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damnation à 46 francs d'amende avec bénéfice de la loi de sursis, prononcée contre les membres du bureau de la Ligue des droits de l'homme et du citoyen et de la Ligue de la Patrie française ainsi que contre le président de l'Union des comités plébiscitaires.

M. George Duruy, professeur à l'Ecole polytechnique, ayant publié, dans le Figaro, divers articles où il préconisait la révision, ses élèves l'accueillirent par des cris répétés de « Démission! » Ils furent réprimandés et le cours suspendu; M. Gouzy, député du Tarn, questionna à ce sujet le ministre de la guerre à la Chambre, mais M. de Freycinet vit sa réponse interrompue avec tant de violence qu'il quitta la tribune et fit sur le champ connaître au président du Conseil sa résolution d'abandonner son portefeuille.

Maintenue, malgré l'insistance du président du conseil et la pressante intervention du président de la République, la démission du ministre de la guerre rendue publique en même temps que son remplacement par M. Krantz, provoqua une interpellation de M. Georges Berry, terminée par l'ordre du jour pur et simple, mais au cours de laquelle M. Lasies se fit appliquer la censure simple pour ses violences de langage à l'égard de M. Delcassé, ministre des affaires étrangères.

Le débat reprit dès le lendemain 12, sur une question de M. Viviani, à la suite de la publication par le Petit Journal de toute la correspondance échangée, au mois d'avril, entre M. Delcassé, ministre des affaires étrangères et M. de Freycinet, ministre de la guerre. M. Delcassé prit la parole après M. Krantz, s'expliqua, en particulier, sur la correspondance visée et établit la parfaite bonne foi de son département. La Chambre approuva leurs déclarations par 389 voix contre 64.

Le 3 juin la Cour de cassation rendit enfin son arrêt sur la demande en révision du procès Dreyfus. Deux faits nouveaux étaient relevés d'une part, la communication au Conseil de guerre de 1894 de certaines pièces : de l'autre, l'attribution du bordereau à un autre officier que le condamné. En conséquence la Cour cassait et annulait le jugement du 22 décembre 1894 et renvoyait Alfred Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes pour être à nouveau jugé.

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§ 3. Session ordinaire de 1899. Les présidents sortants des deux Chambres, MM. Loubet et Deschanel, furent réélus le premier sans concurrent, le second contre M. Henri Brisson, et prononcèrent, en reprenant leurs fauteuils, des discours d'installation d'une grande éloquence et d'une haute tenue. M. Loubet traita de la mission de contrôle qui appartient au Sénat, M. Deschanel du rôle extra-présidentiel d'un président d'assemblée politique.

Les interpellations et autres débats politiques furent, en dehors de ceux relatifs à l'affaire Dreyfus, moins nombreux, pendant les premiers mois. de 1899, qu'on n'aurait pu le craindre.

C'est en juin qu'eurent lieu les discussions les plus violentes en même temps que les plus sérieuses par leurs conséquences politiques qui furent la chute du cabinet Dupuy et la constitution du ministère Waldeck-Rous

seau. On en lira le détail ci-dessous après le récit des événements dont elles furent la suite.

Crise présidentielle.

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Dans la soirée du 16 février une invraisemblable nouvelle, qui était pourtant vraie, se répandit dans Paris, celle de la mort du président de la République.

M. Félix Faure qui, le matin, avait, en parfait état de santé, présidé le conseil des ministres se trouva subitement indisposé vers 6 heures du soir et mourut à 10 heures d'une attaque d'apoplexie. L'émotion fut extrême en France et au dehors.

Si M. Félix Faure, en effet, qui était pourtant un travailleur obstiné et réclamait des éclaircissements détaillés sur tout ce qui était soumis à sa signature, n'avait pas exercé une influence décisive sur la conduite politique du pays, il avait su, du moins, incarner de façon très remarquable la première magistrature de la République et représenter dignement la France au regard de l'étranger. Son goût du luxe et du « panache », le soin qu'il mettait au maintien des prérogatives extérieures de sa charge avaient parfois excité la verve de quelques railleurs, mais le peuple français, dans son ensemble, lui en savait gré et l'aimait.

Au dehors on appréciait son tact, sa bonne grâce et le mélange heureux qui était en lui d'affable bonne humeur et de dignité. En deux circonstances remarquables, l'Europe avait suivi des yeux le déploiement de ses qualités rares et n'avait pas trouvé motif ou prétexte à critique lors du voyage en France des souverains russes, et quand lui-même se rendit en Russie, on peut dire que M. Félix Faure se montra chef d'Etat accompli et contribua personnellement pour sa bonne part à resserrer les liens qui unissent les deux pays amis et alliés.

Et M. Félix Faure qui était en France un président populaire, avait à l'étranger l'estime et la sympathie des Gouvernements.....

L'Assemblée nationale se réunit le 18 février pour élire un nouveau président de la République.

Les républicains progressistes de la Chambre avaient, sur la proposition de M. Henry Boucher, député des Vosges, adopté la candidature de M. Méline dont le succès parut un moment certain. Mais les groupes d'extrême-gauche, qui ne pouvaient espérer l'élection d'un candidat de leur opinion, voulurent du moins empêcher celle de l'ancien chef du ministère qui leur avait avec le plus d'énergie tenu tête. Profitant avec habileté des dispositions du Sénat, porté à voter en masse pour son éminent président, ils se prononcèrent les uns après les autres pour la candidature de M. Loubet, tàchant de la sorte, sinon de donner à celle-ci une couleur radicale, de lui enlever tout au moins son caractère simplement républicain et progressiste. Après avoir longtemps résisté, l'honorable président du Sénat céda enfin aux sollicitations dont il était l'objet de la part de ses collègues de la Haute Assemblée, même les plus modérés. M. Méline aussitôt retira sa candidature qu'il avait dès le début subordonnée à l'attitude de M. Loubet, mais un certain nombre de ses amis, refusant de déférer à son désir, commirent la faute de l'engager malgré lui et de le compromettre

dans une lutte où son nom ne pouvait plus que rallier les voix de la droite et d'une minorité républicaine.

M. Loubet fut, en effet, élu par 483 suffrages contre 279 attribués à son involontaire concurrent.

Né à Marsanne, chef-lieu de canton de la Drôme, le 31 décembre 1848, M. Emile Loubet a successivement été investi de tous les mandats politiques depuis celui de conseiller municipal jusqu'à la première et plus haute magistrature du pays. Maire de Montélimar, conseiller général, puis président de l'assemblée départementale, il entra à la Chambre en 1876, fut au nombre des 363 et passa au Sénat en 1885. Titulaire du portefeuille des travaux publics sous la présidence de M.Tirard (décembre 1887-avril 1888), il refusa de demeurer ministre dans le cabinet Floquet qui suivit et dont il n'approuvait pas le programme. En février 1892 il reçut de M. Carnot la mission de constituer un ministère où il prit l'intérieur avec la présidence du conseil et qui fut renversé par la Chambre au mois de novembre de la même année sur un débat provoqué par l'affaire du Panama. En 1896 enfin il devint président du Sénat en remplacement de M. ChallemelLacour, décédé, et fut depuis constamment maintenu au fauteuil.

Cette belle carrière donnait à celui qui l'avait parcourue tous les titres à la présidence de la République et il semblait que son élection dût réunir au moins tous les républicains dans un même sentiment d'approbation. Il n'en fut pourtant rien.

Bien que l'ancien président du Sénat ne se fùt, au cours de l'affaire Dreyfus, jamais départi de la plus correcte réserve, on le représenta comme l'élu des révisionnistes et ces derniers furent heureux de laisser propager une légende qui leur permettait d'accaparer le chef de l'Etat. Les républicains anti-révisionnistes ne surent ni résister au courant ni éviter la faute de laisser à leurs adversaires tout l'honneur de défendre le premier magistrat de la République. Ils firent ainsi le jeu des réactionnaires et des nationalistes qui définissaient l'élection de M. Loubet une injure à l'armée...

Le nouveau président fut, à son retour de Versailles, accueilli à Paris par des manifestations hostiles que la police ne sut ni prévenir ni rẻprimer, sur tout le parcours de la gare Saint-Lazarre à l'Elysée aux cris de: « Vive l'armée ! », « Démission! » et même « A bas Loubet ! ». Dans la soirée M. Paul Déroulède qui s'était rendu avec les membres de la «Ligue des Patriotes » devant la statue de Jeanne d'Arc s'écria qu'on ne pouvait marcher sur l'Elysée protégé par le respect dù aux morts, mais donna rendez-vous à ses amis pour le surlendemain à l'issue des obsèques de M. Félix Faure.

Cependant le nouveau président de la République conservait le ministère en exercice et adressait aux Chambres son premier message. Ce document, où le clair bon sens et le patriotique dévouement à la chose publique éclataient à chaque ligne, était un éloquent appel à l'apaisement des esprits il fut mal entendu.

Le 23 février, à l'issue des obsèques nationales de M. Félix Faure, un groupe de manifestants conduit par MM. Paul Déroulède et Marcel Habert

se porta au devant de la brigade d'infanterie du général Roget, ancien chef du cabinet de M. Cavaignac au ministère de la guerre, qui regagnait la caserne de Reuilly. Tandis qu'éclataient de toutes parts les cris de « Vive l'Armée ! », M. Déroulède essaya d'entraîner sur l'Elysée le général Roget dont il tenait le cheval par la bride. Mais le général réussit à se dégager et la troupe continua sa marche, toujours escortée par les manifestants dont quelques-uns, avec leur chef, pénétrèrent dans la caserne. Ils en furent expulsés aussitôt, sauf MM. Déroulède et Habert qui refusèrent de se retirer, déclarant qu'ils aimaient mieux être arrêtés par l'armée que par la police.

Dès le lendemain, la Chambre vota l'autorisation de poursuites demandée par le Gouvernement contre ses deux membres coupables de provocation au manquement de leurs devoirs adressée à des militaires.

Cependant l'opinion publique avait accueilli avec plus de scepticisme railleur que d'indignation la tentative insurrectionnelle de MM. Déroulède et Habert. Le jury de la Seine ne fut pas plus sèvère qu'elle et acquitta les accusés après des débats qui, durant trois jours, 29-31 mai

furent marqués par de nombreux incidents. Les nationalistes triompherent et leur presse avança que le peuple de France venait, par la voix des douze jurés parisiens, d'approuver la tentative de M. Déroulède et même de lui donner mandat de la renouveler selon sa promesse !

La campagne menée contre le chef de l'Etat eut bientôt de nouvelles et tristes conséquences. Lorsque M. Loubet se rendit le 4 juin au grand steeple-chase annuel d'Auteuil, il fut accueilli par des cris hostiles qui redoublèrent devant sa tribune. Un manifestant parvint même jusqu'à lui et d'un coup de canne, dirigé contre sa personne, atteignit son chapeau. Ce fut le signal d'une bagarre où un officier de paix fut grièvement blessé et qui entraîna l'arrestation d'une quarantaine de personnalités pour la plupart royalistes parmi lesquelles figurait le baron Christiani, l'agresseur du président de la République.

Le ridicule autant qu'injustifiable attentat dirigé contre M. Loubet et qui valut à ce dernier de nombreux témoignages de sympathie eut des suites politiques dont on aperçoit malaisément qu'il ait pu être la

cause.

C'est ainsi que MM. le conseiller Tardif et l'avocat général Lombard, qui avaient siégé dans le procès Déroulède-Habert, furent déférés au conseil supérieur de la magistrature. Le ministère décidait en même temps d'ouvrir une nouvelle instruction contre l'ex-commandant Esterhazy au sujet de l'usage fait du « document libérateur » et une enquête était ordonnée sur la conduite du général de Pellieux dans l'affaire Esterhazy de 1898, tandis que le général Roget mêlé dans les conditions que l'on sait à l'algarade de Reuilly était envoyé en disgrâce à Orléans.

Enfin, et c'était la plus grave résolution prise par le conseil des ministres, le garde des sceaux, prenant texte de l'arrêt récent de la Cour de cassation relatif à la communication de pièces secrètes au conseil de guerre de 1894, saisit la Chambre de la question de savoir s'il y avait lieu de mettre en accusation le général Mercier, ministre de la guerre de l'époque.

Le Gouvernement obtint, après un vif débat, le vote d'un ordre du jour de confiance, à la suite de l'interpellation que lui adressa un député socialiste de Paris, M. Laloge, sur le scandale d'Auteuil. Mais il fut moins heureux au sujet de la mise en accusation du général Mercier, M. Ribot critiqua l'attitude du Gouvernement auquel il déniait le droit d'introduire une pareille demande qui était, à son sens, de la compétence exclusive de la Chambre. MM. Millerand et Viviani tentèrent de neutraliser l'effet produit par l'intervention de M. Ribot en proposant la nomination d'une commission de 23 membres qui eût été chargée d'examiner la question.

Mais M. Pourquery de Boisserin fit observer que procéder de la sorte équivaudrait à préjuger favorablement des poursuites et réussit à obtenir l'adoption de la motion suivante: «La Chambre, résolue à respecter la complète liberté du conseil de guerre de Rennes, donne acte au Gouvernement de sa communication et passe à l'ordre du jour ». Le président du conseil avait eu l'habileté de se désintéresser de la question en déclarant que le Gouvernement avait épuisé son droit en saisissant la Chambre.

A ce moment, MM. Millerand, Sembat et Kraus demandèrent l'affichage de l'arrêt de cassation, qui fut voté par 307 voix contre 212 sans opposi tion du Gouvernement.

Le Sénat tint à n'être pas en reste avec la Chambre dont les membres républicains avaient signé une adresse de respectueuse sympathie au président de la République sur l'initiative de MM. Poincaré, républicain Doumergue, radical, et Viviani, socialiste. Il vota donc, par 258 voix con tre 20, dans sa séance du 6 juin, après avoir entendu et applaudi une éloquente allocution de M. Fallières, et, d'accord avec le Gouvernement, une motion l'associant au sentiment exprimé par son président et flétrissant les actes inqualifiables commis à Auteuil par les ennemis de la République ».

Le Sénat ne s'en tint pas là. Ses groupes, même modérés, s'entendirent avec plusieurs de ceux de la Chambre pour dépêcher au président du conseil une délégation chargée d'appeler sa vigilance sur la situation politique. On s'accorda à penser que cette démarche, malgré son caractère très courtois, ne laissait pas d'être en quelque mesure menaçante pour le cabinet.

Tandis qu'elle s'accomplissait, les socialistes organisaient une grande manifestation républicaine pour le dimanche 11 juin, jour du Grand Prix de Paris à Longchamps. Le président de la République fut en effet acclamé sur le champ de courses et sur tout le chemin qu'il suivit pour s'y rendre.

Le gouvernement, qui tenait à éviter les surprises du dimanche précédent, s'était, cette fois, mal gardé de l'excès contraire et avait pris des mesures d'ordre exceptionnelles: six mille gardiens de la paix, vingt escadrons de cavalerie, une brigade d'infanterie, sans compter la garde républicaine à pied et à cheval avaient été mobilisés. Même on avait établi sur le champ de courses une sorte de permanence judiciaire afin que les délinquants éventuels puissent ètre immédiatement interrogés et incarcé rés ! Ce luxe de précautions demeura inutile et tout se passa sans désor

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