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second ministère Pelloux était un ministère Sonnino sans Sonnino. Mais pourquoi cet homme d'Etat sur lequel tant de personnes placent de grandes espérances, n'a-t-il pas voulu assumer la responsabilité du gouvernement? Pour le comprendre, il faut savoir que M. Sonnino a un programme politique bien clair et bien précis dans toutes ses parties, et qu'il veut, lorsqu'il arrivera au Gouvernement, le réaliser intégralement; c'est pour cela qu'il ne consentira à être ministre que lorsqu'il sera certain d'être libre et de ne point rencontrer d'obstacles. Il n'est point pressé : il est jeune et peut attendre son heure, qui viendra certainement.

VIII. DÉMISSION DE M. ZANARdelli, président de la ChamBRE. La composition du nouveau ministère impliquant une nouvelle prédominance décidée des droites et du centre, amena M. Zanardelli à se ranger nettement dans l'opposition et, par suite, à donner sa démission de président de la Chambre. En agissant ainsi, M. Zanardelli avait l'espérance de pouvoir réunir sous sa direction la gauche constitutionnelle, l'extrêmegauche et les mécontents qu'avait faits l'issue de la crise, puis, avec cette troupe nombreuse et compacte, de livrer bataille au nouveau ministère, de le mettre de suite en minorité et de recevoir du Roi le mandat de pourvoir à sa succession. Mais l'opposition n'était pas assez nombreuse pour vaincre et, en tout cas, ne serait point pliée à le reconnaître pour chef en le désignant comme président d'un futur cabinet; d'autre part aussi, le'xtrême-gauche dans laquelle prédominent les républicains et les socialistes, ne peut être, et ne sera pas, de longtemps encore, un parti de gouvernement, et par conséquent ne peut être comptée comme faisant partie d'une majorité constitutionnelle qui a ses chefs dans le ministère. Avec quelques hésitations, le ministère se décida à presenter, comme son candidat à la présidence, M. Chinaglia, ancien influent député vénitien, qui avait déjà et bien fait ses preuves comme vice-président. M. Chinaglia fut élu le 30 mai par 223 voix ; M. Zanardelli en obtint de l'opposi tion 193; il y eut 16 bulletins blancs et 3 nuls. La majorité en faveur du candidat du gouvernement ne fut donc que de 30 voix. On pouvait la désirer plus grande, elle fut jugée suffisante pour donner autorité au nouvel élu. En tout état de choses, le ministère avait gagné sa première bataille et sa majorité était destinée à s'augmenter de tous les incertains et de ceux des députés qui, pour diverses raisons, n'aiment pas à se déclarer contre le gouvernement.

IX. IRRITATION DE L'EXTRÊME-GAUCHE CONTRE LE NOUVEAU MINISTÈRE. TUMULTES PARLEMENTAIRES. Le changement de cabinet irrita profondément l'extrême-gauche, et surtout les deux groupes républicain et socialiste. Lorsque le nouveau ministère se présenta à la Chambre, M. Colajanni (socialiste), parlant sur les communications faites par le gouvernement attaqua M. Crispi au sujet de sa politique africaine; le vieil homme d'E'at prononça seulement quelques paroles pour sa défense, et déclara qu'il n'avait jamais pensé à occuper Massouah; qu'il avait dù, en arrivant au gouvernement, accepter le fait accompli de l'occupation et que, même pendant son dernier ministère il n'avait point poussé à la guerre avec l'Abyssinie; que,

lorsque cette guerre fut devenue inévitable, il aida le plus possible le général Barattieri, sans jamais lui avoir donné ordre de livrer bataille. A ces paroles, écoutées attentivement par la Chambre entière, les républicains et les socialistes, craignant que M. Crispi qu'ils haïssent et craignent ne fût applaudi, se levèrent en l'accablant de telles injures que le président fut obligé de suspendre la séance.

A la reprise. la discussion ne put continuer parce que les socialistes, et spécialement M. Ferri, se répandirent en injures atroces contre l'armée. Ceci se passait le 26 mai; dans la séance suivante, M. Pelloux protesta contre les injures adressées à l'armée; les socialistes recommencèrent leurs cris; les députés quittant leurs bancs se précipitèrent menaçants les uns contre les autres et la séance dut encore être suspendue. A la reprise, M. Pelloux, chaudement applaudi par les trois quarts de la Chambre, adressa à l'armée son salut et ses félicitations; M. Ferri tenta d'expliquer les paroles prononcées de façon qu'elles ne parussent plus offensantes. Ce même jour on arrêta que l'on commencerait le 1er juin la discussion des mesures politiques », c'est-à-dire des projets de loi qui, par suite des douloureux événements de 1898, devaient modifier les règles en vigueur sur le droit de réunion, le droit d'association, la liberté de la presse et ceux des services publics (postes, télégraphes, chemins de fer, etc.) que l'on voulait soustraire à tout danger de désorganisation pouvant être amenée par le personnel inférieur qui y était employé.

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X. DÉCLARATIONS de M. Visconti-Venosta sur la poliTIQUE EXTÉRIEURE. — Le 31 mai, M. Visconti-Venosta exposa à la Chambre les intentions du gouvernement relativement aux affaires de Chine. Il affirma que l'unique but de l'Italie était de nouer avec ce pays des relations commerciales et promit qu'on n'effectuerait aucune occupation territoriale sans en avoir d'avance donné communication à la Chambre.

Ces déclarations du ministre des affaires étrangères indiquaient clairement que le second cabinet Pelloux suivait une politique un peu différente de celle du premier et cela paraissait montrer chez le chef du gouvernement et ses collègues, MM. Baccelli et Lacava, une contradiction avec euxmêmes. L'opposition le fit bien ressortir; cependant l'ordre du jour accepté par le gouvernement, fut voté par 238 voix, contre 139 et 8 abstentions. La majorité ministérielle s'était ainsi accrue et avait atteint le chiffre de 99 voix. Le ministère se trouvait consolidé ; il devenait évident que les Mesures politiques seraient approuvées.

XI. OBSTRUCTION DE L'EXTREME-GAUCHE CONTRE LES « MESURES POLITIQUES ». EXCÈS DU GROUPE SOCIALISTE. LACUNES DU Règlement de lA CHAMBRE. - Pour empêcher ce résultat, l'extrême-gauche décida, le 1er juin, d'avoir recours à l'obstructionnisme. Vingt de ses membres devaient continuellement assister à chaque séance de la Chambre, et proposer à chaque instant des amendements; les discours qu'ils prononceraient pour les soutenir devaient être très longs; pour chaque vote enfin devait être réclamé l'appel nominal. L'obstruction parlementaire et les mesures politiques feront l'objet de travaux spéciaux, destinés à cette Revue ; c'est pourquoi il n'y a pas lieu

d'insister ici. Il suffit de dire que les mesures politiques furent présentées en juin 1898 par le ministère Rudini, acceptées, avec des modifications qui en atténuaient la gravité, par le premier cabinet Pelloux; qu'elles avaient été amplement discutées par la Chambre avec le système des trois lectures et que la discussion générale avait été, dès le 25 février, close par un vote favorable (166 pour, 89 contre, 14 abstentions). Le 4 mars suivant, par 310 voix contre 93, la Chambre elle-même approuvait le passage à la seconde lecture. La commission nommée pour examiner ces mesures les avait encore modifiées et atténuées, de telle manière qu'en fin de compte il ne s'agissait que de modifications nécessaires tout à la fois à la garantie de l'ordre et à la défense de la liberté. Ce fut contre ce projet de la commission, accepté dans ses parties essentielles par le gouvernement, que se déchaîna le système de l'obstruction.

Le règlement de la Chambre des députés ne renferme pas de sanctions pénales contre ceux des représentants qui troublent les discussions; le pouvoir du président est plus moral qu'effectif.

Les socialistes, qui réussirent en cette occasion à entraîner les républicains et les radicaux, usèrent alors de l'obstruction, contre laquelle ne sut pas se défendre la majorité, privée d'un guide sage et énergique, et inhabile par suite à profiter de sa force numérique pour fatiguer ses adversaires ou leur imposer sa volonté. La faiblesse de notre organisation parlementaire apparut alors. Le président de la Chambre, M. Chinaglia, n'était point homme à s'imposer par la force de l'esprit ou par le prestige d'anciens grands emplois publics bien remplis. La douceur de son caractère reculait devant l'emploi des mesures de rigueur et par-dessus tout se refusait à assumer la responsabilité de rétablir, fùt-ce même en sortant du règlement, l'ordre dans l'assemblée. Le président du Conseil, M. Pelloux, n'appartenait pas à la chambre élective; ce n'était point un chef de parti ; d'autre part, étant sans facilité de parole, il ne pouvait guider la discussion, maintenir ferme la majorité et lui imposer la sacrifice de supporter l'obstructionnisme jusqu'à ce que l'extrême gauche se fùt fatiguée, ou enfin de la pousser, par une résolution subite, à modifier le règlement. En outre, nos coutumes parlementaires sont telles que les anciens députés croiraient offenser la tradition en adoptant des mesures de rigueur et que les nouveaux refusent de s'y prêter par peur de passer pour réactionnaires. Ainsi, l'obstructionnisme inventé par le groupe socialiste devait amener un trouble profond et nécessiter la suspension des travaux parlementaires.

Au demeurant les dispositions principales du règlement se prêtaient admirablement au but des obstructionnistes. Si peu de députés assistaient à la séance et si la discussion paraissait de nature à aboutir à un vote, dix députés de l'extrême gauche étaient tout prêts pour réclamer la vérification du nombre légal; si la Chambre n'était point en nombre, la séance était levée. En outre tous les députés de l'extrême gauche s'inscrivaient pour parler; afin d'empêcher la clôture de la discussion, ils présentaient des ordres du jour, et des amendements qui, tous, devaient être développés et étudiés, et l'étaient, en effet, dans des discours très longs; la

majorité venait-elle à manifester son mécontentement, on l'irritait par des injures jusqu'à ce que l'on eût amené le président à suspendre ou à lever la séance. Le jour suivant on recommençait. Si la majorité eût été compacte, si l'opposition constitutionnelle l'eût appuyée ou tout au moins se fùt gardée de paraître, par son silence, encourager les obstructionnistes, ceux-ci auraient pu être vaincus, par la patience à souffrir leurs discours jusqu'à ce qu'ils en fussent eux-mêmes fatigués, ou par la force en invoquant le règlement, comme le fit Gladstone en 1882. Mais on ne put ou l'on ne voulut faire rien de tout cela, et les obstructionnistes semblèrent victorieux, ayant contraint la Chambre à suspendre les séances, le gouvernement à proroger, par décret royal en date dn 22 juin, la session an 28 du même mois.

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XII. DÉCRET-LOI RELATIF AUX « MESURES POLITIQUES »>. CLOTURE DE LA SESSION. Le même jour fut publié un décret royal aux termes duquel les mesures politiques qui avaient été acceptées par le gouvernement et la commission et avaient déjà implicitement reçu l'approbation de la majorité de la Chambre entreraient en vigueur le 20 juillet, même si le Parlement n'en avait pas, à cette époque, terminé la discussion. Si avant ou après l'époque fixée le Parlement les repoussait, il était entendu qu'elles se trouveraient annulées. Ce décret-loi, que l'on appela aussi Cadenas politique avait pour but d'obliger la Chambre à terminer la discussion et d'amener les obstructionnistes à abandonner le système adopté en leur montrant qu'il ne conduirait à aucun résultat pratique, et, en même temps, de convaincre l'opposition constitutionnelle qu'il valait mieux que les mesures préventives politiques fussent discutées pacifiquement, puisqu'on pourrait ainsi amender et atténuer leurs dispositions les plus graves, tandis que si elles n'étaient point discutées, elles entreraient en vigueur dans la forme qui agréait le plus au gouvernement et à la commission, composée en grande partie de députés ministériels.

Certainement la mesure était grave. Elle aurait été efficace si l'extrême gauche et la gauche constitutionnelle ne se fusssnt illusionnées sur les sentiments du pays. Les opposants croyaient que le pays aurait protesté contre le décret-loi et qu'il en serait résulté une agitation susceptible d'obliger le gouvernement à reculer et à se déclarer battu; aussi résolurentils, les uns de perséverer dans l'obstructionnisme, les autres de le tolérer, convaincus qu'en agissant ainsi les mesures préventives ne seraient point approuvées et que le décret-loi ne pourrait être mis à exécution. Ils se trompaient. Le 28 juin la réouverture de la Chambre eut lieu; M. Pelloux présenta le décret-loi et demanda son renvoi à la commission chargée de l'examen des mesures préventives politiques. Après une longue discussion la Chambre donna au ministère un bill d'indemnité pour ses agissements et renvoya le décret à la commission. La majorité en faveur du ministère fut de 69 voix, c'est-à-dire supérieure à toutes les prévisions. Le jour suivant, la commission déposa son rapport et le 30, on commença la discussion. A un moment donné, provoqués par l'extrême gauche, les tumultes recommencèrent. Quelques députés s'emparèrent des urnes servant au

scrutin et les renversèrent. A la suite de ces faits, dans la même soirée, le Conseil des ministres décida de demander au Roi la clôture de la session parlementaire. Le décret fut aussitôt signé et ainsi se terminèrent les séances de la Chambre.

XIII. ELECTIONS PARTIELLES ADMINISTRATIVES. LES PARTIS POPULAIRES. En juin et en juillet eurent lieu, dans toute l'Italie, les élections partielles administratives: la loi prescrit de renouveler tous les trois ans les conseils communaux et provinciaux. Ces élections auraient dù avoir lieu en 1898; M. Rudini avait fait approuver une loi par laquelle elles étaient renvoyées à l'année suivante. En 1899, les partis subversifs s'étaient reformés et réorganisés. Irrités par la lutte menée contre eux l'année précédente et encore plus par la ferme résistance opposée par M. Pelloux à leurs efforts, ils s'étaient réunis en un faisceau qui, sous le nom d'Union des partis populaires comprenait les radicaux, les républicains et les socialistes et visait à la conquête des communes et des provinces. Sauf dans les lieux où ils étaient absolument prépondérants, les socialistes ne tenaient pas beaucoup à faire, pour les élections administratives, une liste exclusivement composée des leurs ; ils ne voulaient surtout point se discréditer dans les administrations locales où ils auraient dù réaliser leurs amples promesses, ce qui eût été impossible; en outre, ils n'ont point un nombre suffisant d'hommes capables pour remplir les conseils; aussi recherchent-ils volontiers dans ces élections l'alliance des radicaux et des républicains. Ils forment avec ceux-ci une liste commune leur réservant un certain nombre de postes, et ils soutiennent cette liste. Ils arrivent ainsi à leur but qui est de faire de la propagande, d'avoir des représentants dans tous les conseils et de ne point assumer la responsabilité de l'administration, tout en se réservant pleine liberté de critique pour pouvoir toujours déclarer que, si l'on eût suivi leurs conseils, les choses auraient mieux marché. Les radicaux et les républicains, agissant seuls, n'auraient aucune force; aussi sont-ils obligés d'accepter cette alliance qui, tout en les plaçant dans la dépendance des socialistes, leur permet d'occuper dans les administrations locales des postes que certainement ils n'auraient pas obtenus sans cela. Ce qui fait que, dans la majeure partie des communes italiennes cette Union des partis populaires se trouve en lutte contre les monarchistes, et avec succès en quelques endroits : les cléricaux irrités de la répression de 1898, qui avait aussi frappé leur organisation de sociétés ouvrières et de caisses rurales, n'avaient plus voulu s'unir aux monarchistes et préférèrent établir une liste exclusive. Les partis populaires furent vainqueurs à Milan et en quelques autres endroits où la minorité (qui doit toujours y exister, les élections administratives ayant lieu sous le régime du vote limité) fut occupée par les monarchistes, tandis que les cléricaux s'en trouvèrent exclus. Mais à Bologne, à Florence, à Turin et en beaucoup d'autres endroits, les monarchistes furent vainqueurs, laissant la minorité aux partis populaires, toujours à l'exclusion des cléricaux. A Brescia, où l'on avait à combattre M. Zanardelli et son parti radical-constitutionnel, les modérés et les cléricaux maintinrent

REVUE DU DROIT PUBLIC.-T. XIV

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