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leur antique alliance et réussirent à battre si complètement leurs adversaires que M. Zanardelli lui-même, qui est incontestablement le plus illustre des Brescians vivants, ne fut nommé que parmi les élus de la minorité. A Rome, dans les temps passés, tous les libéraux, quelle que fût leur couleur politique, s'unissaient pour combattre les cléricaux ; mais depuis quelques années il n'en est plus ainsi et par suite les cléricaux constituent une forte minorité dans le conseil communal; de sorte qu'aux élections de 1899 les libéraux s'étant divisés abandonnèrent la victoire aux cléricaux. Mais il faut le dire à leur honneur) ceux-ci ne se montrent pas intransigeants et sont des catholiques respectueux envers le Saint-Père et désireux d'arriver à une conciliation entre la Papauté et l'Italie, plutôt que des cléricaux politiques. Dans quelques communes, comme Milan, les élections partielles rendirent nécessaire la dissolution du conseil municipal, parce que l'ancienne majorité se trouvait réduite au minimum possible et que les nouveaux élus ne se jugèrent pas assez forts pour assumer la responsabilité de l'administration. Dans le fait, le conseil municipal de Milan ayant été dissous, de nouvelles élections générales eurent lieu le 10 décembre, lesquelles, ainsi que tout le monde le prévoyait, furent une victoire complète pour le parti populaire; la minorité échut aux monarchistes et les cléricaux furent totalement exclus. En ce moment l'administration municipale de Milan est dirigée par une assemblée radicale ayant à sa tête M. Mussi, ancien et influent député de l'extrême gauche ; naturellement, ni M. Mussi, ni ses autres collègues ne sont des révolutionnaires; ils ne sont pas même de vrais républicains et, au point de vue social, ils sont, peut-être plus, mais assurément non moins conservateurs que les monarchistes. De là résulte qu'ils ont déjà fait des mécontents dans la majorité qui les soutient, spécialement dans le groupe socialiste, au point que dans quelques votations ils se fussent déjà trouvés en minorité s'ils n'eussent eu l'aide des monarchistes.

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XIV. TRANQUILLITÉ DU PAYS pendant l'été. Après la fermeture de la Chambre, le pays demeura tranquille, bien que dans l'espoir de l'exciter contre le gouvernement, l'extrême gauche eût lancé un manifeste accusant celui-ci d'avoir violé les garanties constitutionnelles. A l'approche du péril de l'obstructionnisme, le ministère avait eu l'adresse de demander et de se faire accorder six mois d'exercice provisoire, de sorte qu'il put administrer tranquillement. Le décret-loi entra en vigueur; les tribunaux le déclarèrent valide et l'appliquèrent; dernièrement sa constitutionnalité fut aussi reconnue par la Cour de cassation siégeant à Rome. Pendant l'été, on put constater dans toute la péninsule les signes évidents d'une prospérité économique renaissante: le pays, certain que l'ordre ne serait point troublé et que le gouvernement n'imposerait pas d'aggravation aux contribuables, se reprit à travailler avec sérénité et confiance. XV. PROCÈS MOTIVÉ PAR LE RENVERSEMENT DES URNES A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. Nous avons dit que le 30 juin, pendant la dernière séance de la Chambre, quelques députés de l'extrême gauche avaient renversé les urnes du scrutin. Ce fait, avoué par ses auteurs, qui même s'en vantaient,

était-il de nature à constituer un délit donnant lieu à des poursuites judiciaires? Ou bien rentrait-il dans le privilège reconnu par l'art. 51 du Statut (1)? Evidemment, cette dernière opinion n'avait pas de base juridique, car l'acte de renverser les urnes ne peut être, d'aucune façon, con. sidéré comme se rattachant à la fonction législative des députés. Mais, se demandait-on aussi, ce fait, même réputé délictueux, ayant eu lieu dans la salle des séances de la Chambre, l'autorité judiciaire peut-elle procéder d'office, ou doit-elle attendre la plainte portée par la présidence de la Chambre elle-même ? Enfin, le fait s'étant produit dans la salle des séances, ne devait-on pas, pour procéder contre les coupables, demander l'autorisation de la Chambre elle-même ?

L'autorité judiciaire retint que le fait était délictueux comme constituant une violence ayant pour but d'empêcher l'assemblée élective de remplir sa principale fonction ; qu'aucune plainte de la part de la présidence n'était nécessaire; enfin, que la session étant close, il n'y avait pas lieu de demander l'autorisation de procéder, puisque le privilège des députés, aux termes de l'art. 45 (1), ne s'étend qu'à la session ouverte. En conséquence, elle se déclara compétente, et renvoya les députés inculpés devant la Cour d'assises pour y être jugés. Le procès devait commencer le 30 octobre devant la Cour d'assises de Rome; mais, avant l'ouverture de l'audience, le président rendit une ordonnance portant que le décret royal convoquant le Parlement en nouvelle session pour le 14 novembre était déjà publié et que, les députés accusés se trouvant par suite couverts à nouveau par l'immunité parlementaire, il ordonnait leur mise en liberté et le renvoi des documents du procès à la Chambre des députés, pour obtenir l'autorisation régulière de procéder.

Cette ordonnance était légalement critiquable parce que le privilège de l'immunité commence avec l'ouverture de la session et non avant; par suite, les députés ne jouissaient, jusqu'au 14 novembre, d'aucun privilège et pouvaient être jugés et condamnés dans les formes ordinaires, les privilèges ne pouvant jamais recevoir une interprétation extensive. Le président avait pensé peut-être que les défenseurs des inculpés, et les inculpés eux-mêmes auraient cherché, par tous les moyens, à traîner les choses en longueur pour arriver à la date du 14; qu'à cette date le procès aurait dû être suspendu ; et que même dans l'hypothèse où il eût été terminé avant ce jour, la sentence, en cas de condamnation, ne serait pas passée à l'état de chose jugée et, par suite, la Chambre serait intervenue. Si la sentence eût prononcé l'acquittement, procès et sentence n'auraient servi d'ailleurs. à rien autre chose qu'à glorifier les violences des obstructionnistes. C'est pourquoi, si au point de vue juridique cette ordonnance nous paraît blâ mable, elle peut, au point de vue politique, être déclarée utile ou tout au moins opportune,

(1) Art. 51: Les sénateurs et les députés ne peuvent être recherchés au sujet des opinions émises et des votes faits par eux à la Chambre.

(1) Art. 45: Aucun député ne peut être arrêté, hors le cas de flagrant délit, pendant le temps de la session, ni traduit en jugement en matière criminelle sans le consentement de la Chambre.

XVI. DISCOURS DES CHEFS DE L'OPPOSITION.

Nous avons déjà dit que l'ex. trême gauche et l'opposition constitutionnelle avaient espéré pouvoir exciter dans le pays une certaine agitation contre le gouvernement en lui reprochant et l'accusant d'avoir, par ses actes et spécialement par le décretloi, violé les garanties statutaires. A ces fins, pendant les vacances, les députés prononcèrent des discours et tinrent des conférences. M. Zanardelli et Giolitti se montrèrent particulièrement sévères pour le ministère ; le premier l'attaqua spécialement au sujet du décret-loi, et déclara qu'en l'appliquant la magistrature avait manqué à tous ses devoirs ; il concluait en faisant appel aux Italiens, les sommant de se lever pour la défense des grands principes libéraux; le second soutenait que tous les hommes dévoués aux institutions devait s'unir pour combattre un ministère qui, par sa conduite réactionnaire, les mettrait en péril; il exposa en outre les grandes lignes d'un programme démocratique de réformes administratives. On remarqua aussi une tentative de l'extrême-gauche radicale à s'affirmer comme parti de gouvernement, en se séparant des groupes républicains et socialistes. M. Sacchi, qui est depuis la mort de M. Cavallotti le député radical le plus influent, prononça divers discours; dans le plus important, à Bologne, il disait que ses amis et lui-même devaient se mettre en état d'entrer au ministère pour appliquer leur programme de réformes politiques et sociales tout en respectant les institutions en vigueur. La tentative est remarquable, mais ne peut conduire à aucun résultat pratique; si les radicaux se séparent des deux autres groupes de l'extrême gauche, ils demeurent à l'état de patrouille de caporaux sans soldats; s'ils leur restent unis, la force même des choses les doit entraîner hors du cercle des institutions; l'unique moyen de réussite pour des radicaux est de se séparer de l'extrême-gauche, de faire bande à part ou de s'inscrire à la gauche constitutionnelle, comme firent M. Fortis, M. Ferrari et tant d'autres.

Un fait d'un autre ordre devait contribuer à rendre des tumultes diffici les. On sait que la Chambre italienne avait son siège provisoire au palais de Montecitorio; la salle, construite en fer et bois, occupait l'emplacement de la cour et depuis quelque temps déjà, on pensait à la construction d'une autre salle qui eût un autre caractère définitif. A la fin d'octobre, les questeurs de la Chambre déclarèrent qu'ils ne voulaient point assumer la responsabilité de laisser les séances, et principalement la séance royale, avoir lieu dans la salle habituelle parce qu'elle menaçait de s'écrouler. Le ministre des travaux publics envoya une commission d'inspecteurs techniques, lesquels confirmèrent l'existence et la gravité du péril. On décida alors que la séance royale d'inauguration aurait lieu dans la salle des séances du Sénat et que l'on construirait, pour les séances de la Chambre, une salle provisoire dans les locaux de la Bibliothèque, renvoyant à la Chambre elle-même toute décision concernant la salle définitive.

XVII. OUVERTURE DE LA NOUVELLE SESSION PARLEMENTAIRE. DISCOURS DU TRÒNE. Ce qui avait été décidé eut lieu; la séance royale fut tenue dans la salle des séances du Sénat, très belle, mais petite. La Chambre se réunit donc dans une salle étroite, ne contenant pas même autant de sièges qu'il y a de députés, et qui n'a que de petites tribunes, ne pouvant conte

nir que peu de personnes dans une petite enceinte, on ne peut hurler comme dans une grande; les bruits s'amortissent nécessairement et ce qui contribue indubitablement aussi à les amortir, c'est l'absence presque totale de public.

Le discours du Roi fut très calme; plusieurs même le jugèrent effacé et incolore et regrettèrent que, au moins dans la forme, la parole du Roi ne sonnât pas haute et forte. S. M., après avoir rappelé la responsabilité que Parlement et Gouvernement ont vis-à-vis de la nation, dit que ce n'était point le cas d'énoncer de nouveaux programmes de travaux puisque la session écoulée avait légué en héritage à la nouvelle beaucoup de projets de loi dont la discussion immédiate était nécessaire. Il fit à l'obstructionnisme une allusion très mitigée : « Des perturbations momentanées ont pu empêcher le développement régulier de l'action de la Chambre des députés, rendant ainsi nécessaire une interruption dans les travaux du Parlement; les conséquences de cette interruption seront de peu de gravité si vous savez, comme j'en suis certain, les réparer par une laborieuse célérité ». Le discours se terminait par une allusion à l'année sainte, c'est-à-dire à l'année du jubilé, qui allait commencer : « Le prochain retour d'une année qui fait époque dans le monde catholique sera pour nous une occasion de montrer encore comment nous savons respecter et faire respecter les engagements pris par nous, lorsque, pour compléter notre unité, nous avons établi à Rome la capitale du royaume ».

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XVIII. ELECTION DE M. COLOMBO A LA PRÉSIDENCE DE LA CHAMBRE. Bien que tout semblåt démontrer que l'extrême gauche n'aurait plus recours à l'obstructionnisme et que tout laissât croire, au contraire, que les séances se passeraient désormais assez tranquillement, il était cependant néces saire que le ministère pensàt à la nomination du président de la Chambre, car après la malheureuse épreuve de l'été écoulé il ne pouvait continuer à proposer M. Chinaglia. Il fallait donc trouver un parlementaire influent et énergique capable tout à la fois de bien diriger les séances calmes, et de ne pas se laisser intimider par les désordres possibles, mais au contraire, de pouvoir et de savoir prendre, le cas échéant, les mesures propres à les réprimer et à en empêcher le renouvellement. On ne pouvait, à cause de son âge, choisir pour ces fonctions le doyen du Parlement, M. Biancheri. Le choix général se porta sur M. Colombo, député de Milan, ancien ministre des finances dans deux des cabinets présidés par M. Rudini. De leur côté les divers groupes de l'opposition cherchèrent à se mettre d'accor1 sur un nom qui pùt rassembler un grand nombre de suffrages; l'accord aurait été difficile si l'on eût choisi un homme politique qui, en cas de réussite, était naturellement désigné à S. M. pour la formation du nouveau ministère. Il devenait facile, au contraire, dans le cas où le choix tomberait sur une personnalité sympathique à beaucoup de députés, mais n'ayant aucune ambition de faire partie du cabinet. Aussi, après beaucoup de discussions, dans la matinée même du jour de l'élection, le 15 novembre, les oppositions s'accordèrent-elles sur le nom de M. Biancheri. La désignation de l'illustre vieillard, alors absent de Rome, fut faite seulement au dernier moment, pour l'empêcher de refuser la candidature, comme chacun savait

qu'il l'aurait fait s'il en eût eu la possibilité. M. le marquis di Rudini qui, jusqu'au dernier moment, avait laissé croire qu'il aurait voté et fait voter ses adhérents pour M. Colombo, ayant appris que M. Biancheri était proposé, fit volte-face, vota et fit voter pour ce dernier. Peut-être M. Rudini espérait i que, si M. Biancheri, homme de l'ancienne droite, était élu, il pourrait, lui, Rudini, recevoir la mission de former le nouveau cabinet, au lieu et place de MM Zanardelli et Giolitti, parlementaires de gauche. La lutte fut longue et animée; en fin de compte,le candidat ministériel triompha, réunissant 198 suffrages, tandis que M. Biancheri en compta 179; il y eut 10 votes dispersés, les votants étant au nombre de 387. Dans les autres élections présidentielles et dans celles des commissions parlementaires, la majorité ministérielle devint plus nombreuse.

XIX. PRÉSENTATION DU DÉCRET-LOI. M. Pelloux représenta le décret-loi dont la discussion et l'approbation étaient restées suspendues par le fait des obstructionnistes. Ce décret ayant déjà reçu et continuant à recevoir son exécution, le ministre ne pressa pas la Chambre de procéder à son examen. Le milieu politique paraissait plus tranquille lorsque, tout à coup, la question de la maffia s'éleva et vint obscurcir l'horizon.

XX. RECHERCHE DES ASSASSINS DU COMMANDEUR NOTARBARTOLO, ACCUSATIONS PORTÉES CONTRE UN DÉPUTÉ. Il y a quelques années, le commandeur Emmanuel Notarbartolo avait été assassiné en chemin de fer dans les environs de Syracuse, pendant qu'il se rendait d'une de ses propriétés à la ville. M. Notarbartolo était connu pour son honnêteté et la sévérité de son caractère. Nommé directeur général de la banque de Sicile, il avait fait cesser beaucoup d'abus et combattu les ingérences politiques ainsi que celles des partis et des camarillas dans les affaires de la banqne; les résistances qu'il rencontra dans cette œuvre furent telles qu'elles l'amenèrent à se démettre de ses fonctions. Lorsqu'il fut assassiné, il allait être nommé de nouveau à cet emploi éminent. On dit tout de suite que l'assassinat avait été commis par ordre d'un tiers inconnu intéressé à ce que M. Notarbartolo ne revînt pas à ce poste. Beaucoup de recherches furent faites; l'instruction fut close et rouverte plusieurs fois; finalement fut décidé le renvoi devant la cour d'assises des auteurs matériels présumés de l'assassinat; mais chacun était persuadé qu'il se trouvait des fauteurs haut placés qui n'avaient pas été incriminés. Le procès fut mis en discussion devant la Cour de Milan, où il avait été renvoyé pour cause d'ordre public. Il se déroulait au milieu de l'indifférence générale, lorsque, tout à coup, les choses changèrent. Le fils de la victime, Cavaliere Leopoldo Notarbartolo, lieutenant de vaisseau, vint affirmer sa conviction que le crime avait été commis par ordre de Raffaelo Palizzolo, député du premier collège de Palerme et chef avéré de la maffia dans cette ville. Cette déclaration nette et précise, confirmée par d'autres dépositions analogues, produisit une énorme impression. Cependant les témoins appelés se contredisaient et la fausseté des dépositions apparaissait. On cita comme témoins des préfets, des questeurs, des inspecteurs de police, des officiers de gendarmerie; de leurs dépositions il ressortit que

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