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doivent avoir de disposer des productions de leurs terres et du fruit de leurs travaux ».

Tout ce passage, de la plus grande vérité, est fondé sur des principes simples et lumineux.

Il est clair que l'exportation libre des blés assurant, dans un grand état, l'égalité des récoltes c'est à ce défaut de liberté qu'il faut attribuer les temps de disette et de famine, et la différence considérable des récoltes d'une année à l'autre.

Etablissons, comme une maxime qui doit paroître incontestable, que l'avancement de l'agriculture exige que le prix des blés soit toujours proportionné au produit. Supposons alors que la consommation que fait une nation, monte, année commune, à cinq millions de quarters de blé ; la proportion, entre le produit moyen des récoltes et la consommation ordinaire, doit être plus ou moins altérée suivant la variété des circonstances: supposons une récolte de six millions de quarters avec des lois prohibitives sur l'exportation, quelle sera la conséquence? Il se trouvera le superflu d'un sixième dans les marchés, et conséquemment le prix des grains sera alors fort au-dessous de la proportion qu'il devroit suivre; et c'est ici une source funeste de calamités. Si le blé, dans une telle année, étoit d'un prix proportionné seulement à l'abondance, l'inconvénient ne seroit pas grand. Mais le superflu d'un sixième dans les marchés, en fera tomber le prix probablement à un tiers audessous et même plus bas. M. King, connu par l'étendue de ses connoissances en arithmétique politique, a calculé cette proportion; mais, comme

il est impossible d'atteindre à une certaine exactitude dans un calcul de cette nature, il suffit de savoir que la différence du prix doit être très-considérable.

Si, dans cet exemple, nous supposons une autre bonne récolte dont le superflu soit d'un sixième ou d'un septième, on ne peut pas douter que le prix des grains, dans les marchés, ne tombe encore plus bas que l'année précédente: alors les cultivateurs qui ne retirent pas la moitié des avances qu'ils ont confiées à la terre, sont entièrement découragés, et tellement appauvris, qu'ils ne se trouvent plus même en état de reprendre leurs travaux. Mais une conséquence nécessaire de la ruine des cultivateurs, c'est qu'en peu d'années on doit voir les disettes, et même la famine causer les plus grands ravages; calamités qui, comme on le voit, ne doivent être attribuées qu'au défaut de liberté du commerce des grains. Avec des lois restrictives et prohibitives, il faudroit, pour maintenir quelque égalité dans le prix des grains, que le produit répondît presque toujours à la consommation annuelle; mais les années d'abondance, comme celles de stérilité, lui font éprouver des altérations dont les effets sont funestes aux peuples qui ont le malheur de vivre sous un gouvernement qui méconnoît les vrais principes d'une sage administration. Sous un pareil gouvernement, on n'a point de mesures fixes: d'un côté, on défendra l'exportation des blés, et de l'autre, on en permettra l'importation, de manière qu'il devient absolument impossible que le prix des blés soit régulier; il y

est toujours d'une mobilité désespérante pour les cultivateurs.

Mais sous un gouvernement assez éclairé pour ne point mettre d'entraves au commerce, on n'aura jamais à redouter ces inconvéniens; le prix des blés n'éprouve aucune de ces inégalités. Dans les mauvaises récoltes le prix hausse, et compense la diminution de quantité; dans les années d'abondance, l'exportation enlève le superflu, et empêche que le prix ne vienne à tomber trop bas. Le fermier s'enrichit et devient plus en état de soigner et de perfectionner sa culture; rien ne le détourne de faire à la terre toutes les avances dont il est capable, et qu'elle peut recevoir toutes les communications libres pour les débouchés, lui répondent de la vente des plus riches et des plus abondantes récoltes.

La gratification, accordée en Angleterre à la sortie des grains hors du royaume, est un raffinement de politique bien recommandable. Cette gratification fut, comme je l'ai dit, imaginée pour favoriser les propriétaires fonciers par l'augmentation du prix des grains. Cette cause, à la vérité, ne produisit point l'effet qu'on s'en étoit promis; les espérances furent trompées mais on n'eut pas lieu de s'en repentir; le prix des blés baissa de plus en plus à la suite de l'abondance; et cette même abondance fut l'effet immédiat de la gratification. · Dans les contrées où le gouvernement croit devoir adopter des lois prohibitives de l'exportation des grains, tous les encouragemens qu'on peut d'ailleurs donner à l'agriculture, ne peuvent pro

duire de grands avantages. Rien au monde ne peut dédommager le cultivateur du défaut d'un marché. Quels motifs pourront jamais l'exciter à mettre à la terre son argent et son industrie, si, lorsque la terre aura récompensé ses travaux par d'abondantes récoltes, ces récoltes tombent en non-valeur par les interdictions du commerce? Ses riches moissons ne serviront alors qu'à accélérer sa ruine.

Il seroit, je pense, très-inutile de s'arrêter à répondre aux objections de ceux qui ont écrit contre les sages mesures adoptées dans le dernier siècle, par le ministère anglois, sur la police des grains. Ils se plaignent particulièrement du préjudice énorme que l'exportation a fait aux manufactures et aux pauvres, en les forçant d'acheter les grains à un prix excessif. En cela, ils assurent comme un fait, une fausseté reconnue et prouvée par tous les registres qu'on a tenus des prix des grains. C'est cependant sur ce fait prétendu qu'ils bâtissent des hypothèses, dont le grand objet est de prouver qu'un peuple, pour s'enrichir et devenir puissant, doit négliger le soin de son territoire et que le moyen le plus efficace de tenir les grains à bas prix, est d'en décourager la culture!

SECTION V I.

La Pauvreté nationale.

De tous les obstacles qui arrêtent les progrès de l'agriculture, il n'en est peut-être point de plus difficile à écarter que ceux que lui oppose le défaut de richesses nationales; du moins n'est-il pas aisé d'en assigner le remède. Quoiqu'un gouverne

ment ait le pouvoir de faire des lois et des réglemens, il n'est point du tout en sa puissance, quelle que soit la sagesse de ses mesures, de faire passer rapidement un peuple de la pauvreté à la richesse. Il est bien vrai que la marche la plus assurée pour le conduire à ce but , c'est d'encourager, d'une manière uniforme et constante, l'agriculture et toutes les branches d'industrie et de commerce; mais, comme ces encouragemens exigent une attention soutenue, et n'opèrent qu'avec le temps, on ne peut pas dire à celui qui tient les rênes du gouvernement, rendez votre peuple riche, comme on pourroit lui conseiller de révoquer de mauvaises lois.

Cependant, quelque grands que soient les obstacles qu'oppose aux progrès de l'agriculture la pauvreté nationale, il est sans doute des moyens efficaces de les faire disparoître. Si le défaut d'espèces circulantes, dans une nation pauvre, ne permet pas au cultivateur de vendre ses denrées à un prix capable de l'encourager à les reproduire, dans ce cas, le grand objet du ministère est de s'efforcer, par tous les moyens imaginables, de faire augmenter le prix de toutes les denrées et de tou es les marchandises à l'égard des productions du fermier, la voie la plus sûre d'y parvenir, est incontestablement d'accorder une gratification à leur sortie du royaume : ce remède, en procurant à l'agriculteur la facilité de trouver au dehors le bon prix de ses denrées, dont la vente au-dedans lui eût été préjudiciable, porte directement sur le mal et le détruit radicalement. Si donc le gouvernement

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