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CHRONIQUE FISCALE ET FINANCIERE

LA SITUATION FISCALE DES ASSOCIATIONS
ET DES CONGREGATIONS

Sommaire : I. La loi du 28 décembre 1880: Le droit d'accroissement. Les transmissions de droits dans une association sans but lucratif. La taxe de mainmorte. Difference de traitement des associations autorisées et non autorisées.

II. Extension opérée par cette loi de l'impôt sur le revenu à toutes les associations sans but lucratif, autorisées ou non.

III. Résistance opposée à cette législation par les associations sans but lucratif.

La loi de 1884 et la taxe d'accroissement imposée, d'une manière inéluctable, aux congrégations. Aggravation de cet impôt par les pratiques de la Régie.

IV. Conversion opérée par la loi du 16 août 1895 du droit de mainmorte en une taxe annuelle sur les biens meubles et immeubles des associations.

V. Incohérence de la législation: garanties de l'action du Trésor; caractères essentiels de l'association religieuse; multiples questions non résolues touchant l'interprétation des lois sur le droit d'accroissement.

VI. Détermination des personnes et des biens tenus du paiement des droits. Nombre et effets des instances engagées.

VII. Raisons de l'insuffisance des poursuites dirigées contre les associations non

auto

risées. De l'assimilation faite par la Cour de Cassation, au point de vue de l'obligation au paiement des droits, entre les congrégations autorisées et les associations non autorisées. VIII. Injustice du projet de loi de 1899: inexactitude des présomptions établies; caractère imparfait ou illusoire de la responsabilité mise à la charge du propriétaire des immeubles, IX. Imperfections du projet insuffisance de la taxation d'après les propriétés occupées par les congrégations, et de la solidarité édictée quant à ces charges à l'encontre du propriétaire.

X. Substitution au privilège établi par la loi de 1895 du privilège des frais de justice.
XI. Avantages que présenterait l'application du droit commun aux associations.

I. On nous promet pour un délai prochain une quatrième loi sur les taxes dues par les congrégations religieuses. La première date du 28 décembre 1880; celles qui l'ont suivie, et celle qui va être votée, ont toutes pour objet de rendre la fraude ou la résistance impossibles; aucune d'elles n'y est complètement parvenue.

Tout le monde sait que la loi du 28 décembre 1880, due à l'initiative de M. Brisson, a eu pour objet principal d'atteindre les congrégations non autorisées ; bien que, sous l'influence de la crainte puérile de paraître leur reconnaître une existence légale, on ne voulût pas les mentionner, c'est elles surtout qu'on visait sous le nom de « sociétés ou associations civiles qui admettent l'adjonction de nouveau membres », et si celles des associations non religieuses qui présentent les mêmes caractères se trouvaient englobées dans cette formule générale, il est certain qu'on n'aurait pas songé à légiférer spécialement pour elles. Le principe du droit d'accroissement, dût lors de la retraite ou du décès des personnes affiliées aux associations visées par la loi de 1880, était légitime; il l'était tellement qu'avant cette loi et malgré l'absence d'un texte spécial, la jurisprudence

n'avait pas hésité à frapper d'un impôt les réversions de propriété. Cet impôt, après de célèbres discussions, avait été reconnu être un droit de mutation à titre onéreux ; et c'était justice, car il y a dans les clauses de réversion un pacte aléatoire et non pas une donation réciproque et éventuelle. Mais, après d'autres débats, la jurisprudence avait admis que le droit exigible n'est pas celui que la loi fiscale établit sur les transmissions d'objets mobiliers ou immobiliers, mais le droit spécial de 50 cent. p. 100 dont sont frappées les cessions d'actions dans les sociétés. Il y avait sur ce point beaucoup à dire. D'abord le droit de 50 cent. p. 100 ne vise que les cessions de droits dans une société par actions, et puisqu'il constitue une faveur fiscale, il ne doit pas être étendu; comme, depuis 1857, les cessions d'actions sont soumises à une législation différente, le droit spécial de 50 cent. p. 100 n'existe plus. Donc, en l'appliquant aux transmissions de droits dans les sociétés commerciales, la Cour de cassation avait déjà fait du texte une interprétation extensive; en l'étendant aux transmissions de droits dans les sociétés civiles, elle avait poursuivi plus avant le rôle de législateur que, sous prétexte d'interpréter le texte, elle s'attribuait. Mais, en décidant enfin que le même droit serait dù sur les transmissions de droits dans une association sans but lucratif, dépourvue de personnalité, elle donnait prise à toutes les critiques.

Quoi qu'il en soit, cette solution ne favorisait pas seulement, comme on le dit généralement, les associations sans but lucratif au point de vue du tarif; celles-ci retiraient de la jurisprudence un bénéfice beaucoup plus sérieux encore en ce sens que les cessions de parts sociales, soumises au droit de 50 cent. p. 100, ne figurent point parmi les actes et mutations dont l'enregistrement est obligatoire; il en est autrement de toutes les mutations par décès; il en est autrement aussi des mutations d'immeubles à titre onéreux, et il est très rare que la réversion entre membres d'une association sans but lucratif ne comprenne pas des parts d'immeubles.

La loi de 1880 aurait rétabli les principes si elle avait assujetti cette réversion aux droits de mutation à titre onéreux ordinaires; on ne peut pas dire cependant qu'elle ait agi sans discernement en appliquant à cette réversion le droit, beaucoup plus élevé(1), de mutation à titre gratuit. C'est qu'en même temps on poursuivait un autre but, celui de compléter la législation sur l'impôt de mainmorte. Cet impôt est dù annuellement par les associations qui sont pourvues de la personnalité morale, pour tenir lieu des droits de mutation à titre onéreux, auxquels échappent, une fois qu'ils sont entrés dans le patrimoine de ces associations, les immeubles qu'elles possèdent soustraits à la circulation d'une manière à peu près définitive, ces biens ne font plus l'objet de transmissions qui donnent au Trésor l'oc

:

(1) Plus élevé à raison de ce que les membres d'une association sans but lucratif, et notamment d'une congrégation religieuse non autorisée, n'ayant ordinai. rement aucun lien de parenté entre eux, le droit de mutation à titre gratuit, qui varie suivant la parenté, était fixé au taux le plus considérable, soit 9 p. 100, alors que le droit de mutation à titre onéreux ne dépasse jamais 5,50 p. 100.

casion de percevoir des droits de mutation. Qu'on trouvât ou non justifiée cette compensation fiscale, il était permis de considérer comme choquant que les associations sans but lucratif, et notamment les congrégations et communautés non religieuses, fussent soustraites à un impôt qui pèse sur les associations dotées de la personnalité et reconnues ainsi d'utilité publique. La reconnaissance d'une association par le gouvernement est une faveur motivée tant par la régularité du fonctionnement de cette association que par les services qu'elle rend à la société. Il n'est pas juste qu'au point de vue fiscal les associations non reconnues, et généralement illicites comme comprenant plus de vingt membres, soient traitées plus favorablement. D'un autre côté le motif pour lequel a été établi le droit de mainmorte a tout autant de valeur en ce qui concerne ces dernières que pour ce qui regarde les premières: en fait, les biens possédés par les associations non autorisées sont détournés définitivement de la circulation.

Il eût donc été juste d'étendre aux associations non autorisées la taxe de mainmorte. On n'a pas osé le faire, on a eu tort. Etait-il raisonnable de soutenir, comme on l'a fait, que cette extension aurait été une reconnaissance implicite de toutes les associations sans but lucratif? Il aurait suffi de jeter les yeux sur la législation et sur la jurisprudence pour apercevoir l'insignifiance de cet argument. C'est un principe absolu en matière d'enregistrement et de timbre que les nullités des actes, des mutations, des institutions n'ont aucune influence sur la perception; la même règle est de appliquée sans difficulté aux contributions directes, et notamment le droit patente est payé par les sociétés commerciales irrégulièrement constituées. Puisque le droit de mainmorte est un impôt direct, et que cet impôt tient lieu du droit de mutation, ce qui était illogique c'était de restreindre ce droit aux associations reconnues ; et si la loi du 20 février 1849 n'avait pas eu soin de viser exclusivement les établissements « légalement autorisés », il est fort probable que la jurisprudence, par une juste application des principes que nous venons de rappeler, aurait fait également peser la axe sur les associations non autorisées.

Si la loi de 1880 avait à cet égard complété celle de 1849, elle aurait donné une solution irréprochable en équité, concordante avec les principes de la législation fiscale. Se serait-elle heurtée à une difficulté pratique résultant de ce que les biens des associations non autorisées ne sont pas connus, ne font l'objet d'aucune statistique? Remarquons que l'impôt de mainmorte frappe exclusivement les immeubles; leur existence et leur situation sont toujours facile à connaître, la détermination de leur propriétaire peut résulter de simples présomptions, la loi pouvait (c'est ce qu'a fait plus tard celle du 29 décembre 1884) autoriser le Trésor public à se faire communiquer, pour asseoir la perception, tous les documents existant au siège et dans les succursales des associations. Tout cela, sans doute, n'écarte pas complètement la fraude; mais les associations autorisées ne sont-elles pas aussi en position de commettre des fraudes; n'en existe-t-il pas un grand nombre qui, pour cacher leur fortune, mettent au nom de personnes interposées certains immeubles leur appartenant? En tout cas, ces con

sidérations n'ont pas fait reculer définitivement le législateur, puisque nous le verrons établir un impôt direct, non seulement sur les immeubles, mais sur les meubles mêmes des associations non autorisées.

Voilà donc ce qu'il aurait, suivant nous, fallu faire assimiler entièrement les associations non autorisées aux associations autorisées, traiter les premières comme les secondes, par application du principe que les nullités du droit commun n'ont aucune influence sur le droit fiscal.

II. En même temps, la loi de 1880 étendait l'impôt sur le revenu, fixé à 3 P. 100 par la loi du 29 juin 1872 (et porté en 1890 à 4 p. 100) à toutes les associations sans but lucratif, autorisées ou non. L'impôt sur le revenu est une taxe sur les bénéfices des associés et des obligataires. La loi de 1872 ne la fait porter que sur les bénéfices distribués et, par conséquent, sous l'empire de cette loi, les associations sans but lucratif en étaient exemptes, le propre de ces associations étant de ne pas distribuer leurs bénéfices entre leurs membres Nous n'avons pas à justifier ici le principe de l'impôt sur le revenu; tel qu'il est organisé vis-à-vis des sociétés distribuant des bénéfices, il ne fait pas double emploi avec le droit de patente. Le droit de patente est, par ensence, un impôt sur les bénéfices réalisés dans le commerce ou l'industrie. C'est pourquoi le législateur de 1880 n'a pas voulu appliquer les patentes aux associations d'une manière générale, mais c'est aussi pourquoi les associations qui se livrent à un commerce ou à une industrie sont frappées du droit de patente. Mais, dès lors que l'impôt sur le revenu frappe les bénéfices distribués, les associations devaient y échapper. N'eût-il pas été juste de modifier la formule employée par la loi de 1872 et de décider que les bénéfices réalisés seront frappés de l'impôt ? Cette solution aurait eu pour premier avantage de soustraire le législateur de 1880 à tout soupçon de partialité ; il aurait appliqué aux associations un principe, au lieu de sembler étendré ce principe à leur préjudice; il aurait, en outre, modifié la loi de 1872 dans un sens éminemment raisonnable: ce qui fait la fortune d'un associé ou d'un obligataire, ce n'est pas seulement la somme qu'il touche, c'est aussi la créance qui naît à son profit; les fonds mis en réserve par une société, les revenus qu'elle capitalise augmentent la valeur des droits des actionnaires, constituent un enrichissement aussi bien que les répartitions effectuées. Le fondement assigné à l'impôt par la loi de 1872 est tellement injuste que, pour écarter toutes les combinaisons, même légitimes, par lesquelles les sociétés profitent de ce fondement pour éviter la taxe ou en limiter la charge, la jurisprudence a dû donner aux textes une large extension, et que, malgré cette extension, elle a laissé le Trésor sans défense contre certaines pratiques, respectables parce qu'elles ne sont pas frauduleuses.

III. Les transformations que la loi de 1880 a dù subir, et qui n'ont encore abouti ni à assurer le recouvrement de l'impôt, ni à pacifier les esprits dans une matière qui touche à la politique et à la religion autant qu'au droit fiscal, s'expliquent uniquement par le procédé incorrect auquel le législateur a eu recours : l'égalité devant l'impôt doit exister autant dans

la forme que dans le fond; c'est une grave erreur que de créer, lorsqu'on peut arriver au résultat cherché par l'extension d'un impôt existant ou par une modification dans les bases générales de cet impôt, des impôts compensatoires qui permettent, à tort ou à raison, de mettre en doute l'impartialité de la loi et de l'accuser de méconnaître le principe de l'égalité des charges.

C'est pourquoi les associations sans but lucratif ont pu, s'attachant à la forme plutot qu'au fond, soutenir qu'elles étaient maltraitées par la loi fiscale. Leur résistance a été telle que le produit annuel des deux taxes établies par la loi de 1880, évalué à 4 millions et demi, ne dépassa pas 200.000 fr.; et, si cette résistance put être efficacement organisée, c'est pré- ̧ cisément parce qu'on avait établi, sous des noms anciens, des impôts nouveaux. Pour se soustraire à la disposition de la loi de 1880 qui concernait l'impôt sur le revenu, il suffisait à une association de s'attribuer fictivement, par ses statuts, un but lucratif. Visant ainsi une distribution de bénéfices, elle échappait à la loi de 1880; n'en distribuant pas effectivement, elle n'était pas soumise à la loi de 1872. Quant au droit d'accroissement, il suffisait, pour ne pas le payer, de rejeter des statuts l'une des deux clauses à la réunion desquelles la loi de 1880 subordonnait l'exigibilité de cet impôt le droit d'adjonction de nouveaux membres, ou la réversion en cas de décès ou de retraite. Les congrégations et associations religieuses étaient à peu près seules à employer ces procédés; dans les associations sans but lucratif qui n'ont pas le caractère religieux, les associés ne sont pas, en général, assez sûrs d'eux-mêmes pour oser s'obliger réciproquement par des clauses qu'ils n'auront pas l'intention d'observer; il sera toujours à craindre que l'un deux exige l'exécution de ces stipulations, introduites pour écarter l'application des lois fiscales et incompatibles avec la volonté réelle des associés et le but de l'association.

Aussi est-ce seulement contre les congrégations et communautés religieuses que la loi de 1884 a légiféré elles sont soumises aux deux impôts par cela seul qu'elles existent.

L'ancienne anomalie persistait; une autre inégalité était créée puisque des associations sans but lucratif étaient assujetties à une condition fiscale différente, suivant qu'elles avaient ou non un caractère religieux.

Il faut ajouter, que, tout au moins en apparence, la loi de 1884 étendait aux congrégations autorisées les deux impôts. Cette apparence devint, en fait, une réalité, après que la jurisprudence eut statué sur l'interprétation du texte. Ainsi, malgré la personnalité morale des congrégations autorisées, le décès ou la retraite de leurs membres était regardé comme opérant réversion de la part de ces membres au profit des autres associés. C'était une anomalie juridique; le législateur aurait pu, et il n'aurait pas eu tort sans doute, considérer que l'impôt de mainmorte avait cessé d'être l'équivalent exact des droits de mutation, il aurait pu augmenter cet impôt. En le maintenant tel qu'il était et en y ajoutant un autre droit de mutation, il provoquait de nouvelles réclamations, qui, comme les précédentes, avaient un caractère spécieux.

Au moins les congrégations ne purent-elles plus, dès lors, par une rédac

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