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L'avertissement fit son effet, et les colons de Botany-Bay redevinrent soumis et paisibles.

Quelque génie naturel qu'ait ce prince, il ne seroit pas parvenu tout seul à exécuter tout ce qu'il a fait. Il en est de lui comme du czar Pierre 1er; c'est en attirant des étrangers, ainsi que l'avoit fait le monarque russe, en les fixant même dans son pays, qu'il a réussi dans tous ses projets. Des ouvriers européens ou descendans d'Européens, de toutes professions et de tous métiers, appelés ou retenus dans ses îles, ont communiqué à ses sujets leurs lumières dans les arts mécaniques : sans doute l'attrait de l'oisiveté, celui du climat, et beaucoup plus encore la facilité d'avoir une ou plusieurs femmes, auroient suffi pour engager les matelots anglais à venir s'établir dans ce pays; mais Tamahama leur a fait un traitement si avantageux, qu'il leur a ôté toute envie de le quitter. Son adroite politique a été portée à ce point, que, pendant plusieurs années, il se faisoit donner par les Européens qui avoient abordé chez lui, des certificats de l'honnêteté de ses procédés. Il ne néglige aujourd'hui cette précaution, que parce qu'elle lui est devenue inutile. C'est assurément, dit Turnbull, un assez puissant motif de confiance pour les Européens qui viendroient encore se fixer chez lui, que de voir des hommes de mérite, tels que MM. Young, Davis, le capitaine Steward, satisfaits de s'être attachés à sa fortune. C'est particulièrement M. Young qui, dans le temps, excita Tamahama à demander à Vancouver la construction d'un vaisseau dans la forme européenne. Journellement il reçoit de ce prince des preuves d'attachement et d'estime. Son rôle, auprès de Tamahama, est véritablement celui du Genevois Lefort auprès de Pierre 1er.

C'est un véritable phénomène de trouver dans une île de la mer du Sud, un prince qui tout-à-la-fois est un bon administrateur, un adroit politique, un guerrier habile, un négociant intelligent. Avec tant de qualités, il paroît et peut aspirer à une domination universelle dans les îles de la mer du Sud. Ses sujets surpassent les hábitans de

presque toutes ces îles dans l'intelligence de l'art militaire, dans celui de la navigation, dans la pratique du commerce, dans la perfection des arts mécaniques. Les Otaïtiens seuls l'emportent sur eux pour la fabrication des étoffes, et les habitans de l'île de Bollabolla, pour la plus grande partie des manufactures et pour la bravoure et l'expérience dans l'art militaire : mais Tamahama attire, autant qu'il le peut, les habitans de ces deux îles; les premiers, comme plus ingénieux dans certains arts, et les seconds, comme meilleurs militaires que ses propres sujets.

Les îles Sandwich sont fort peuplées, et les femmes, suivant M. Young, y sont plus nombreuses que les hommes, tandis qu'à Otaïti les femmes ne forment qu'un dixième de la population totale: cela tient à ce que le barbare usage de l'infanticide ne subsiste pas aux îles Sandwich, comme à Otaïti.

L'accroissement de la population dans ces îles, a forcé les habitans à mieux cultiver le sol. Tous les fruits des tropiques y prospèrent. On y recueille du maïs, mais en petite quantité. L'arbre à pain, comme on l'a vu, dispense, par la quantité, de ses fruits, de s'adonner à la culture des grains.

ISLES MARQUISES.

La découverte de ces îles, faite en 1568, est due à Mandana, qui leur donna le nom sous lequel elles sont connues, pour honorer Don Garcia de Mendoce, viceroi du Pérou. Le président de Brosses leur donna le nom d'iles Mendoce: c'est dans une relation espagnole, intitulée Découverte des îles Salomon: (en espagnol) Descubrimento de las islas de Salomon, qu'il a puisé la description qu'il fait des Marquises ou îles Mendoce. Elles furent visitées depuis par Cook, en 1774; par Marchand, en 1789. J'ai donné l'apperçu du voyage de ce dernier navigateur (Partie première, section vi, S. 11). Mais elles

l'ont été beaucoup plus récemment par Wisson, en 1797: je donnerai l'extrait de ce qu'il y a observé, comme renfermant les notions les plus sûres et les plus détaillées sur ces îles, lorsque j'arriverai à la notice du Voyage des Missionnaires anglais, publié en 1799.

ISLES DE LA SOCIÉTÉ.

L'archipel ou groupe des îles de la Société est le plus considérable de tous ceux de la Polynésie : il est composé de soixante à soixante et dix îles. Celle d'Otaïti, à laquelle les voyages de M. de Bougainville, de Cook, de Vancouver, etc. ont donné tant de célébrité, est la plus considérable de toutes on peut évaluer à cent milles sa circonférence. C'est dans les trois relations que je viens d'indiquer, et sur-tout dans celles de M. de Bougainville et de Cook, qu'on peut puiser des notions assez bien détaillées sur cette île. J'en ai même donné un léger apperçu dans l'extrait du Voyage de M. de Bougainville (première Partie, section ví, §. 11). Nous n'avons qu'un seul ouvrage particulier à cette île ; en voici le titre :

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ESSAI sur l'île d'Otaïti dans la mer du Sud, sur l'esprit et les mœurs de ses habitans, par M. Taitbout. Paris, 1777, in-8°.

Il a été traduit en allemand sous le titre suivant:

VERSUCH über die Insel Otaïti in der Sud-See, und über den Geist und die Sitten der Einwohner. Francfort et Leipsic, 1783, in-8°.

Cet ouvrage n'est qu'un extrait de la partie des Voyages des navigateurs du dernier siècle, relative à l'île d'Otaïti. Mais nous avons sur cette île des notions beaucoup plus récentes dans le Voyage du capitaine Turnbull, dont j'ai donné la notice, et dans le Voyage suivant:

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VOYAGE des Missionnaires (Moraves) dans la mer Pacifique méridionale, pendant les années

1796, 1797 et 1798, à bord du vaisseau commandé par le capitaine Wisson, enrichi de cartes et de figures (en anglais) A Missionary Voyage to the Southern Pacific Ocean, etc.... by capitain Wisson. Londres, 1799, in-4°..

La Société des Frères Moraves forma, il y a quelques années, le projet d'envoyer des missionnaires à Olaïti et dans les autres îles de l'océan Pacifique, pour prêcher l'évangile aux habitans de ces îles et pour les former aux sciences et aux arts de l'Europe. Différentes personnes se présentèrent pour remplir cette mission importante. Leur nombre s'élevoit à trente-neuf, et étoit composé de quatre ecclésiastiques, vingt-neuf artisans de tout genre et six femmes mariées : il y avoit en outre trois enfans.

Arrivés à Otaïti, les missionnaires furent bien accueillis et comblés de présens. Plusieurs habitans distingués s'appliquèrent même à apprendre l'alphabet anglais; mais les exhortations faites aux habitans pour les détourner de tuer leurs enfans nouveau-nés, détestable usage établi chez ces insulaires, eurent peu de succès. Des vols avoient lieu tous, les jours. Le jeune roi Oba n'osoit visiter ni les navires anglais, ni les habitations des missionnaires, parce que, dans l'opinion des insulaires, c'étoit une des prérogatives de sa dignité, que tout ce qui se trouvoit dans les endroits où il se transportoit devoit lui appartenir. Les missionnaires n'étant pas toujours en état de satisfaire la cupidité des habitans, ceux-ci ne cessaient de leur répéter: « Vous » avez donné beaucoup de paroles et de prières à Etua » (Dieu), mais peu de haches, de couteaux et de ciseaux ». Trois des chefs de l'île étant morts en peu de temps, les insulaires imputèrent cet événement aux cantiques des missionnaires.

Le long séjour qu'ont fait les missionnaires à Otaïti et dans les autres îles de la Société, leur a donné la facilité. de rassembler, sur les moeurs des insulaires, des notions encore plus étendues et plus exactes que n'avoient, pu en

recueillir des navigateurs qui n'y faisoient qu'un séjour passager. Sous un ciel presque toujours pur, sur un sol qui fournit en abondance tout ce qui est nécessaire pour les besoins et même pour les agrémens de la vie, les Otaïtiens, et même la plupart des habitans des autres îles de la Société, sont naturellement portés entre eux à la douceur et à la bienveillance. Cette disposition les empêche de concevoir un châtiment futur, et ils en abhorrent même l'idée. Ils croient néanmoins à l'immortalité de l'ame; et ils assignent différens degrés de grandeur et de félicité, suivant le plus ou le moins de verius qu'on aura pratiquées sur la terre. Ils adorent un grand nombre de divinités dans des temples qu'ils appellent Moraï; chaque famille même a son espritgardien qui reçoit un culte; mais ils reconnoissent un Être suprême, et sous lui des dieux supérieurs. La puissance des esprits est en grand crédit chez eux.

Ce qui peut altérer le bonheur de ces insulaires, c'est l'ascendant qu'ils laissent prendre à leurs prêtres, qui sont aussi nombreux que puissans: ils leur supposent le pouvoir de frapper de maladies et de mort qui bon leur semble. A cette absurde opinion, ils ajoutent celle d'imaginer que les conjurations de ces prêtres n'ont de puissance que sur les naturels du pays, et ne peuvent rien sur les Européens, parce que ceux-ci ne reconnoissent pas leurs dieux.

Ce qui nuit encore essentiellement à la félicité dont ces insulaires pourroient jouir dans une grande plénitude, ce sont les guerres continuelles qu'ils se font d'île à île. La superstition est encore un fléau auquel ils n'ont pas pu échapper: c'est elle qui les porte à sacrifier des victimes humaines à leurs dieux; mais l'humanité qui leur est naturelle, et que leurs prêtres n'ont pas pu entièrement étouf– fer, a introduit l'usage constant de faire tomber le choix des victimes sur des criminels, et s'il ne s'en trouve pas, sur des cochons. Les missionnaires virent avec douleur que les végétaux apportés dans l'île d'Otaïti par les précédens navigateurs, avoient tous péri: les insulaires ne les avoient pas laissé mûrir, persuadés que ces végétaux n'étoient pas

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