à admettre que les prescriptions de l'état de siège sont « plus sévères » c'est-àdire qu'elles ne sont pas de simples modifications de procédure et alors il faut se souvenir que dans le cas de conflit entre deux lois pénales on doit appliquer la plus douce; ainsi la prétendue rétroactivité n'est pas admissible.

Malheureusement, les maximes accueillies en cette matière par la Cour de Cassation en 1898 sont plus rigoureuses que celles accueillies par la même (our en 1894 : c'est une caractéristique de l'état de siège que d'être appliqué chaque fois avec plus de rigueur que la fois précédente. On y remarque un progrès à rebours, qui, au point où les choses en sont venues, rend absolument nécessaire chez nous une loi régulatrice de cette terrible matière.

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