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mille : ils étoient roulés en spirale les uns sur les autres, et formoient une pyramide ressemblant à un faisceau d'armes. Ils élançoient hors du cercle leurs têtes hideuses, présentoient leurs dards et leurs yeux étincelans; mais ils paroissoient plus occupés du soin de se défendre que de celui d'attaquer. Ce grand rassemblement avoit nécessairement une cause. M. Malouet présuma qu'ils se réunissoient ainsi pour résister en masse à une grande couleuvre, leur ennemie naturelle, dont, suivant le rapport des gens du pays, la taille colossale est portée, dans quelques individus de l'espèce, de trente à quarante pieds de longueur sur quatre ou cinq de circonférence : celle dont il rapporta la peau en France, et dont il fit présent à M. de Buffon, n'avoit que vingt-deux pieds de long sur douze à treize pouces de circonférence.

M. Malouet regarde comme chimérique le projet de civiliser les naturels de la Guyane ou les Galibis, dont il ne porte pas le nombre à plus de dix mille. Outre que les hameaux sont placés à une distance immense les uns des autres les missionnaires actuels sont dénués des talens et des connoissances qu'avoient communément les religieux que la société des Jésuites destinoit aux missions. Cette observation conduit le voyageur philosophe au développement du caractère moral de ces indigènes. Je regrette d'être obligé, par la nature de mon ouvrage, d'abréger beaucoup ce développement.

N'ayant ni terres, ni procès, les Galibis n'ont aucun besoin de loix; mais les anciens usages de leurs pères sont inviolablement observés.

«La communauté, dit M. Malouet, délibère, le chef » exécute. La paix, ou la guerre, une alliance, un chan»gement de domicile, voilà toutes les délibérations de » leur conseil. Cette égalité que nous avons si douloureu>> sement cherchée, sans pouvoir y atteindre, ils l'ont » trouvée et la maintiennent sans effort. La parfaite indé> pendance est, pour eux, le plus précieux supplément » de tout ce qui, selon nous, manque à leur civilisation ».

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Cet amour de l'indépendance est, suivant M. Malouet, le plus grand obstacle à leur civilisation : il explique leur indifférence pour tout ce qui a du prix à nos yeux. Les plus apathiques sauvages du continent de l'Amérique, sont peut-être ceux de la Guyane; mais ils ont un sens droit, et ils ont atteint toute la perfection de la société naturelle, tandis que nous sommes parvenus à former une société politique. Le petit nombre de leurs besoins leur donne l'apparence des êtres les plus paresseux; mais ils nous surpassent réellement dans plusieurs moyens de les satisfaire, tels que la chasse et la pêche. M. Malouet cite des exemples frappans de leur adresse dans l'un et l'autre de ces exercices : ils n'en montrent pas moins dans la manière de tisser leurs hamacs, de construire leurs pirogues et leurs cases, de fàbriquer leurs vases de terre, leurs paniers de joncs et d'osiers, tous d'une forme charmante. Ils ont retranché de leurs vêtemens tout ce qui leur étoit incommode, mais ils sont très-industrieux dans la disposition des ornemens dont ils se parent.

« Quand on réfléchit, dit M. Malouet, à la somme > d'intelligence et de combinaisons, d'essais, de travaux » qui leur ont été nécessaires pour arriver à l'état de socia» bilité où ils sont parvenus, on ne peut pas douter qu'ils > ne l'eussent perfectionné, s'ils n'avoient trouvé plus » expédient de se borner au petit nombre de jouissances qu'ils se sont procurées. De toutes leurs combinaisons, » la plus étonnante, et qu'on a fort peu remarquée, c'est >> leur langue, douce, agréable, abondante en voyelles » ainsi qu'en synonymes, et dont la syntaxe est aussi > ordonnée que s'ils avoient une académie. La galibi est la > langue universelle de tous les habitans de la Guyane ».

M. Malouet a prévu qu'au premier apperçu, ses observations pourroient le faire considérer comme l'apologists de la vie sauvage, ainsi que le philosophe de Genève. En se défendant d'être le détracteur de l'état de civilisation, il paroît néanmoins persuadé que les sauvages ne parviendroient à cet état que par la route du crime et des mal

heurs : il redoute pour eux ce passage qui les conduiroit, comme les Péruviens et les Mexicains, à la dégradation et à l'esclavage. Il estime que les Galibis ont atteint un état social raisonnable et suffisant pour la somme de jouissances de bonheur qui leur conviennent (1).

La relation de M. Malouet est terminée par le récit de l'inutilité des efforts des missionnaires pour convertir les Galibis à la religion chrétienne. Ils se réunissoient volontiers, dit-il, dans la chapelle du préfet apostolique, se laissoient baptiser et catéchiser, assistoient à l'office divin, parce que chaque fois on leur distribuoit une ration de taffia : la distribution faite, ils ne reparoissoient plus. Leur religion, s'ils en ont une, est fort simple. Ils parlent avec respect d'un Dieu maître de tout, créateur et conservateur du monde, mais ils n'ont aucune idée de l'immortalité de l'ame. Les idées de paradis et d'enfer qu'on voudroit leur inculquer, ne font qu'exciter leur risée; mais c'est une chose bien remarquable, que ces hommes grossiers aient sur la Divinité des idées plus justes que les peuples les plus polis de l'antiquité. Toute la relation de M. Malouet est écrite d'un style où la concision et la profondeur n'excluent pas le charme d'une sensibilité pénétrante.

(1) On peut faire ici, ce me semble, un rapprochement assez piquant. D'un côté, M. Malouet, qui, dans l'Assemblée constituante, combatlit avec tant de vigueur les principes outrés d'égalité qui commençoient dès ce temps à se produire, et dont le germe, se développant avec une prodigieuse rapidité dans les assemblées suivantes, a donné des fruits si amers, peint des couleurs les plus :favorables la condition des hommes dans la vie sauvage où, danı l'acception la plus étendue du mot, l'égalité se trouve en effet réalisée.

D'une autre part, M. Volney, qui, dans son ouvrage intitulé les Ruines, parloit avec tant d'enthousiasme de l'égalité dont il étoit loin, à la vérité, de prévoir les déplorables excès, se montre, ainsi qu'on l'a vu, le détracteur le plus animé de la vie sauvage, dans son dernier ouvrage qui a pour titre : Tableau du climat et du sol des Etats-Unis.

VOYAGE à Cayenne, dans les deux Amériques et chez les anthropophages, contenant la liste générale des déportés, des notes particulières sur chacun d'eux, leur vie, leur mort et leur retour; des notions particulières sur Collot et Billaud, sur les déportés de nivôse aux îles Seychelles : le Voyage de l'auteur chez les mangeurs d'hommes, les dangers qu'il y court; son retour par les Etats-Unis ; de la religion, des mœurs et de la culture de l'Amérique septentrionale, des quakers, etc... par LouisAnge Pitou, dit le Chanteur, déporté à Cayenne en 1798, pendant trois ans, et rendu à la liberté par S. M. l'Empereur. Paris, Le Normand, 1805, 2 vol. in-8°.

Le peu de notions que ce voyageur nous donne sur la Guyane, outre qu'elles n'ont rien de bien neuf, sont noyées, pour ainsi dire, dans un chaos d'aventures peu intéressantes, et écrites avec beaucoup de négligence.

La relation néanmoins renferme, sur les déportés, des anecdotes assez curieuses, qui peuvent figurer avec intérêt dans l'histoire de la révolution.

S. III. Descriptions du Brésil. Voyages faits dans ce pays.

Ce n'est pas dans les relations suivantes, la plupart des seizième et dix-septième siècles, qu'on doit s'attendre à trouver beaucoup de lumières sur les richesses naturelles ou factices de la colonie du Brésil. Ce sont les Voyages communs à cette contrée et à plusieurs autres, et particulièrement la relation de l'ambassade de lord Macartney, par sir Staunton, qui nous font connoître, avec un certain détail, l'état actuel du Brésil, ses mines d'or et de diamans, son bois si précieux pour la teinture, la racine

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d'ipécacuanha, si utile en médecine, et qui est particulière à cette contrée; ses sucres de première qualité, ses cotons, son tabac, et beaucoup d'autres cultures qui prospèrent également dans le Brésil. Mais les descriptions particulières de cette contrée, les voyages dont elle a été l'objet spécial, nous donnent sur les peuples indigènes de ce pays des notions plus sûres que celles qu'on peut recueillir dans les nouvelles relations des voyageurs qui, touchant seulement au Brésil dans l'allée et le retour de la mer du Sud et des Indes, ne nous entretiennent de cette colonie que sous les rapports commerciaux et industriels.

HISTOIRE véritable et description d'un pays d'anthropophages furieux, sauvages et nus, situé dans le Nouveau-Monde en Amérique (le Brésil), vérifiée d'après sa propre expérience, par Staden: (en allemand) Staden's (Hans) Wahrhaftige Historia und Beschreibung einer Landschaft der Wilden, nacketen, grimmigen, Menschenfresser in der Neuen Welt, America, gelegen (Brasilien), durch eigene Erfahrung erkannt. Francfort, 1556, in-4°.

Cet ouvrage a été traduit en latin sous le titre suivant: STADI1 Navigatio in Brasiliam. Francfort, Théodore de Bry, 1592, in-fol.

HISTOIRE d'un voyage fait en la terre du Brésil, autrement Amérique, contenant les navigations et choses remarquables vues sur mer par l'auteur, le comportement de Villegagnon en ce pays-là; les mœurs et façons de vivre étranges des Sauvages Américains, avec un colloque de leur langage; ensemble la description de plusieurs animaux, arbres, herbes et autres choses singulières et du

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