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bons à manger. La multiplication prodigieuse de l'arbre à pain, des cocotiers, des bananiers, dans cette île, l'abondance de poisson qu'on y pêche, peuvent justifier peutêtre à certains égards cette indifférence et ce mépris même pour les végétaux de l'Europe.

La carte d'Otaïti, levée lors de l'expédition du capitaine Wisson, comparée avec celle de Cook, paroît plus étendue et plus exacte.

Les succès des missionnaires dans les îles de la Société n'ont pas répondu à leurs espérances. Des rapports récens nous apprennent que quelques-uns d'eux seulement sont restés à Olaïti, et que la plupart sont retournés au port Jakson.

Le capitaine Wisson avoit ordre de retourner par Canton en Europe, après avoir débarqué à Otaïti les missionnaires et leur suite. Sur sa route, il découvrit plusieurs groupes d'îles, sans y aborder : il en indique seulement la situation; mais il est entré dans un assez grand détail sur les îles Marquises: c'est ici le lieu d'en donner l'extrait, ainsi que je

l'ai annoncé.

Les naturels de ces îles paroissent l'emporter sur tous les autres insulaires de la Polynésie, par les belles proportions de leurs formes et la régularité de leurs traits. On regrette qu'ils défigurent ces traits et ces formes par l'usage où ils sont, comme tant d'autres peuples, de se tatouer. Les femmes se tatouent moins généralement que les hommes, et Wisson en vit plusieurs presque aussi blanches et aussi belles que des Européennes. Je vais rapporter, dans les propres termes de la relation, la visite que Wisson reçut de plusieurs de ces femmes sur son bord.

« Nous vîmes, dit-il, arriver de bonne heure nos hôtes >> de la veille : sept femmes jeunes et charmantes, élancées » du rivage, nageoient vers nous, parées avec toute la » simplicité de la nature, car une douzaine de feuilles >> vertes les couvroient seulement à la ceinture. Pendant >> trois heures, elles jouèrent autour du vaisseau, réalisant » pour nous la fable des Syrènes : elles crièrent waheines!

» ce qui veut dire femmes, jusqu'au moment où le chef de » l'île, venu à bord avec plusieurs des naturels, nous eut » priés de laisser monter sa sœur, ce que nous accordâmes. » Son teint, fort beau, avoit une foible nuance de jaune, » qu'une teinte de rose effaçoit sur ses joues : ses formes » étoient un peu fortes; mais elles étoient si bien propor>>tionnées, il y respiroit tant de graces, que les peintres et >> les statuaires trouvent rarement un si beau modèle. Ses >> compagnes pouvoient prétendre au même éloge : la » jeune Otaïtienne que nous avions à bord, quoique belle » et bien faite, fut cependant éclipsée par ces femmes. Je >> crois qu'elle le sentit; mais elle avoit de quoi se consoler » par l'amabilité de son 'caractère, par la de ses grace >> manières et la délicatesse de ses sentimens, qualités que >> ses rivales ne possédoient pas au même degré : elle fut >> honteuse de voir sur le tillac une femme toute nue, et >> elle donna un habit complet de toile neuve d'Otaïti à la >> sœur du chef, ce qui releva beaucoup ses charmes, et >> encouragea ses compagnes, encore dans l'eau, dont le >> nombre avoit prodigieusement augmenté, et qui nous >> importunoient pour être reçues à bord. Voyant qu'elles »> ne s'en retournoient pas, nous en eûmes pitié, et nous >> les accueillîmes : mais elles furent un peu trompées dans » leurs espérances, car elles ne purent toutes obtenir des » habits aussi aisément que la première. L'appétit de nos » malheureuses chèvres fut même tenté par les feuilles >> vertes que portoient ces femmes qui, en se retournant » pour les éviter, furent assaillies de tous côtés par ces >> animaux, et réduites à la plus parfaite nudité ».

Voici l'apperçu des renseignemens que Wisson prit sur les Marquises. Noaheva, la plus considérable de ces îles, n'a que moitié de l'étendue qu'on donne à celle d'Otaïti, Les cérémonies religieuses y sont à-peu-près les mêmes. Chaque district a son moraï ou temple : les morts y sont enterrés sous de grosses pierres. Comme ceux d'Otaïti, ces insulaires ont un grand nombre de divinités. Ils paroissent n'avoir que des coutumes qui leur tiennent lieu de loix.

Dans ces îles, les femmes sont beaucoup plus dans la dépendance des hommes qu'à Otaïti. La polygamie y est en usage, sur-tout chez les chefs, qui d'ailleurs ont peu d'autorité. Avant l'âge de puberté, on fend le prépuce aux mâles. Ces insulaires, non plus que la plupart des peuples non civilisés, ne connoissent point les repas à heures réglées : ils mangent cinq à six fois par jour, et quelquefois même plus souvent.

On ne connoît aux Marquises d'autres quadrupèdes que les porcs; mais on y a plusieurs volailles apprivoisées. Les bois sont peuplés de plusieurs espèces de beaux oiseaux. Wisson nous apprend qu'un missionnaire anglais resta dans ces îles, déterminé par l'espérance d'y faire cesser les querelles sanglantes dont ces îles sont agitées, et sur-tout d'y faire abolir les sacrifices de victimes humaines, qui y sont pratiqués comme dans les îles de la Société ; mais s'il y prêche, ajoute Wisson, contre la pluralité des femmes, il est fort douteux qu'il y fasse beaucoup de prosélytes. De nombreux exemples prouvent que généralement le mahométisme, en raison de ce qu'il permet cette pluralité, s'établit plus facilement que le christianisme dans tous les pays

de l'Orient.

VOYAGES des Espagnols dans la mer du Sud et à l'île d'Otaïti, traduits pour la première fois de l'espagnol, et accompagnés d'observations et d'un tableau historique des îles de la Société, par W. A. Bratring: (en allemand) Reisen der Spanien nach der Sud-See-und Taïti-Inseln, etc.... von W. A. Bratring. Berlin, 1803, in-8°.

En 1772 et 1774, les Espagnols avoient entrepris deux voyages de Callao à Otaïti. Les journaux de ces deux voyages, rédigés par le P. Amich, et dont Bratring a publié la traduction en allemand, ne renferment que quelques notions imparfaites sur Otaïti, quelques renseignemens géographiques assez légers. Ce ne sont, à proprement

parler, que des extraits un peu informes de la relation complète et détaillée de ces deux voyages, qui se trouve dans les archives de la marine espagnole à Madrid, et qui sera peut-être rendue publique par le gouvernement. Il sera curieux alors de comparer cette relation avec celles des navigateurs anglais et français.

ISLES DES AMIS ET DES NAVIGATEURS.

Les îles des Amis ont reçu ce nom du célèbre Cook, par une sorte de reconnoissance pour l'accueil amical que lui firent les naturels de ces îles. La découverte en est due à Abel Tasman, qui les visita en 1643, et qui nomma Amsterdam la principale de ces îles. On la désigne aujourd'hui par son nom propre Tongatanabou, dont on trouve une carte fort curieuse dans le Voyage des missionnaires Moraves, de 1797. Elle représente cette île comme naturellement très-fertile et supérieurement aussi cultivée. L'ile est couverte de plantations, de vergers, de jardins enclos de haies de roseaux, et coupés par une infinité de petites routes. Au nord de l'île, sont une lagune et quelques îlots, formant un havre assez bon.

Cook et M. de la Billardière, d'après d'Entrecasteaux, ont confirmé les notions que Tasman nous avoit transmises sur les habitans des îles des Amis. Ces derniers navigateurs, comme on peut le voir dans leurs relations, prêtent aux habitans des îles des Amis, une conduite plus régulière et plus grave que celle des Otaïtiens, plus d'activité aussi et plus d'industrie, un plus grand perfectionnement dans leurs manufactures, leurs arts, leur musique, qu'on n'en a remarqué chez ceux-ci, parce que leurs propriétés sont plus garanties, quoique leurs chefs y exercent une autorité plus despotique. Du reste, les mœurs des deux peuples ont une grande conformité: on la retrouve même jusques dans les formes du corps, si ce n'est que les chefs des îles des Amis ne sont pas d'une aussi grande stature que les chefs des insulaires d'Olaïti. Les femmes qui se tiennent à l'ombre ont le teint fort blanc.

Les guerres sont moins fréquentes dans ces îles que dans celles de la Société. Le nombre des victimes humaines qu'on sacrifie à Tonganatabou est néanmoins fort considérable. Les missionnaires qu'on y a laissés, ont communiqué aux insulaires quelques arts utiles. Les rats y nuisoient beaucoup aux productions de l'Europe. Les chats qu'on y a introduits pourront diminuer ce fléau. Il est remarquable que les moraïs ou temples, appelés ici Fratoukas, et qui ont la forme de terrasses, sont construits en roches de corail, et qu'on y monte par des marches fort hautes de même matière.

Les îles des Navigateurs furent découvertes par M. de Bougainville, en 1768, comme on peut le voir dans son Voyage: il les nomma ainsi, pour signaler l'adresse singulière des habitans à naviguer dans leurs nombreuses pirogues, quoique cette industrie leur soit commune avec tous les insulaires de la Polynésie. C'est dans le Voyage de la Peyrouse, qui visita plusieurs de ces îles, qu'on peut recueillir les renseignemens les plus exacts sur leur situation, leur nombre, et le caractère physique et moral de leurs habitans.

D'après sa relation, le groupe des îles des Navigateurs est, par sa population, sa fertilité, le plus important qu'on ait encore découvert dans la Polynésie. Les principales de ces îles, sont Pola, Oyolava, Opoun et Mavena, où furent assassinés, comme on l'a vu (Partie première, section vi, S. 11) le capitaine de Langle, le naturaliste Lamanon et

autres.

Pola, la plus grande de ces îles, l'est moins cependant qu'Otaïti, mais elle l'est beaucoup plus que Tongatanabra. La Peyrouse suppose que ces îles renferment quatre cent mille habitans. Ce calcul paroît être exagéré; mais l'abondance des provisions y est telle, qu'en vingt-quatre heures, la seule île de Mavena, devenue si fatale à ses compagnons, lui fournit cinq cents cochons et une quantité immense de fruits. A Oyolava, il vit un village qu'il estima le plus considérable de toute la Polynésie : il avoit l'apparenc

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