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ALFRED MERCIER

(1816-1894]

ALCÉE FORTIER

LFRED MERCIER* was born at McDonogh, Louisiana, June 3, 1816. His father was a Louisianian by birth; his mother, a Canadian. As were nearly all boys of wealthy Creole families at that time, he was sent to France to be educated. He received an excellent classical education at the Collège Louis-le-Grand in Paris, and was doubtless inspired by the memory of all the great men who were educated there, from the time when the institution was named Collège de Clermont, and had Molière among its students, to the reigns of Charles X and of Louis-Philippe, the last of the Bourbon kings.

On leaving college Alfred Mercier studied law in Paris, but, without completing his course, he returned to Louisiana in 1838. He went to Boston to study the English language, and in 1839 returned. to Paris, where he published his first volume of poems. He wished, however, to broaden his intellectual horizon, and traveled in France, Switzerland, Italy, Spain, Belgium, and England. He visited Italy. a second time, on foot, and went as far as Sicily, the beautiful island he loved so well, which he has described admirably in his writings.

In 1848 Alfred Mercier wrote a drama and a novel and wished to adopt literature as a profession. The Revolution of February broke out, however, and the period seemed little favorable to literary pursuits. Mr. Mercier resolved then to study medicine, and received his degree in Paris in 1855. He practiced medicine four years in New Orleans, and in 1859 went back to France, where he stayed until 1865. From that time until his death, in 1894, he was a practicing physician in New Orleans; but he believed that most men, whatever their occupations, might devote some moments to literature.

Dr. Mercier, in his long career, saw all the miseries to which man is subject, but he met also many men of noble sentiments, and he was one of those who believed that humanity is not entirely bad, and that vices can be corrected by good advice and kind words. It was this enlightened and benevolent philosophy which drew to him all persons who knew him and which is the principal charm of his writings. Simple, modest, and unselfish, he was not continually occu

*See 'Littérature Française de la Louisiane.'

pied with himself; he could see the world as it is, and revive in his works the personages he had met in life. He seemed to have considered poetry as a relaxation from his more serious duties, and he called the Muse to him, not to confide his sorrows to her, as did Musset, the author of 'Les Nuits,' but to take his flight with her toward those regions where are to be found charming children, beautiful young girls, and variegated flowers.

Dr. Mercier was a profound Latin and Greek scholar, and was also well versed in the Spanish and Italian literatures. What he loved above all, however, was French literature and the French language, which he wished to see preserved in Louisiana. For that purpose he founded in 1876 the Athénée Louisianais, which has been very successful. He contributed numerous articles and poems to the journal, or Comptes Rendus, of that literary society.

Alfred Mercier was a distinguished poet, novelist, and philosopher, and the most sympathetic of the writers who have given to Louisiana the honor of possessing a French literature of real merit. He died in New Orleans May 12, 1894, aged seventy-eight years.

Alice Fortien

L'HABITATION SAINT-YBARS, OU MAÎTRES ET

ESCLAVES EN LOUISIANE

L'HABITATION VIEUMAITE.

"L'OCÉOLA" était en retard de plusieurs heures; l'épais brouillard qui avait couvert les eaux et les rives du Mississippi, la nuit précédente, l'avait forcé à ralentir sa marche, plusieurs fois même à s'arrêter. Il était deux heures de l'après-midi, quand Saint-Ybars, averti par le sifflet, se disposa à débarquer. Son habitation était située sur la rive gauche; on la reconnaissait de loin à son "wharf," sur lequel s'élevait un élégant pavillon destiné à servir d'abri contre la pluie ou les ardeurs du soleil.

Une voiture attelée de deux chevaux magnifiquement harnachés, attendaient Saint-Ybars sur la voie publique, au bas de la "levée." I y monta avec sa fille et Pélasge; Titia s'assit à côté du cocher. Un domestique reçut l'ordre de con

duire Fergus auprès du maître de forge. Une vieille négresse, qui ramassait du bois de dérive, fut chargée de faire prendre à Lagniape un sentier qui abrégeait la route. Une belle porte cochère donnant sur le chemin public, s'ouvrit; la voiture entra, et roula sur une chaussée que bordait, à droite et à gauche, une allée de chênes. Au bout de l'avenue, à un demimille de distance, on voyait la maison du riche planteur au milieu d'un grand jardin.

La demeure de Saint-Ybars était dans le style des maisons de campagne louisianaises; elle en différait seulement par ses proportions plus grandes, et par la disposition particulière du toit. Elle formait un vaste carré dont chaque côté, au rezde-chaussé et au premier étage, présentait une galerie avec huit colonnes sur chaque face; les colonnes d'en bas étaient d'ordre dorique, celles d'en haut d'ordre corinthien. Le vieux SaintYbars qui l'avait fait bâtir, ne lui avait pas donné le toit aigu généralement adopté. S'inspirant de l'architecture si bien raisonnée de la vieille Espagne, il l'avait couverte d'une terrasse encadrée d'une balustrade ornée de pots à fleurs. Deux escaliers conduisaient à cette terrasse, où souvent la famille se réunissait, après le coucher du soleil, pour contempler la campagne et respirer l'air frais du soir. La façade, l'aile droite. et l'aile gauche donnaient sur le jardin, où l'on voyait réunis les arbres indigènes les plus beaux et quantité de végétaux exotiques. Derrière la maison, une grande cour plantée de magnolias, conduisait aux cuisines et aux chambres à repasser. Le centre de cette cour était occupé par un puits d'un diamètre de six pieds. Plus loin, était le corps de logis des domestiques affectés exclusivement au service de la maison. Derrière ces logements, un bois d'orangers entretenait une ombre délicieuse; puis, au-delà s'étendait un immense enclos dans lequel étaient l'hôpital et ses dépendances, les écuries du maître, des échoppes de selliers, de cordonniers, de menuisiers, une salle de bal pour les esclaves, et enfin un jardin potager.

Pélasge, remarquant une centaine de maisonnettes blanches. et une maison à deux étages, qui luisaient au soleil, sur la lisière d'un champ de cannes à sucre, et, plus loin encore, un amas de grosses constructions, crut que c'étaient deux villages. Il en parla dans ce sens à Saint-Ybars, qui lui répondit en souriant que c'étaient d'une part les cabanes de ses nègres

avec la maison de l'économe, et d'autre part la sucrerie; il lui expliqua que chaque cabane contenait deux logements, et que la sucrerie formait un département où se trouvaient réunis, autour de l'usine à vapeur fabriquant le sucre, une scierie, une tonnellerie, des forges, des écuries, une échoppe de charpentier, des hangars et des greniers pour le foin et les grains.

La plantation de Saint-Ybars embrassait, dans son ensemble, un terrain d'un mille et demi de face sur trois de profondeur. Il avait quatre cents esclaves, hommes et femmes, pour les travaux des champs, dix-huit ouvriers spéciaux, dix jardiniers, vingt domestiques pour le service de la maison, deux cents mulets, trente chevaux dont douze de luxe, une vacherie, des troupeaux de moutons et de chèvres, plusieurs basses-cours, un vivier, quatre colombiers, vingt-cinq chiens de chasse, un énorme dogue qu'on lâchait seulement la nuit, pour garder la maison.

Une discipline sagement raisonnée s'appliquait à tout le personnel de ce domaine, maîtres et esclaves. Saint-Ybars était sévère, mais juste. Malheureusement, il était sujet à des accès de colère, qui quelquefois étaient d'une telle violence qu'ils faisaient douter de sa raison et de la bonté naturelle de son cœur. Mais il était celui qui souffrait le plus de ses emportements; car, à ses explosions de fureur succédait une tristesse amère qui durait une semaine. Il aimait tendrement son père, et le vénérait; mais, à son tour, il exigeait que ses enfants, dont il se savait aimé, eussent pour lui-même le plus grand respect. Aussi, quand on le vit arriver avec Chantd'Oisel, tous les membres présents de la famille allèrent-ils au devant de lui, pour le saluer et l'embrasser.

La voiture s'arrêta sous un groupe de palmiers dont les tiges élancées montaient jusqu'au niveau de la balustrade du toit.

A la manière dont chacun caressa Chant-d'Oisel, Pélasge comprit qu'elle était la gâtée de la maison. Elle s'empressa de demander des nouvelles de Démon; on lui apprit qu'il était sorti avec son trébuchet, pour attraper des papes.

Quelques minutes après le retour de Saint-Ybars, la première cloche pour le dîner sonna. Chacun se retira, pour rafraîchir sa toilette. Un des frères de Démon conduisit Pélasge

à la chambre qu'on lui destinait; elle était située à l'extrémité de la galerie, à gauche, faisant face au fleuve.

Il la trouva entièrement de son goût. Après en avoir contemplé les détails avec plaisir, il s'avança sur la galerie, et parcourut du regard tout le tableau qui s'étendait entre la maison et le fleuve. Il vit deux hommes à cheval entrer dans l'avenue qu'il venait de suivre, quelques instants auparavant, avec Saint-Ybars et Chant-d'Oisel. A mesure que les cavaliers s'approchèrent, il distingua un vieillard suivi d'un jeune nègre. Quand il furent arrivés, le jeune nègre sauta à terre avec la souplesse d'une panthère, et alla tenir le cheval de son maître; le vieillard descendit plus prestement que n'eussent fait beaucoup d'hommes moins âgés que lui. Saint-Ybars accourut, embrassa le vieillard, et ces paroles arrivèrent aux oreilles de Pélasge:

"Mon père, comment vous portez-vous?"

"Très bien, mon fils; toi aussi, à ce que je vois. Et Chantd'Oisel?"

"Parfaitement. J'ai encore fait une folie pour elle." "Ah! qu'est-ce donc?"

"J'ai acheté une jeune femme dont elle avait envie."

"Tu as bien fait, mon fils; il faut, autant qu'on peut, rendre les enfants heureux; on ne sait pas ce que l'avenir leur réserve; une satisfaction accordée à une fillette par son père, même au prix d'un excès de complaisance, c'est autant de gagné pour elle dans cette partie d'échecs que tous, jeunes ou vieux, nous jouons avec le sort."

"Je crois," continua Saint-Ybars, "que j'ai eu la main heureuse pour Démon; j'ai trouvé un professeur qui paraît très bien."

"Tant mieux, mon fils, mille fois tant mieux; Démon est terriblement en retard! espérons que le nouveau précepteur saura lui faire rattraper le temps perdu. Ton Monsieur Héhé, n'en déplaise à cousine Pulchérie, est, avec toute son érudition, un maladroit qui n'a jamais su

Pélasge n'entendit pas la fin de la phrase; le vieux SaintYbars et son fils avançaient tout en parlant; leurs paroles se perdirent sous la galerie. Quand leurs pas retentirent sur l'escalier, qui conduisait du rez-de-chaussée à la galerie d'en haut, il alla au-devant d'eux et salua le vieillard. Cette marque em

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