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Cette fécondité des ruches, jointe à une méthode sage de les gouverner pendant l'hiver pour les préserver de la mortalité, il est certain que ces insectes se multiplieroient de sorte à ne savoir qu'en faire, et la campagne ne pourroit leur suffire, si on n'en faisoit pas périr tous les ans un grand nombre. Dans le continent du levant, où cette multiplication existe avec la même vigueur, on est dans l'usage également de faire périr tous les ans les ruches qui excèdent le nombre de celles qu'on possède.

Cela n'empêche pas cependant que nous ne conseillions aux propriétaires, lorsqu'il se présente des personnes qui veulent acheter ces ruches surnuméraires pour les élever, de leur donner la préférence s'ils leur offent un prix raisonnable. Nous sommes d'autant plus empressés d'inculper ce conseil, que nous savons qu'il y a de ces propriétaires qui aiment mieux faire périr leurs essaims pour en tirer les provisions, que de les vendre à ceux qni ont envie de les conserver; de crainte que leur multiplication ne blesse leur propre intérêt, en dimunuant la récolte de leurs ruches, ou en faisant baisser le prix dụ miel et de la cire. On pourroit comparer ces cultitivateurs à ce ri

chard dont parle Quintilien, qui répandoit du poison sur les fleurs de son jardin, de 'crainte que les abeilles de son voisin n'en profitassent. On voit que le virus de l'égoïsme a toujours infecté la pauvre humanité, et malheureusement il est porté aujourd'hui à son comble, grâce à cette sublime philosophie qui le caractérise. Nous ne pouvons nous refuser d'accorder à nos philosophes modernes (puisqu'on veut les appeler ainsi ), d'avoir introduit quelque foible bien par l'assoupissement apparent et momentané de quelque passion; mais s'ils sont vrais, ce dont nous doutons, ils doivent avouer qu'en revanche ils ont introduit avec plus de force cette idole de l'égoïsme qui est la source d'une infinité de vices, et ils ont créé et nourri d'autres passions presqu'inu, tiles dans tous les siècles passés, et infiniment plus dangereuses.

Si quelqu'un oppose à cette méthode de faire périr les abeilles des ruches que nous voulons réformer, les égards et la pitié qu'elles méritent de la part de l'homme à qui elles sont aussi utiles, nous le renvoyons à ce que nous en avons dit au dernier chapitre du premier livre. Au surplus nous allons proposer dans le cha

pitre suivant la méthode de faire transvaser les abeilles des ruches que nous voulons détruire dans celles que nous destinons à conserver, sauf à l'abandonner, si on s'aperçoit par l'expérience que les suites d'une telle opération sont dangereuses pour la prospérité des ruches à conserver, et à nous en tenir à la simple destruction des abeilles que nous avons proposée, après les avoir récoltées deux ou trois fois.

On pourroit nous demander ici, quel est au juste le prix qu'on peut vendre un premier esŝaim? Pour fixer le prix, il faut observer deux choses: 1o, la bonté du canton où on élève les abeilles et celle de la saison. Certes, un essaim vaut plus dans un canton où les pâturages sont très-abondans, et où ils se conservent longtemps, que dans un autre où ils sont moins abondans, et d'une courte durée ; de plus, dans une année où tout promet bien, où les pluies sont réglées, et où les abeilles travaillent avec vigeur, un essaim doit valoir plus que dans des années où tout nous menace de la perte de nos ruches; 2°. il faut considérer qu'un essaim bien printanier vaut plus qu'un essaim tardif. D'après ces observations, nous ne craignons pas de dire que dans les années passablement bonnes

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un essaim hâtif, c'est-à-dire venu avant le dix du mois de juin, peut valoir 12 livres aux environs de Versailles; les plus tardifs, de six à huit francs. Les seconds ensuite, en suivant les mêmes règles, nous les remettons à moitié près des premiers, et moins encore. Quelque vendeur d'essaims pourra opposer à cela que s'il conservoit son essaim, et s'il le gouvernoit bien, sur-tout d'après notre méthode, il pourroit en retirer 20 à 21 livres au moins, et qu'il n'est pas juste de le taxer à 12 livres. Sans doute; mais nous savons aussi les risques et les dangers qu'un essaim et son produit peuvent courir avant la fin de la campagne. Il ne faut pas perdre de vue qu'un essaim peut s'enfuir et abandonner sa ruche; qu'il peut tout d'un coup se trouver sans reine; de plus on a souvent vu que des grêles affreuses ont détruit les plus belles espérances qu'on avoit conçues au commencement du printemps sur la bonne réussite de ces insectes, de sorte que les ruches se sont trouvées dans la plus grande détresse. Ainsi les prix que nous avons énoncés doivent être jugés fort justes.

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Tome III.

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Sur les moyens de mettre nos ruches cylindri ques en état d'essaimer tous les ans.

LORSQUE nous avons formé dans les jardins de M. Lemonnier le rucher dont nous avons tant parlé, et disposé les ruches, nous avons suivi, ainsi que nous l'avons remarqué au chapitre précédent, à peu près tout ce qu'on pratique à cet égard dans l'île de Syra, surtout relativement aux dimensions de ces mêmes ruches; mais nous n'avons pas tardé à nous. apercevoir que la conduite de ces insectes, par rapport aux essaims, étoit dans nos îles, différente de celle de ces pays. Quelquefois nos ruches, avant de bâtir un pouce de nouveaux rayons, s'appliquent uniquement à se bien repeupler; c'est dans cet état qu'elles essaiment, et ce n'est qu'après avoir fini d'essaimer et de se repeupler la seconde fois, qu'elles commencent à travailler à de nouvelle cire. D'autres fois, tandis qu'elles sont occupées à l'éducation du nouveau peuple, elles s'appliquent aussi lentement, il est vrai, à construire trois ou quatre

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