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A. MORELLI. Che cosa sono le libertà civili ? (Ce qu'est la liberté civile). (fasc. de janvier-février 1899).

Nous appelons droits de liberté civile les droits de liberté personnelle, de domicile, de culte, de presse, de réunion, d'association, etc. et nous disons « libertés civiles pour les distinguer des « libertés politiques », ou formes de participation des citoyens au gouvernement de la chose publique. Or, il y a lieu de se demander de tels droits de liberté civile sont-ils des droits subjectifs des individus ? S'ils le sont, constituent-ils une catégorie spéciale des droits subjectifs, ou bien doit-on les comprendre parmi les droits publics, ou parmi les droits privés ?

On sait que des écrivains allemands soutiennent qu'il n'existe aucun droit public subjectif. Gerber dit ce que chacun de nous acquiert, lorsque l'État se trace lui-même des limitations vis-à-vis de la presse, des cultes, des réunions, etc.. ce ne sont pas des droits individuels, mais une certaine liberté de mouvement pour le plus grand bien commun: dans ces cas, l'Etat ne crée pas des droits subjectifs, mais il se donne simplement des normes ou règles de droit objectif; donc ces libertés » ne sont pas des droits des individus, mais simplement des effets réflexes du droit de l'Etat. Ce ne sont pas des droits, ajoute Laband, parce qu'ils n'ont pas d'objet.

Raisonnant de la sorte, affirme M. Morelli, on change le point du débat. Sans doute des normes objectives que l'État donne à son gouvernement ne sont pas des facultés, des droits subjectifs attribués aux individus ; mais puisque de ces normes découle une certaine liberté d'action garantie aux différentes facultés de l'in dividu, cette sphère libre que l'État attribue aux citoyens, ne donne-t-elle pas lieu à de véritables droits subjectifs pour ceux qui peuvent en jouir? Qu'on se garde de confondre la forme avec la substance de l'autolimitation que l'État librement s'impose pour que cette autolimitation existe,il n'est pas nécessaire qu'elle soit toujours expresse, et lorsqu'en apparence elle manque, elle est en réalité toujours impliquée dans la concession ou la reconnaissance des droits. Toutes les lois qui reconnaissent des droits limitent par cela même le pouvoir public; toute attribution de droits repose sur une limitation explicite ou implicite de l'État par lui-même. Si l'affirmation des auteurs allemands était vraie, il n'existerait aucun droit subjectif.

Dira-t-on que l'autolimitation de l'Etat est différente dans les deux cas ? dans le cas des véritables droits subjectifs, ceux-ci sont la cause de l'autolimitation; les libertés civiles, au contraire, n'en sont que l'effet. Mais on ne peut pas faire dépendre la nature juridique d'une faculté individuelle quelconque des motifs qui peuvent avoir conduit le législateur à créer la norme objective d'où cette faculté découle; une différence pourrait seule dériver du caractère intrinsèque des facultés dont il s'agit, et il n'y en a aucune, même formelle ou extérieure. Et puis, pourquoi donc l'Etat se limiterait-il dans son action? La limitation seraitelle un but à soi-même? La garantie existerait-elle indépendamment de l'objet garanti ?...

Dira-t-on que dans l'un des cas l'autolimitation est volontaire, et dans l'autre nécessaire? Mais dans toutes ses actions l'Etat se détermine (et il n'en pourrait être autrement) sous l'influence de la vie extérieure, de l'ambiance, des circonstances de temps et de lieu; et pourtant, on ne peut pas dire, par cela seul, que sa volonté cesse jamais d'être libre.

Dira-t-on encore que le droit a pour caractère la précision, et que cette précision manque aux libertés civiles, dont on ne possède pas encore une classification qui soit complète ? Mais d'abord, il en est qui sont très juridiquement déterminées

et réglées celles-ci, du moins, on les pourrait bien reconnaître comme des droits subjectifs. Mais la vérité est que ces libertés sont toutes déterminées juridiquement, sinon d'une manière positive, du moins négativement, moyennant les sanctions pénales prononcées contre ceux qui voudraient les violer. Si le droit subjectif est une faculté juridiquement reconnue on non méconnue par l'Etat », on ne peut nier le nom de droits aux libertés civiles. S'il est « une faculté de vouloir », on ne peut le leur nier non plus, puisque dans les libertés civiles ce sont les individus qui veulent, sous la garantie de l'Etat. Si enfin c'est (comme le savant auteur le préfère) « une faculté de vouloir reconnue juridiquement pour la protection d'un intérêt », cette dénomination de droits ne peut leur être déniée non plus, puisque toutes les libertés civiles impliquent l'idée d'un intérêt (matériel ou moral) protégé par l'Etat dans les codes, dans les lois, dans la constitution, dans l'organisation des pouvoirs.

Mais, objectera-t-on, pour qu'un droit soit subjectif, il lui faut, non une garantie générale ou indirecte, mais une garantie spécifique, la possibilité de le défendre par une action judiciaire. Or, riposte l'auteur, il est vrai que les constitutions se limitent en général à la pure énonciation des libertés civiles, et que la défense juridique de ces libertés n'est pas encore parvenue chez nous au degré de perfection qu'elle a atteint chez les anglo-saxons. Toutefois, la sanction pénale ne manque à aucune de ces libertés; même l'action civile, tantôt devant le juge ordinaire, tantôt devant un juge spécial, ne manque pas entièrement; au surplus, on admet pour les citoyens le droit de résistance aux ordres illégaux des agents du Gouvernement.

Donc, l'auteur conclut, qu'à quelque point de vue qu'on les regarde on ne peut pas refuser aux libertés civiles la qualité de droits subjectifs.

Mais les classera-t-on parmi les droits civils ou parmi les droits politiques? M. Morelli repousse très justement (si je ne me trompe) la manière de voir de P. Rossi qui divisait les droits subjectifs individuels en trois groupes : civils, publics et politiques. Non que la raison de la distinction en deux groupes soit que les droits civils sont ceux dont tous les hommes jouissent, tandis que les droits politiques sont donnés sur la base d'une capacité particulière: car tous les droits sans exception sont subordonnés à des conditions de capacité. La raison est que les droits politiques concernent l'organisation et la vie de l'Etat, sont des moyens pour un but donné, sont l'explication de la souveraineté du corps politique, tandis que les droits civils concernent le développement de la personnalité individuelle, ont pour but directement le bien de celui qui les possède, sont des limitations à l'action des pouvoirs publics. Les uns se posent comme une conséquence, un reflet du droit de l'Etat; les autres se posent comme une reconnaissance des facultés naturelles des individus.

Cela étant, les libertés civiles doivent-elles être classées parmi les droits politiques ou parmi les privés? L'auteur repousse l'idée courante et affirme très nettement qu'elles sont de vrais droits privés. Puisque l'objet des droits politiques est une utilité publique, tandis que celui des droits privés est une utilité individuelle, il s'ensuit que toute faculté de vouloir juridiquement reconnue à un sujet, si elle a pour but la protection d'un intérêt qui dépend de l'explication de la personnalité humaine, est un droit subjectif privé et non politique.

A l'appui de cette déduction, que M. Zanichelli, a qualifiée naguère comme « plus hardie qu'acceptable », M. Morelli fait suivre une intéressante démonstration que je regrette de ne pas pouvoir resserrer dans le court espace dont maintenant je dispose. Je passe donc à la conclusion du savant auteur: au point de vue juridique, il n'y a pas une « liberté politique » et une « liberté civile », mais il y a des formes de gouvernement, d'une part, et, de l'autre, la liberté. Elle com

prend tout l'ensemble des droits privés, considérés par rapport à la souveraineté, au droit de l'Etat, et, comme la théorie de la souveraineté est la pierre fondamentale du droit public, la théorie de la liberté est la pierre fondamentale du droit privé. Regarder et régler comme des droits privés toutes les libertés de l'individu, les garantir toutes par des mesures efficaces de droit public, voilà l'idéal de la perfection juridique pour l'Etat moderne.

Rivista scientifica del diritto, Rome.

E. PASCALE. L'amministrazione della giustizia in rapporto alle condizioni generali del paese (L'administration de la justice par rapport aux conditions générales du pays) (fasc. août-décembre 1898).

Il s'agit du discours que l'éminent sénateur Pascale, procureur général à la Cour de cassation de Rome, a prononcé pour l'ouverture de l'année judiciaire, La haute personnalité de l'orateur, le lieu, l'occasion de son discours, lui prêtent une importance de premier ordre.

Dans notre temps si démocratique, commence t-il, le sentiment du respect s'est affaibli il n'y a plus aucune institution qui soit respectée, le pouvoir judiciaire pas plus que les autres. Le voilà donc aujourd'hui devant la démocratie, comme autrefois il se trouvait vis-à-vis des gouvernements absolus les exigences sont les mêmes bien que les méthodes soient différentes; alors on destituait les juges, maintenant on les diffame.

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Mais avant de condamner, dit-il, n'oublions pas les grandes difficultés qui entourent à présent les magistrats, elles viennent particulièrement de la nouveauté et de l'ampleur des matières que le nouveau droit public ouvre à la compétence des tribunaux, et de la multiplicité des lois qui s'enchevêtrent, se contredisent, s'accumulent de tous côtés, rendant l'œuvre des interprètes difficile, la jurisprudence oscillante, l'autorité des arrêts incertaine. C'est par cela que la magistrature se trouve nécessairement exposée à l'accusation d'ignorance et plus encore à celle d'injustice, même lorsqu'elle accomplit strictement son devoir; car, si elle applique des lois impopulaires, le blâme en remonte, non au législateur, mais au juge. On l'a aussi accusée de partialité, de dépendance vers le gouvernement; mais la statistique détruit cette affirmation, car elle montre l'administration publique succombant dans ses demandes en justice, précisément dans les mêmes proportions que les particuliers. L'humble magistrature italienne sup porte avec une rare abnégation la médiocrité de son état et reste non contaminée parmi les convoitises et les dissipations de la vie présente.

Plus retentissantes encore sont les accusations portées contre la juridiction pénale. Les uns se plaignent de sa sévérité, les autres de son indulgence; ici, on prétend qu'elle est trop tendre à l'intérêt social, là qu'elle se préoccupe trop des droits des accusés; et il s'ensuit que la magistrature, dénoncée comme un instru ment du pouvoir politique, de temps à autre est jetée de par ce pouvoir même, et alors on l'invoque, après l'avoir outragée. Les vices des lois, les vices du pays, ne seraient-ils donc que des vices du pouvoir judiciaire ?...

Si le milieu où vit la justice est mauvais, si les lois ne sont pas bonnes, on ne doit pas s'en prendre au pouvoir judiciaire. En effet, celui-ci est par excellence un pouvoir conservateur; et, bien que par la jurisprudence il précède parfois le mouvement législatif, en règle générale il ne peut qu'appliquer les lois telles qu'elles sont. Or, des événements récents nous montrent qu'il y a lieu de reviser quelque chose dans les lois de notre pays.

Ainsi, la liberté d'association doit être mieux réglée en Italie. Tous les pays civilisés en ont connu les périls et ont cherché à les atténuer; nous, au contraire,

nous en sommes à ce régime que le pouvoir politique sans mandat expres, sans règle, sans frein de loi, reste le maître absolu des aspirations et peut à son gré les laisser trop libres ou trop les restreindre. Voilà un état de choses bien anormal, qui réclame une loi sage et précise comme garantie du droit et comme limite aux abus, afin d'éliminer pour l'avenir une des causes principales des faits qui troublèrent notre pays en 1894 et en 1898.

On connaît, reprend l'orateur, les conséquences de ces faits: état de siège, dicta. ture militaire, tribunaux de guerre; là encore nouvelles accusations contre le pouvoir judiciaire qui n'avait pas déclaré inconstitutionnels les actes du gouvernement. Mais une longue et générale « habitude » a désormais fixé la légalité de ces actes. Une fois l'état de siège déclaré, les tribunaux militaires « en découlent nécessairement »,car l'état de siège est «assimilable » à l'état de guerre qui est régi, lui, par une véritable loi, le code pénal militaire. Que pouvaient donc faire les magistrats? Dura lex, sed lex; le devoir du juge c'est tout simplement d'appliquer la loi. Et pourtant la Cour de cassation n'a pas manqué d'en tempérer la rigueur par le seul moyen qui était à sa disposition, c'est-à-dire en admettant le recours contre les arrêts des tribunaux de guerre pour incompétence ou excès de pouvoir. Il s'élève ici des questions très graves, sur lesquelles les jurisconsultes ne sont guère d'accord avec la Cour suprême. Donc ici encore il faudrait une loi, pour régler enfin cette « extrême et malheureuse défense de la société » qu'on nomme l'état de siège. Pour une loi de la sorte,il restera toujours au Gouvernement un pouvoir discrétionnaire sous le seul contrôle de la responsabilité politique devant les Chambres mais du moins, l'exercice d'une faculté légale n'aura plus, comme à présent, l'aspect d'un abus du pouvoir.

Toutefois, si des lois sur les associations, sur la presse, sur l'état de siège sont nécessaires, on ne doit pas croire qu'elles suffiront à ramener l'ordre et la paix publique, si on n'arrive pas, en même temps, à faire disparaître, du moins à atténuer les causes morales et économiques de nos malheurs, La première réforme qui s'impose, c'est la correction des mœurs, la guerre à l'immoralité qui s'avance par tant de côtés, contre laquelle l'œuvre de la justice primitive n'est pas plus suffisante que l'œuvre des médecins contre une triomphante épidémie. Non moins grave est le problème économique, qui pour une partie de notre pays est la misère, malesuada fames. Il faut diminuer et réformer les impôts, restreindre les dépenses publiques, réveiller l'activité économique dans toutes ses manifestations. Mais on ne peut y songer que si le pays jouit de l'ordre à l'intérieur et de la paix à l'extérieur, Souhaitons donc la paix et la concorde à notre chère patrie; souhaitons-lui justice en tout et pour tous; souhaitons la paix entre les nations; et que la haute pensée, qui tout à l'heure inspirait à un puissant monarque la convocation d'une conférence pour le désarmement, soit comme la lueur qui ferme un siècle malheureux et en salue un autre meilleur !

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A. FERRACCIU.- Le guarentigie parlementari durante lo Stato d'assedio (La garantie parlementaire pendant l'état de siège) (fasc. mars 1899).

Voilà encore un mémoire qui trouve son explication dans les faits de l'année passée, et qui, au reste, est d'autant plus intéressant qu'il aborde particulièrement un point obscur de notre droit public.

Pendant l'état de siège, la garantie constitutionnelle des membres du Parlement contre les arrestations hors le cas de flagrant délit est-elle suspendue comme il en est des garanties constitutionnelles des simples citoyens ? Telle est la question. Nos écrivains ne l'ont jamais approfondie et notre droit parlementaire est muet

à ce propos, car il y a bien eu des arrestations de députés en temps d'état de siège en 1862, 1894 et 1898, mais on les a toujours justifiées comme ayant eu lieu en cas de flagrant délit, et, par suite, sans que la prérogative soit atteinte. La question est donc presque neuve en Italie.

L'auteur commence par affirmer que l'état de siège est parfaitement constitutionnel, même en Italie où la loi est absolument muette à cet égard, puisque son fondement juridique est dans le « droit de nécessité ». Et, comme il combat à ce propos l'opinion contraire que j'avais exposée dans l'écrit résumé plus haut,qu'il me soit permis de rectifier en peu de mots l'interprétation donnée à ma thèse. Il ne méconnaît pas que l'État, du fait de sa souveraineté, peut prendre légalement telle résolution que bon lui semble ; et par conséquent ce prétendu droit de nécessité ne serait qu'un aspect particulier de sa souveraineté qui ne souffre pas de bornes juridiques. Mais je distingue dans lÉtat un Gouvernement, les pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire, et je tiens à la distinction des fonctions entre les trois branches, car autrement le régime ne serait pas constitutionnel (1). Or, j'affirme que l'État peut toujours prendre les mesures qu'il estime nécessaires ou convenables, mais, s'il est constitutionnel, il ne peut le faire que dans les formes légales, c'est-à-dire par des lois (compétence du Législatif), l'Exécutif gardant le droit de porter les ordonnances dans les iimites de ces lois, et le Judiciaire ayant l'office de protéger les frontières entre lois et ordonnances, entre autorités et autorités, entre citoyens et autorités, entre citoyens et citoyens. En somme, je ne nie pas le droit de nécessité, car il est compris dans la souveraineté ; ce que je nie, c'est que ce droit puisse être exercé par l'Exécutif, surtout lorsque la loi ne le lui a pas déféré.

Mais laissons là cette question. Puisque l'état de siège existe, ce dont il s'agit, c'est de savoir quelles sont ses conséquences juridiques puisqu'il est si peu « constitutionnel qu'on ne sait pas au juste ce que le mot signifie! Or, il est certain que l'état de siège n'implique pas nécessairement la suspension de toutes les garanties constitutionnelles, ce qui reviendrait à dire que toute la constitution pourrait être suspendue. La question donc se résout à voir, si parmi les garanties suspendues est comprise, oui ou non, celle qui protège les députés.

M. Ferracciu reconnaît que l'immunité parlementaire existe moins en vue de protéger les députés contre les menaces éventuelles d'un Exécutif audacieux, ou d'empêcher que les Chambres soient privées de la présence de leurs membres sans en connaître les motifs que comme une garantie nécessaire de l'indépendance de l'un des organes constitutionnels, le Parlement, de même que l'indépendance du Gouvernement est protégée dans la personne du chef de l'Etat, et celle du judiciaire par l'inamovibilité des juges. C'est là, je le pense moi-même, la vraie justification de cette garantie, dont l'acquisition si pénible en Angleterre doit nous mettre en garde contre ceux qui de nos jours la traitent dédaigneusement comme une chose vieillie.

Cela étant, l'auteur conclut que la déclaration de l'état de siège ne peut pas amener implicitement la suspension de l'immunité parlementaire, puisque l'état de siège concerne les citoyens, et non le pouvoir constitutionnel de l'État. Toutefois, si l'état de siège est une exception et doit se limiter à cela seul qui est indispensable, il se peut bien que dans des cas absolument extrêmes il y ait comme << une exception dans l'exception » et alors, pour droit de nécessité, l'immunité parlementaire pourrait-elle aussi être suspendue. Cependant, cette suspension étant exceptionnelle ne saurait se présumer : elle ne peut se vérifier que si le

(1) Je prends la liberté de rappeler ici mon récent livre « Forme di Stato e forme di Governo Rome, 1898.

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