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teurs sous le poids accablant des taxes et des surcharges multipliées au-delà de toute raison; tandis que des réglemens sur la police des grains déconcerteront les plus utiles projets, ou tandis que le défaut de richesse nationale ôtera au cultivateur la faculté de vendre avantageusement ses produits; c'est entreprendre de nager contre le courant. Tout gouvernement qui se proposera d'encourager la culture des terres, sans songer à réformer les vices de l'administration qui en arrêtent les progrès, ne fera que d'inutiles efforts, et n'obtiendra jamais que des succès éphémères, qui ne seront d'aucune conséquence. Mais passons à l'examen des causes qui font obstacle à la culture, et qu'il seroit essentiel d'écarter.

SECTION PREMIÈRE.

De la Taille.

Entre les différentes taxes, supportées par les cultivateurs, je crois devoir particulièrement faire mention d'une espèce de taxe sur les terres, connue en France sous le nom de taille. Cette taxe est imposée sur les rentiers, les possesseurs de terres, et sur tous les citoyens qui ne jouissent point des prérogatives accordées à la noblesse. Le grand vice de cette imposition est principalement dans la manière de l'asseoir.

Le ministère détermine la somme qu'on prélevera par la taille; et il décide de la part proportionnelle qu'il convient de faire payer à chaque province. Cette disposition envoyée à l'intendant,

il fait une répartition de la somme sur toutes les paroisses de sa généralité, et la somme est levée par les collecteurs de chaque paroisse, qui l'imposent sur les habitans, conformément aux instructions qu'ils ont reçues de l'intendant.

Ces instructions portent que dans la taxation on aura égard à chaque espèce de revenu, à tous les divers profits qu'on peut se procurer par son industrie, même à chaque tête de bétail qui se trouve dans la possession de ceux qui sont soumis à cette taxe.

L'imposition de la taille est donc calculée d'après une connoissance exacte de tous les gains que peut faire un habitant sur les différens effets qui lui appartiennent, et même sur la possibilité des profits qu'il est dans le cas de se procurer par son industrie.

Si la première cotisation ne rend pas la totalité de la somme demandée, on en fait une seconde et même une troisième, en observant toujours les règles qu'on a suivies dans la première, jusqu'à ce que la somme soit complétée.

Il est clair que cette taille, qui est une espèce de dixme dont on paye la valeur en argent au lieu de la payer en denrées, a tous les inconvéniens des taxes les plus pernicieuses et les plus funestes à l'agriculture. Dans une taxe qui porte sur l'industrie et les améliorations, il y a nécessairement un vice désastreux, c'est que l'apparence de l'amélioration est prise pour le signe même de la richesse, et occasionne en conséquence une surcharge qui sera peut-être bien moins proportion

nelle au produit, qu'au calcul idéal du collecteur; et en cela, la taille est encore plus désolatrice que la dixie.

Mais comment s'imagine-t-on qu'un fermier puisse être tenté de faire de nouvelles entreprises et de perfectionner sa culture, avec la crainte bien fondée d'être non-seulement plus imposé, mais de l'être encore en proportion de chaque amélioration, de chaque bonne récolte, de chaque tête de bétail dont il augmentera ses troupeaux, de chaque monceau de fumier, de la bonté plus ou moins grande de ses instrumens de labourage de ses ateliers? Sous une administration si peu réfléchie, si contraire au but qu'elle doit se proposer, ne seroit - il il pas ridicule de dire à un fermier qu'il devroit faire l'essai du semoir dans la culture des féves, disposer la terre à une riche moisson de froment par une récolte de turneps, au lieu d'une jachère, saigner ses terres pour les garantir de l'humidité et du séjournement des eaux, d'employer de meilleurs engrais, etc. Ne sera-t-il pas en droit de répondre qu'il est parfaitement inutile de se donner tant de peines pour se voir enlever le fruit de ses travaux par la rapacité d'un fisc dévorant?

Ce n'est pas seulement par la forme de son assiette que la taille n'est propre qu'à désespérer le fermier, mais encore par son excès: on peut dire que cette taxe est poussée en France à un point qui feroit soupçonner le délire de la fiscalité. Les taxes les plus onéreuses en Angleterre n'ont rien qui en approche.

Je crois devoir en citer un exemple tiré d'un ouvrage très-estimé; Essai sur les Monnoies, ou Réflexions sur le rapport entre l'argent et les denrées, par M. Dupré de Saint-Maur. On lit, page 26: «En Sologne, le fermier d'une petite métairie, louée 470 l., paye 218 l. 3 s. de taille, outre 51 l. 6 s. de capitation. Dans une autre, affermée 260 l., le fermier paye 120 l. 8 s. de taille, et 37 l. 11 s. de capitation. Le dixième du village où sont situées ces métairies qui m'appartiennent toutes deux, monte à 1952 l. 9 s. ; ainsi il est à présumer que le canton peut produire par an, 19,584 l. 10 s. Dans le même endroit, le total du rôle de la taille pour l'année 1744, est de 6886 7. 13 s., et la capitation de 2019 l. On voit que la taille excède souvent le tiers du produit des terres, et que la capitation monte à peu près au tiers de la taille. >>

On a peine à concevoir que chez un peuple si éclairé, l'administration puisse s'aveugler sur les tristes effets qui doivent nécessairement résulter d'impôts si déréglés ! Il seroit, sans doute, aisé de faire des changemens dans la nature de cette taxe, et de la rendre moins meurtrière. On pourroit d'abord ordonner que toutes les fermes fussent tenues par des baux, ne fût-ce que pour l'année : en second lieu, tous ces baux seroient enregistrés et alors on asseoiroit la taxe sur ces baux au marc la livre; et si l'on se trouvoit au-dessous de la somme demandée, on feroit une nouvelle répartition pour remplir ce qui manque, comme le pratiquent les intendans dans leur généralité.

Il ne seroit donc question que d'asseoir cette taxe sur les baux, pour faire disparoître ce qu'elle a d'odieux et de désordonné ; mais cette taxe ainsi imposée, ne devroit pas augmenter à raison des améliorations qui pourroient se faire. Dans la supposition qu'un cultivateur affermeroit un domaine 10,000 l., la taille seroit levée sur le prix du fermage au marc la livre; mais l'intendant n'auroit rien à voir dans ses récoltes, ses troupeaux ou ses ateliers. Le fermier seroit alors encouragé à tenter de nouvelles entreprises, par la certitude de voir récompenser ses travaux par le succès de ses améliorations. Je ne doute pas que ce léger changement ne fît prendre à l'agriculture une nouvelle face. Je présume qu'un ministre françois pourroit me faire quelques objections; mais j'ose dire qu'il n'en feroit point de solides.

Je ne m'étendrai pas davantage sur les taxes qui pèsent directement sur les cultivateurs. Il est de toute impossibilité que jamais l'agriculture puisse fleurir, si l'on s'obstine à proportionner ces taxes à l'aisance, à la grandeur des troupeaux, aux améliorations et à l'industrie des fermiers (43).

(43) De quelque nature que soit l'impôt, il éprouvera toujours des critiques. L'agriculture est un art, pourquoi le fermier ne payeroit-il pas une taxe d'industrie à laquelle est imposé tout citoyen qui exerce un art? Sera-t-il découragé dans son travail parce qu'il contribue, par son imposition, aux frais de l'administration qui protège ses propriétés et veille à sa súreté? Un fermier a-t-il moins besoin de la protection du gouvernement que le simple artisan, lui dont les propriétés sont sous sa sauve-garde immédiate, parce qu'il ne peut pas les surveiller lui-même? Faut-il que le fermier pauvre soitimposé comme celui qui est dans une grande

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