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négation de la connexité du complot avec l'attentat, qui avait été déféré par une ordonnance royale à la Cour des Pairs, entraînait l'incompétence de celle-ci pour tout autre crime, même constitutif d'un attentat, d'après les principes ordinaires de la saisine, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir l'idée d'une incompétence ratione materiæ.

Si, abandonnant la tradition et les textes, on raisonne maintenant d'une manière abstraite pour chercher quelle devrait être en droit la solution préférable, peut-être que sur ce terrain encore on se convaincra combien est inexacte, du moment que l'on avoue la nécessité des Hautes-Cours, la pensée de séparer, au point de vue de la juridiction, le complot de l'attentat. Est-ce qu'en effet, il ne peut pas se produire pour le complot des hypothèses telles, où, comme on l'a dit à propos d'un procès fameux (le procès d'avril 1834) il puisse être question de savoir s'il y aura un tribunal assez élevé, des juges assez courageux, des lois assez fortes pour triompher des résistances qu'apporteraient à la justice le nombre et l'audace des accusés? Qui oserait affirmer que ces éventualités soient chimériques? Ne suffirait-il pas en effet, pour opposer un démenti à cette affirmation, si elle venait à se produire, de se reporter par la pensée seulement de dix années en arrière? On peut se demander de plus si, s'agissant d'un crime, consistant en paroles non publiques et en conciliabules clandestins, le jury est naturellement capable d'en comprendre la gravité, de toucher le fond d'un danger latent encore; et s'il ne faut pas au contraire en confier l'examen à des personnes, occupant le premier rang de la scène politique, et en mesure par leur situation d'être au courant des luttes des partis politiques, de leurs desseins, de leurs menées et de leurs forces.

La vérité n'est donc pas dans une distinction entre le complot et l'attentat, même lorsque la Haute-Cour est une assemblée politique. Mais la justice commande que pour le complot, comme aussi pour l'attentat, l'accusé trouve pour le juger un tribunal impartial, indépendant du pouvoir qui poursuit. Car, ainsi que le déclarait Odilon Barrot à l'Assemblée Nationale de 1849 : « Là où les garanties de l'accusé seraient sacrifiées à celles de la société, il n'y aurait pas de jugement, il y aurait vengeance, il y aurait abus de la force » (Moniteur universel du 23 janvier 1849, p. 221).

Ce que craignait Odilon Barrot est devenu une réalité avec la Constitution de 1875, par suite de la méprise, où sont tombés ses auteurs, qui ont cru à la possibilité de doter la Chambre Haute des prérogatives judiciaires de la Chambre des Pairs. Aussi, au lieu de contester un chef de compétence que le Sénat s'est légitimement reconnu, il conviendrait de porter le débat sur l'organisation de la Haute-Cour, sur les réformes qu'elle comporte, pour que la vérité ne soit pas d'un côté, et la justice d'un autre.

J.-A. Roux,

Professe ir à la Faculté de droit de Dijon.

APPENDICE (1)

LES ARRÊTS DE LA HAUTE-COUR DE JUSTICE (2)

Arrêt du 18 septembre 1899 ordonnant les mesures d'instruction et réservant la discussion de la question de compétence.

La Cour,

Vu le décret de M. le Président de la République, en date du 4 septembre 1899; Vu les articles 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 de la loi du 10 avril 1889 ;

Ouï M. le procureur général en son réquisitoire ;

Sans s'arrêter aux requêtes présentées par de Monicourt, comte de Sabran-Pon. tevès, Eugène Godefroy, André Buffet et autres inculpés,

Ordonne qu'il sera procédé à l'instruction par la commission nommée à cet effet, pour, ladite instruction faite et rapportée, être, par le procureur général requis, et par la chambre d'accusation statué ce qu'il appartiendra ;

Réserve la discussion contradictoire de la question de compétence après la clôture de ladite instruction;

Décide que la loi du 8 décembre 1897 sera applicable à la procédure devant la Haute-Cour de justice.

Arrêt du 10 novembre 1899 déclarant incapables de concourir au jugement les sénateurs qui n'avaient pas assisté à l'audience du 18 septembre.

Attendu que le paragraphe 2 de l'article 16 de la loi du 10 avril 1839 dispose que les sénateurs qui n'auront pas été présents à toutes les audiences ne pourront pas concourir au jugement;

Attendu que ce texte est absolu et s'applique aussi bien aux audiences qui précèdent l'arrêt qui ordonne les mesures d'instruction qu'à celles où il est procédé aux débats sur le fond;

Par ces motifs, décide que les membres de la Haute-Cour qui n'ont pas assisté à l'audience du 18 septembre dernier ne pourront pas concourir au jugement.

Arrêt du 11 novembre 1899 affirmant la compétence du Sénat.

Attendu que l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics (1) est ainsi conçu : « Le Sénat peut être constitué en cour de justice... pour juger toute personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'Etat »;

Que cet article se réfère à la loi organique du Sénat du 24 février précédent, qui porte dans son article 9 : « Le Sénat peut être constitué en cour de justice pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'Etat » ;

Attendu que, par cette qualification d'« attentat » ou d' « attentats » contre la sûreté de l'Etat, ces dispositions de lois ont pris le mot « attentat » dans,son sens générique le plus compréhensif et le plus large, comme l'avaient fait antérieurement les Chartes de 1814 et de 1830;

Que cette qualification comprend en conséquence le complot en même temps que tous les autres crimes attentoires à la sûreté de l'Etat, prévus et punis par le chapitre lor, titre ler, livre III du Code pénal;

(1) Nous reproduisons dans cet appendice tous les arrêts rendus par la Haute-Cour. Le texte en a été collationné, avec le plus grand soin, au greffe de la Haute-Cour, par M. Delpech, secrétaire de rédaction de la Revue.

(2) M. Fallières, président; MM. Bernard, procureur général et Fournier, avocat général; M. Albert Sorel, greffier.

(3) La minute ne porte pas les mots « rapports des » qui sont dans le titre de la loi.

Attendu que donner une autre interprétation aux articles 12 et 9 des lois de 1875 susvisées et restreindre ainsi la compétence de la Haute-Cour aux seuls crimes qualifiés taxativement d'attentats par l'article 87 du Code pénal, ce serait laisser en dehors de sa juridiction, non seulement le complot contre la sûreté intérieure de l'Etat, mais encore tous les crimes contre la sûreté extérieure prévus dans la section 1r du même chapitre, lesquels constituent cependant les actes attentatoires à la sécurité les mieux caractérisés et les plus graves; Par ces motifs, se déclare compétente;

Déclare en conséquence les accusés de Ramel, Godefroy, Poujol de Fréchen court, de Vaux et Jacques Cailly mal fondés dans leurs conclusions, les en déboute et ordonne qu'il sera passé outre aux débats.

Arrêt du 15 novembre 1899 rejetant les conclusions développées par la défense dans la précédente audience et relatives à la recevabilité de l'opposition formée par l'un des inculpés contre l'arrêt de la commission d'instruction sur une question de juridiction.

Attendu que la loi du 10 avril 1889 n'a établi aucun recours devant la HauteCour contre les décisions et arrêts de la commission d'instruction;

Que, si elle en avait établi un, elle l'aurait organisé ; qu'elle en aurait fixé les formes et les délais et qu'elle aurait indiqué comment et par qui aurait été convoquée la Haute-Cour pour statuer sur le recours avant la réunion pour le jugement du fond;

Que la loi ne contient aucune prescription à cet égard et qu'il n'est pas permis de suppléer à son silence;

Attendu que c'est vainement qu'on objecte que le dernier alinéa de l'article 8 de la loi précitée, n'attribuant explicitement à la commission d'instruction le droit de statuer sans recours que sur les demandes à fin de liberté provisoire, le recours doit être admis dans tous les autres cas;

Que c'est la conclusion contraire qui s'impose ;

Que les mesures d'instruction les plus graves sont manifestement, en effet, celles qui touchent à la liberté de l'inculpé et que si, dans ce cas, on a jugé à propos de dire que les décisions de la commission sont sans recours, à plus forte raison en est-il ainsi pour les décisions qui sont de moindre importance;

Attendu que la Haute-Cour ne saurait donc être utilement saisie d'aucun recours contre les décisions ou arrêts de la commission d'instruction et que les conclusions de Dubuc doivent être, par suite, rejetées comme irrecevables;

Par ces motifs, déclare Dubuc non recevable en ses conclusions, les rejette et ordonne qu'il sera passé outre aux débats.

Arrêt du 15 novembre 1899 sur les conclusions de Guérin récusant la compétence de la Haute-Cour sur les faits relevés à sa charge.

Attendu que l'art 17 de la loi du 10 avril 1899 dispose que « toutes les exceptions, y compris celles d'incompétence, laquelle pourra toujours être relevée même d'office seront examinées et jugées soit séparément du fond, soit en même temps que le fond, suivant que le Sénat aura ordonné »,

Par ces motifs, joint l'incident au fond pour être statué sur le tout par un seul et même arrêt.

Arrêt du 15 novembre 1899 rejetant les conclusions de Buffet et sept autres inculpés à fin de récusation d'un certain nombre de membres de la Haute-Cour pour cause de suspicion légitime.

Attendu qu'il résulte des articles 16, 28 et 29 de la loi du 10 avril 1889 que les

membres de la Haute-Cour ne peuvent être l'objet de récusations, ni de la part du ministère public, ni de celles de la défense;

Attendu que les conclusions de la défense ne tendent en réalité, sous forme de demande de renvoi pour suspicion légitime, qu'à permettre aux accusés d'exer cer de véritables récusations;

Par ces motifs, dit qu'aucune récusation des membres de la Haute-Cour ne peut être formulée ;

Rejette en conséquence comme irrecevables les conclusions déposées au nom des accusés Brunet, Buffet, Godefroy, de Pontevès-Sabran, Dubuc, Cailly, de Bourmont et Guérin et ordonne qu'il soit passé outre aux débats.

Arrêt du 17 novembre 1899 rejetant les conclusions de Guérin prises à l'audience du 15 et tendant à faire ordonner par la Cour que des objets saisis chez lui comme pièces à conviction soient apportés devant la Haute-Cour.

Attendu qu'aux termes de l'article 329 du Code d'instruction criminelle, toutes les pièces relatives au délit et pouvant servir à conviction ne doivent être représentées à l'accusé que dans le cours ou à la suite des dépositions ;

Attendu, en conséquence, que Guérin ne saurait actuellement en réclamer l'apport à l'audience et qu'il n'y a lieu, par suite, d'accueillir les conclusions, tant principales que subsidaires, par lui prises;

Par ses motifs, déclare Guérin non recevable en ses conclusions; les rejette en l'état et déclare qu'il sera passé outre aux débats.

Arrêt du 18 novembre 1899 condamnant M. Déroulède pour offense au Président de la République.

Sur les réquisitions de M. le procureur général,

Ouf l'accusé Déroulède en ses observations, et Me Falateuf, son avocat, en sa défense;

Attendu qu'à l'audience de ce jour l'accusé Déroulède a, dans son interrogatoire, proféré publiquement à propos de l'élection de M; le Président de la République les paroles suivantes : « Qu'il croyait qu'on nommerait un honnête homme, et qu'il a ajouté : « A président indigne, présidence troublée »,

Attendu que ces paroles constituent le délit prévu et puni par l'art. 26 de la loi du 29 juillet 1881, ainsi conçu : [suit le texte de l'article];

Par ces motifs, déclare l'accusé Déroulède coupable du délit ci-dessus spécifié et, lui faisant application de la loi, le condamne à trois mois de prison; ordonne que le présent arrêt sera exécuté à la diligence du procureur général.

`Arrêt du 23 novembre 1899 rejetant les conclusions de M. Dubuc réclamant sa mise en liberté provisoire.

Statuant sur les conclusions de Dubuc, après avoir entendu M. Esvain, son conseil, en ses observations et M. le procureur général en ses conclusions, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que, par arrêt du 18 septembre dernier, la Haute-Cour a rendu applicable au procès actuel la loi du 9 décembre 1897 :

Attendu que l'article 11 de la dite loi est ainsi conçu: Lorsque la Cour d'assises saisie d'une affaire criminelle en prononce le renvoi à une autre session, il lui appartient de statuer sur la mise en liberté provisoire de l'accusé » ; Attendu qu'il suit de là que c'est seulement dans le cas où il y a renvoi qu'il peut y avoir lieu à statuer;

Attendu que les débats sont en cours, et que par conséquent la question de mise en liberté provisoire ne peut pas être posée ;

Par ces motifs, déclare irrecevable les conclusions de Dubuc; les rejette et ordonne qu'il sera passé outre aux débats.

Arrêt du 23 novembre 1899 rejetant les conclusions prises la veille par la défense en faveur d'un inculpé et sur l'ordre d'audition des témoins.

Statuant sur les conclusions de Godefroy, après avoir entendu Me Lemarignier, son conseil, en ses observations, et le procureur général en ses conclusions, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que l'article 317 du Code d'instruction criminelle porte que les témoins déposeront séparément l'un de l'autre dans l'ordre établi par le procureur général; que rien dans ces termes ne donne un caractère définitif à l'ordre adopté dans la dénonciation des témoins, et que cet ordre ne constitue pas une formalité substantielle au droit de la défense;

Que M. le procureur général a donc le droit de faire entendre à l'audience les témoins dans l'ordre qui lui paraît le plus utile pour la bonne administration de la justice et la manifestation de la vérité ;

Que ce droit est d'ailleurs toujours subordonné au pouvoir discrétionnaire du président, dans l'exercice duquel la défense trouve sa garantie;

Par ces motifs, rejette comme mal fondées les conclusions de Godefroy, et ordonne qu'il sera passé outre aux débats.

Arrėt du 25 novembre 1899 expulsant l'accusé Davout dit Cailly.

Statuant sur les réquisitions de M. le procureur général, après avoir entendu Davout dit Cailly en ses explications, M Ménard et Me Falateuf, avocats, en leurs moyens de défense en faveur de l'accusé, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu qu'à l'audience de samedi 25 du courant l'accusé Davout dit Cailly a, malgré les observations réitérées du président, persisté à troubler l'audience et à mettre obstacle au cours de la justice par de bruyantes interruptions et par des interpellations adressées aux membres de la Cour;

Qu'il y a lieu par suite de lui faire application des art. 10 et 9, § 2 de la loi du 9 septembre 1835, ainsi conçus: [suit le texte de l'article];

Attendu toutefois qu'aux termes de l'art. 32 de la loi du 10 avril 1889 les dispositions du Code d'instruction criminelle et de toutes autres lois d'instruction criminelle qui ne sont pas contraires à ladite loi, sont appliquées à la procédure s'il n'en est autrement ordonné par le Sénat;

Que la Cour usant des dispositions dudit article décide qu'il y a lieu de limiter la durée de l'expulsion qui va être prononcée ;

Par ces motifs, ordonne que l'accusé Davout, dit Cailly, sera immédiatement emmené de l'audience et reconduit en prison; fixe à deux audiences, y comprise celle de ce jour, la durée de cette expulsion; et ordonne, en outre, qu'après chacune de ces audiences, il lui sera, par le greffier de la Cour, donné lecture du procès-verbal des débats et qu'il lui sera signifié copie des réquisitions du ministère public ainsi que des arrêts rendus par la Cour.

Arrêt du 27 novembre 1899 rejetant les conclusions de la défense tendant à dire que ceux des membres de la Haute-Cour qui n'auraient pas pris part à la délibération tenue en chambre du Conseil à l'audience publique du samedi 25 courant ne pour raient pas concourir au jugement.

Statuant sur les réquisitions de M. le procureur général, tendant à l'irrecevabi

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