Page images
PDF
EPUB

Antilles, et qui, soit au physique, soit au moral, paroissoit n'avoir rien de commun avec les habitans des grandes îles Antilles. Il est disposé à croire que cette nation tiroit son origine de l'Orient. Pour appuyer cette opinion, il observe qu'il est très-probable que l'Amérique avoit été visitée par les Orientaux, long-temps avant la découverte de l'Amérique par Colomb. Cette probabilité, suivant lui, résulte, soit d'un passage d'Hérodote sur la navigation des Phéniciens, soit de plusieurs exemples de vaisseaux jetés par la tempête des côtes d'Afrique sur celles de l'Amérique, sans aucun dessein de la part de ceux qui les montoient de faire cette dernière route, soit d'un fait raconté par Colomb lui-même, qu'il avoit trouvé la poupe d'un vaisseau sur la côte de la Guadeloupe, soit enfin d'une colonie de nègres trouvée à Quarecque dans le golfe Darien, A ces premières probabilités, Bryan Edwards ajoute celle qu'offre la conformité du vocabulaire caraïbe de Rochefort avec plusieurs anciens dialectes orientaux, et celle de plusieurs usages de ce peuple avec ceux des Juifs, et de plusieurs autres nations de l'Orient.

Le portrait que l'écrivain anglais fait des Caraïbes, d'après les voyageurs qui les ont dépeints à l'époque où ils étoient encore répandus dans les Petites-Antilles, et d'après les traits qu'on démêle dans le petit nombre de leurs descendans, mêlés avec quelques nègres fugitifs à l'île Saint-Vincent (1), offre un mélange bizarre de bonnes et de mauvaises qualités. Bryan Edwards les dépeint cruels et même féroces, excessivement vindicatifs, regardant la répulation militaire comme la première des vertus, souillant la victoire par des cruautés réfléchies, se nourrissant de la chair de leurs ennemis, incapables enfin de goûter les douceurs du repos, et ne considérant même la paix que comme une trève aux hostilités. D'un autre côté, il recon

(1) Ces misérables restes des Caraïbes conservent encore l'usage où étoient leurs pères, d'aplatir la tête des enfans au moment de leur naissance.

en

noît chez les Caraïbes une amitié aussi ardente que leur haine est implacable, des dispositions à une confiance sans réserve lorsqu'ils croyent qu'on l'a méritée, une indépendance d'esprit pleine d'énergie, un courage à supporter les souffrances qui efface presque ce qu'on rapporte à cet égard des Spartiates. Bryan Edwards auroit pu remarquer, que, comme ce peuple si renommé de l'ancienne Grèce, les Caraïbes s'assembloient et mangeoient commun dans de grandes salles, où leur jeunesse s'exercoit aux jeux des athlètes, aux combats, et où les discours de leurs orateurs leur inspiroient de l'émulation. Malgré l'apathie qui formoit un des caractères les plus distinctifs des Caraïbes, et qui les retenoit tranquillement couchés dans leurs hamacs en temps de paix, ils ne manquoient pas d'intelligence dans la fabrication de leurs meubles et de leurs ustensiles de première nécessité. C'est à eux que les Européens doivent l'invention des hamacs, ou lits de toile suspendus, dont on fait usage dans les navires. Par les fragmens de leurs vases cuits au four, et qu'on a dernièrement trouvés enfouis à la Barbade, on voit que ces vases surpassoient de beaucoup en finesse et par leur poli, ceux que font les negres. Le travail de leurs arcs, de leurs flèches, de leurs autres armes, étoit tel, qu'il auroit été difficile à un habile artiste européen de le surpasser avec ses outils. Enfin leurs paniers, faits de feuilles de palmeto, étoient d'une rare élégance. On imagine aisément que chez ce peuple si rapproché de l'état de nature, le droit de propriété n'étoit pas bien entendu. Il y avoit dans chaque village ou carbet, communauté de biens et de travaux : tous partageoient le travail des labours et des semences, et chaque famille prenoit sa part dans le grenier public.

La croyance des Caraïbes étoit un grossier mélange de déïsme et d'idolâtrie. En reconnoissant un Être suprême, ils ne lui adressoient leurs prières, par l'intermède de divinités inférieures et bienfaisantes, que pour détourner sa vengeance. Dans la vue de se rendre favorable un autre

ordre de divinités malfaisantes qu'ils appeloient esprits, ils avoient des magiciens qui offroient des sacrifices et faisoient des prières dans des lieux sacrés. Dans ces occasions, l'adorateur se faisoit d'horribles incisions, s'imaginant sans doute que la colère des esprits ou démons ne pouvoit s'appaiser que par une grande effusion du sang humain.

Les naturels des grandes îles Antilles, dont le nombre peut-être exagéré par Las Casas, s'élevoit à six millions, n'avoient rien de commun avec les Caraïbes dans leur caractère physique et moral. Pour s'en faire une idée, on en est réduit à ce que rapportent d'eux les barbares conquérans de ces îles, qui les ont tellement exterminés, qu'il ne reste pas la moindre trace de cette malheureuse et intéressante race.

Voici ce que Bryan Edwards a recueilli sur ces insulaires chez les écrivains espagnols.

Avec plus d'élégance et plus de proportion dans leurs formes, une plus haute élévation dans leur taille, ils avoient beaucoup moins de vigueur que les Caraïbes. Leurs membres étoient néanmoins souples et actifs ils excelloient dans l'exercice de la danse, et à cet amusement ils dévouoient les heures fraîches de la nuit. On ne doit pas en conclure qu'ils ne fussent propres qu'à un exercice de forces aussi doux : celui du ballon, qu'ils renvoyoient avec une vigueur étonnante, n'annonçoit pas un peuple invariablement énervé et indolent.

A travers des traits durs et grossiers, on appercevoit dans la physionomie de ces insulaires, l'expression de la franchise et de la douceur. Leur caractère étoit rarement aigri par la soif de la vengeance. Les écrivains espagnols eux-mêmes les dépeignent comme le peuple le plus doux et le plus hospitalier de l'espèce humaine. Christophe Colomb et Barthelemi Colomb son fils, nous en ont transmis des traits remarquables et touchans..

Il ne faut pas croire qu'ils fussent insensibles aux plaisirs des sens. L'amour étoit la source de toutes leurs jouissances et le grand objet de leur vie. On peut voir dans la

narration que Barthelemi Colomb nous a laissée de la réception que lui faisoient les principaux chefs d'Hispaniola, quelles graces naturelles avoient les femmes de cette île, quel éclat avoit leur teint, quelle agréable proportion avoient leurs membres.

Le gouvernement dans ces îles étoit monarchique, ou plutôt théocratique, puisque les sujets regardoient leur souverain comme un délégué du Ciel, aux ordres duquel on devoit se soumettre sans résistance. Il ne paroît pas que le Cacique, c'étoit le nom de ce souverain, abusât de cette disposition des esprits pour appesantir son joug. La douceur naturelle du caractère des habitans, que le souverain parlageoit avec ses sujets, avoit introduit un mélange de bonté et de tendresse paternelle dans l'exercice même de l'autorité absolue. Le gouvernement des Caciques étoit héréditaire, mais ils en partageoient les soins avec plusieurs chefs qui leur étoient subordonnés.

Comme les Caraïbes, les habitans des Grandes-Antilles avoient une idée confuse d'un Être suprême, mais défigurée par une multitude d'absurdités dans leur croyance. Il paroît aussi qu'ils avoient quelques notions d'une responsabilité future pour les actions bonnes ou mauvaises pendant le cours de leur vie.

Comme les Caraïbes encore, ils reconnoissoient plusieurs divinités subalternes, toutes malfaisantes, qu'ils n'imploroient pas avec vénération, mais par un sentiment de crainte. Leurs prêtres avoient une autorité considérable, parce qu'aux fonctions propres à leur état, ils ajoutoient la pratique de la médecine et l'éducation des enfans du premier rang. C'étoient eux aussi qui sanctionnoient les ordres du Cacique. Ainsi, comme on l'a vu si souvent en Europe, la religion, dans ces îles, étoit devenue l'instrument du despotisme civil.

A ces notions sur les anciens habitans des Grandes et Petites-Antilles, Bryan Edwards fait succéder l'histoire de la découverte de la Jamaïque et des établissemens successifs des Espagnols et des Anglais dans cette ile. Je ne

m'y arrêterai pas, non plus qu'à la description sommaire qu'il en a faite, parce que nous avons plusieurs relations particulières de la Jamaïque dont je donnerai la notice.

Je vais, au contraire, tracer une rapide esquisse du tableau qu'il a fait dans son ouvrage, des îles de la Grenade, de la Barbade, de Saint-Vincent, de la Dominique, de Saint-Christophe et de Nevis, sur le dernier état desquelles nous n'avons point de notions aussi satisfaisantes que celles qu'il nous a procurées.

ISLE DE LA GRENADE.

Aux lumières que l'auteur des Voyages intéressans nous a procurées sur cette île, il faut ajouter les suivantes, que je puise dans l'ouvrage de Bryan Edwards.

De quatre-vingt mille acres de terre que renferme cette île, il n'y en a jamais eu que cinquante mille de cultivés. Le pays est arrosé de ruisseaux. Il y a beaucoup de variété dans la configuration de la surface de l'île, et dans la nature de son sol; mais en général, le territoire est trèsfertile. La capitale de l'île est la ville de Saint-George. La population des blancs et celle des noirs sont beaucoup diminuées. Le nombre des premiers ne s'élevoit plus, au temps où l'auteur écrivoit, qu'à mille, et celui des autres à vingt-trois mille neuf cent vingt-six. En 1787, au contraire, le nombre des métis étoit de plus de onze cents. A la même époque, il sortoit de la Grenade cent dix-huit vaisseaux, dont l'équipage étoit de dix-huit cent vingt-six hommes. Les cargaisons étoient évaluées à quatorze millions sept cent quarante-sept mille sept cent quatre-vingtdouze livres tournois.

ISLE DE LA BARBADE.

Bryan Edwards trace d'abord l'historique de l'occupation de l'île de la Barbade par les Anglais, qui la trouvèrent abandonnée par les Caraïbes, sans qu'on ait

pu

« PreviousContinue »