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à plusieurs d'entre eux des cris particuliers, des mugissemens profonds, ou des sifflemens quelquefois si aigus qu'ils attirent, de toute part, autour d'eux, une foule de leurs congénères, qui, en continuant le combat avec l'ardeur d'une nouvelle audace, font couler le sang à grands flots, et teignent en rouge les eaux de la mer souvent à la distance de plusieurs lieues.

Malgré leur férocité naturelle, tous les cachalots cependant montrent pour leurs semblables un tel attachement qu'on ne les voit presque jamais qu'en troupes quelquefois fort nombreuses, voyageant en paix et en bonne intelligence entre eux. Toujours le plus grand ou le plus fort marche à la tête de la phalange, et c'est lui qui donne ordinairement le signal du combat, comme celui de la retraite ou de la victoire.

Le måle et la femelle de tous ont l'un pour l'autre un amour réciproque, que rien n'est capable d'altérer, si ce n'est la mort de l'un des deux époux : ils partagent le doux sentiment de cette tendresse mutuelle avec le petit qui est le fruit de leur union, et qui demeure constamment l'objet de leurs sollicitudes paternelles. La mère allaite le tendre gage de ses amours avec le plus grand soin; elle lui apprend à nager dans son enfance, et, lorsqu'il paroît fatigué de cet exercice, elle le prend affectueusement entre ses bras, le porte partout avec elle, combat avec un courage étonnant lorsqu'il s'agit de sa défense, et ne se sépare jamais de lui lors même qu'il est en état de se passer des soins maternels.

Les femelles de presque toutes les espèces de cachalots ne donnent le jour qu'à un seul petit à la fois (que l'on nomme cachalon), après l'avoir porté dans leurs entrailles pendant neuf à dix mois.

La nourriture de la plupart de ces animaux ne consiste que dans des poissons, tels que des pleuronectes, des holocentres, des gades, des aiglefins, des cycloptères, des morues, etc., ainsi que dans des mollusques; ils les poursuivent avec un tel acharnement qu'ils deviennent par là la terreur et l'effroi de ces habitans de l'onde. Il se trouve cependant parmi les cachalots des espèces qui, outre cette

nourriture ordinaire, poursuivent les phoques, comme les squales et les requins; ils sont même assez audacieux pour oser attaquer et combattre plusieurs espèces de baleines, surtout lorsqu'elles sont en bas âge.

Les avantages que l'on retire de la pêche des cachalots consistent en ce qu'outre que plusieurs peuples du Nord, et particulièrement les Lapons et les Groenlandois, se nourrissent de leur chair, qu'ils font sécher à la fumée, pour s'en régaler ensuite comme d'un mets exquis et délicat, c'est qu'ils mangent encore leur graisse, leurs entrailles et même leur peau.

Les navigateurs européens au contraire ne vont à la poursuite de ces animaux et ne leur font la guerre que pour l'huile qu'ils retirent de la plupart d'entre eux et qu'ils préfèrent à celle de la baleine franche, ou bien à cause de leurs dents ou défenses que l'on emploie aux mêmes usages que celles de l'éléphant on prétend même que l'ivoire de plusieurs de ces cétacés est plus dur, plus compacte, et conséquemment susceptible d'un plus beau poli que celui que l'on obtient de ce grand quadrupede.

De la tête de certains cachalots on extrait une substance précieuse pour la médecine; elle est connue dans le commerce sous le nom vulgaire de BLANC DE BAĻEINE, et elle a été désignée par Fourcroy sous celui d'ADIPOCIRE. (Voyez ces deux mots.)

On trouvé aussi quelquefois dans les intestins de ces animaux une substance aromatique, nommée AMBRE GRIS (voyez ce mot), qui est fort recherchée dans la parfumerie.

Les Groenlandois fabriquent des cordes très - fortes avec les tendons de plusieurs de ces animaux, et ils retirent de leur gosier des vessies qu'ils emploient avantageusement à la pêche.

Nous suivrons, pour la distribution des cachalots, les divisions qui ont été établies dans cet ordre par Lacépède, comme nous l'avons déjà fait pour les baleines.

PREMIÈRE FAMILLE. Les Narwals, Narwali. Caract. généraux. Une ou deux défenses très longues et droites à la mâchoire supérieure; point de dents à la

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mâchoire d'en bas; les orifices des évents réunis et situés au plus haut de la partie postérieure de la tête, et point de nageoire dorsale.

⚫ Cette famille renferme trois espèces.

1. Le NARWAL VULGAIRE, Monodon monoceros, Linn. ; édit. de Gmelin.

Caract. part. Ensemble de la forme ovoïde; tête égale au quart de la longueur totale; défenses sillonnées en spirale.

Le cétacé dont il est ici question est un mammifère du genre des cachalots, auquel ses forces colossales assurent une supériorité absolue; il se précipite sur tout ce qui lui fait ombrage, et se jette, en furieux, contre l'obstacle même le plus léger. C'est au milieu des glaces de l'océan Polaire qu'il fait son séjour habituel c'est du sein de cet empire éternel des frimas, presque constamment envahi par les ténèbres, que ce géant des ondes affronte toutes les puissances, brave tous les dangers, recherche le carnage, attaque sans provocation, combat sans rivalité et tue sans le moindre besoin.

Sa forme générale est un ovoïde, dont la longueur ordinaire est de quatorze à vingt mètres (de 42 à 60 pieds); sa tête est très-grosse et d'un volume à peu près égal au quart de sa longueur totale; sa machoire supérieure, qui avance plus que celle d'en bas, est recouverte par une lèvre fort épaisse, et de chaque côté de cette même mâchoire il sort une dent très-longue, étroite, conique et qui, dès sa base, se termine insensiblement en une pointe fort aiguë.

C'est cette même dent qui, séparée de l'animal, fut long-temps conservée dans les collections des curieux sous le nom impropre de corne ou de défense de licorne on la présentoit alors comme les restes d'une arme que les anciens avoient supposé exister dans le milieu du front d'un animal fabuleux qu'ils avoient nommé licorne, qu'ils prétendoient tenir de la forme du cheval et du cerf, et dont ils n'ont pas rougi de nous transmettre la chimérique histoire.

Depuis que l'on a rejeté cette opinion erronée, on ne croit plus, même avec Albert, que cette défense soit placée au milieu du front du narwal, comme cet auteur l'a prétendu. Une foule d'observations des plus exactes nous ont donné la certitude qu'il existe dans la mâchoire supérieure de cet animal deux défenses, une à droite et l'autre à gauche, et que lorsqu'il arrive qu'un individu de cette espèce qui a atteint toute sa croissance, n'a qu'une seule de ces dents, c'est à cause que sa correspondante a été brisée par quelque choc violent ou par quelque autre accident.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas moins vrai de dire que cette dent, très - dure, très-pointue, et qui a quelquefois près de six mètres (20 pieds) de longueur, doit faire des blessures cruelles et profondes, surtout lorsqu'elle est mise en mouvement par un narwal en furie.

Cette arme défensive et offensive est cannelée en spirale dans toute sa longueur, et les pas de vis qu'elle forme de sa base à sa pointe, sont quelquefois au nombre de seize, qui se volutent tantôt à droite et tantôt à gauche. La matière dont cette dent est formée a quelque analogie avec celle de l'ivoire, et on l'emploie aux mêmes usages; elle est creuse à sa base comme celle de l'éléphant, qu'elle surpasse en dureté et en blancheur : ses fibres, plus déliées, ne sont pas croisées l'une sur l'autre comme dans celle de ce quadrupède; elles sont seulement réunies par une sorte de cohérence plus difficile à rompre, et leur ensemble forme un tout plus compacte, plus pesant, moins altérable et moins sujet à jaunir que les défenses de l'éléphant. Le diamètre de cette dent, mesurée à sa base, est souvent le trentième de sa longueur totale. Les Groenlandois en font des flèches pour leurs chasses, et des pieux pour leurs cabanes.

L'ouverture de la bouche de ce cachalot est très-petite, eu égard à la masse énorme de l'animal; son œil, qui est assez éloigné de la commissure de ses lèvres, forme un triangle presque équilatéral avec le bout de son museau et l'orifice de ses évents. Ce cétacé a le dos convexe et large; ses nageoires pectorales sont très-courtes et fort étroites;

les deux lobes qui forment la caudale, sont arrondis à leurs extrémités. On voit derrière les évents une sorte de crête quị y trace une saillie longitudinale, qui s'étend de là jusque sur la nageoire de la queue par une dégradation insensible en hauteur à mesure qu'elle approche davantage de cette extrémité.

Les deux évents sont réunis de manière à ne former qu'un seul orifice extérieur, qui est situé sur la partie la plus à l'arrière du sommet de la tête; cet orifice est susceptible de s'ouvrir et de se fermer à la volonté de l'animal, au moyen d'un opercule frangé et mobile, comme s'il y adhéroit par une charnière. L'eau que ce cétacé rejette par ce canal émonctoire, s'élève à une très - grande hau

teur.

C'est vers le quatre-vingtième degré de latitude, dans l'océan glacial arctique, que l'on rencontre cet éléphant de la mer. Là il cherche sa vie parmi les mollusques : il y fait une guerre cruelle à ceux que l'on a nommés planorbes; et dans le nombre des poissons qu'il préfère on a remarqué les pleuronectes pôles. Cependant, lorsque les narwals sont réunis en troupes, s'ils viennent à rencontrer une baleine, ils ne manquent jamais de lui livrer un combat toujours sanglant, dont le plus souvent ils deviennent eux-mêmes les victimes.

Quelques naturalistes prétendent que ce n'est pas d'après le sentiment particulier d'une haine naturelle que ces animaux se portent ainsi avec fureur contre la baleine, mais seulement dans l'intention de la vaincre, pour le plaisir cruel de dévorer sa langue, dont ils sont très - avidement friands.

Dans ces sortes de combats le narwal a d'autant plus d'avantage, qu'outre qu'il est d'une vitesse extrême, c'est qu'il peut encore atteindre son ennemi d'assez loin pour ne pas redouter ses armes; il fait pénétrer jusqu'au cœur de la baleine sa défense, lors même que sa tête est encore fort éloignée; il la frappe à coups redoublés, il la perce, il la déchire, et lui arrache la vie sans qu'il se trouve à portée d'en recevoir la moindre atteinte.

On ne prendroit les narwals que très-difficilement, s'ils

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