Page images
PDF
EPUB

Près du vieillard, ô mes enfants,
Gardez un modeste silence;
Sa couronne de cheveux blancs
Est un titre à la déférence.

Le poids des ans, pesant sur lui,
Rend sa démarche vacillante;
Soyez heureux d'être l'appui
De la vieillesse chancelante.
Comme lui, vous serez, un jour,
Tout affaiblis à force d'âge,

Et d'autres enfants, à leur tour,

A vos vieux ans rendront hommage (p. 12).

L'enfant doit, pour être bien sage,
Céder au plus petit enfant;
Qu'avec lui toujours il partage;
Qu'il soit pour lui doux, complaisant,
Car Dieu l'a fait devenir grand

Pour aider l'enfant en bas âge (p. 15).

Les Pensécs, au nombre de deux cent quarante, sont à leur deuxième édition, comme l'indique le titre particulier qu'elles portent: Pensées, avec des corrections, suppressions et additions de la main de l'auteur, sur un exemplaire de l'édition de 1848, trouvé dans ses papiers. Ces pensées sont empreintes, comme l'œuvre entière, d'une certaine mélancolie qui ne manque pas de charme. Si, comme dans la première édition de 1848, elles étaient publiées à part et sous le voile de l'anonyme, on devinerait facilement qu'elles sont sorties de la plume d'une femme. J'ai le regret de ne pouvoir en citer qu'un très-petit nombre, mais en voici quelques-unes que j'ai choisies comme étant marquées d'un certain cachet d'originalité.

XI. « Le cœur aimant trouve tant de bonheur à se dé« vouer, qu'il finit par prendre son dévouement pour de l'égoïsme. »

«

«

XV. — « On rit de l'amour, mais c'est après en avoir beau

coup pleuré. »

XXII. « Certains hommes ont assez d'esprit pour paraître

--

« avoir du cœur. »

[ocr errors]

XLIV. — « Il est des fleurs qui se referment à l'heure où le

[ocr errors]

soleil brille de tout son éclat; il est des âmes craintives qu'ef

[ocr errors][merged small][merged small]

LV.

<< trace

« Le souvenir au cœur de quelques hommes, c'est la laisse l'oiseau dans les airs. »

que

LXX. « L'amour de l'or, dans le cœur de l'homme, est « semblable à ces plantes envahissantes qui dévorent le terrain « où elles croissent, et finissent par étouffer tout germe bienfaisant. »

[ocr errors]
[ocr errors]

XCIII.

[ocr errors]

Qui reconnaît au milieu de l'herbier, dans cette tige sèche et flétrie, la brillante fleur, jadis l'orgueil de la val«<lée? Qui reconnaît, à la fin de la vie, l'âme, jadis fraîche de sensations, s'épanouissant à l'existence ? La voilà desséchée par le ⚫ malheur et flétrie par les déceptions. »

[ocr errors][ocr errors]

CXVI. « Les femmes les plus aimantes sont celles qui s'aperçoivent le moins vite qu'elles ne sont plus aimées : elles prennent ce qu'elles donnent pour ce qu'elles reçoi

« vent. »

CXLV. — « Aux jeux d'escrime on entoure le fleuret de manière à ce qu'il ne puisse blesser personne. Ainsi, dans la con«versation, la bonté doit amortir l'aiguillon de l'esprit. »

Il ne faut pas être surpris que l'auteur de ces vers élégants, de ces pensées ingénieuses et délicates, ait encouragé M. Yemeniz dans la passion qu'il a eue toute sa vie pour les beaux livres. Madame Yemeniz n'a jamais caché le plaisir que lui causaient les goûts de son mari à cet égard : elle aimait à considérer les trésors qu'il amassait chaque jour, et le guidait souvent dans ses acquisitions, ou bien encore dans le choix des reliures, conseils plus difficiles, plus délicats qu'on ne le croit généralement.

L'esquisse que je viens de tracer explique le découragement dont fut atteint M. Yemeniz par la mort de sa femme; l'âge où il était parvenu l'avait empêché de prévoir qu'il serait frappé d'un pareil coup. On comprend ces paroles écrites par lui il y a seulement quelques semaines, à propos de la vente de sa bibliothèque : « Depuis que j'ai eu le malheur de perdre ma femme, j'ai été saisi d'un tel découragement, d'un tel dégoût de tout, que je n'ai pas ouvert une seule fois les armoires de ma bibliothèque. Et en effet la chambre de madame Yemeniz était voisine de la bibliothèque; cette chambre est restée close depuis le jour fatal; la bibliothèque n'a pas été ouverte non plus; les

a

[ocr errors]

livres étaient remplis de poussière, quand il les a remis au libraire chargé de les vendre.

Mais il est temps. de dire quelques mots de l'ensemble de la collection. M. Yemeniz, en la formant, ne s'est jamais occupé de réunir, comme l'ont fait d'autres amateurs, tous les ouvrages relatifs à certaine branche de littérature ou d'histoire, les œuvres des poëtes français par exemple, ou bien toutes celles qui se rapportent à un pays ou à une ville; il s'est proposé de faire une bibliothèque et non un cabinet. J'ai eu l'occasion, il y a quelques années, de déterminer la différence qui est à faire entre l'une et l'autre qu'on me permettre de reproduire ici cette page de ma notice sur mon confrère Armand Cigongne :

[ocr errors]

Une bibliothèque se compose de la réunion toujours incomplète des ouvrages imprimés ou manuscrits sortis de l'esprit humain à toutes les époques. Suivant le goût, les facultés, les occupations de celui qui l'a formée, elle contient une série plus ou moins considérable de livres, soit sur la théologie, soit sur la jurisprudence, soit sur les sciences ou les arts, ou bien encore sur les lettres ou l'histoire. On y trouve généralement les chefs-d'œuvre des littératures anciennes et modernes. Une bibliothèque doit encore renfermer des biographies, des dictionnaires, des manuels, dont il est impossible de se passer, nonseulement si l'on veut se livrer aux travaux de l'esprit, mais encore faire quelques lectures sérieuses et profitables. Sur un pareil plan il est bien difficile de n'admettre que des livres de choix : aussi l'on pardonne au bibliophile, qui se fait une bibliothèque, des exemplaires médiocres, même défectueux; surtout quand ces exemplaires complètent une série d'ouvrages rares, curieux, nécessaires à ses travaux. Un cabinet se comaussi de livres anciens et modernes, en diverses langues. pose Seulement le nombre en est plus restreint que dans une bibliothèque; les livres, plus choisis, ne doivent jamais être d'une condition médiocre. La majeure partie au contraire doit se faire remarquer ou par la rareté, ou par la beauté de l'impression, ou par la reliure; il faut même que plusieurs volumes possèdent ces trois qualités réunies. Tout livre, pourvu qu'il soit beau, peut entrer dans un cabinet. Les bibliophiles choisissaient naguère encore les chefs-d'œuvre de l'esprit humain, Homère, Virgile, Ho

race, chez les anciens; Dante, Boccace, Arioste, chez les modernes; et en France, Corneille, Racine, la Fontaine et Molière. Aujourd'hui le goût a changé : sans exclure le moins du monde les œuvres des grands génies que je viens de nommer, les bibliophiles poursuivent avec ardeur les anciennes chroniques, les mystères, les romans de chevalerie, surtout les vieux poëtes et les facéties. Généralement celui qui compose un cabinet poursuit la série des ouvrages écrits par un seul homme, et s'applique pendant toute sa vie à les rassembler, n'acceptant jamais que des exemplaires de choix, dans un état parfait de conservation. Ici je vois sourire ceux de mes lecteurs qui ne comprennent rien aux innocents plaisirs de la collection, et le mot de bibliomanie est sur leurs lèvres. Sans doute, c'est de la bibliomanie; mais cette passion peut avoir aussi son côté utile: grâce à la persévérance de certains chercheurs obstinés, toutes les éditions de nos meilleurs écrivains ont été poursuvies, étudiées, comparées entre elles. Les œuvres de Villon, de Rabelais, de Corneille, de la Fontaine, de Molière, sont maintenant classées avec soin et mises au nombre des livres les plus précieux. On le voit, la bibliomanie, dont les gens du monde aiment tant à se moquer, peut aussi rendre aux lettres quelques services (1).

>>

Dans toutes les divisions dont se compose la bibliothèque de M.Yemeniz, ce qui frappe surtout, c'est le soin qu'il a pris de re

"

(1) La distinction que je viens d'établir était admise par les bibliographes du dernier siècle; voici comment s'explique Gabriel Martin, en parlant d'un des beaux cabinets dont il a rédigé le catalogue : « On ne doit pas << s'attendre de trouver ici une bibliothèque générale et suivie, mais un choix « de livres sur toutes les matières, bons par eux-mêmes et par leurs éditions, suffisant pour former le cabinet d'un homme du monde qui ne << donne point dans les sciences, et qui ne veut des livres que pour s'ins<< truire et s'amuser. La condition en est très-belle : la plupart sont en maroquin ou en veau, doré sur tranche, de la reliure du célèbre Boyet, << relieur du Roy. » Catalogue des livres de feu M. Bellanger, trésorier général du Sceau de France. Paris, Gabriel et Claude Martin, 1740, in-8°. Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la Bibliothèque de M. A. Cigongne, membre de la Société des Bibliophiles; précédé d'une notice bibliographique, par M. Le Roux de Lincy, secrétaire de la Société. Paris, L. Potier, 1861, in-8°. - P. xv.

[ocr errors]

cueillir les éditions originales; ainsi les classiques grecs, latins, français, italiens, s'y trouvent en majorité. Quant à la Grèce, qu'il regarde à bon droit comme son pays natal, il n'a pas négligé les œuvres des grands génies que cette terre privilégiée a produites. Sans répéter ici des noms qu'on va trouver plus loin, nous dirons que les œuvres d'Homère avec celles des commentateurs se composent de vingt-quatre numéros (du no 1389 au no 1412). Les classiques latins occupent aussi une place très-importante; nous nous contenterons de citer Cicéron parmi les prosateurs, et parmi les poëtes Virgile et Ovide, qui comprennent soixante-six numéros, trente-quatre pour Cicéron, trente-deux pour Virgile et Ovide. (Voyez au catalogue, p. 295: Cicéron, no 1332 à 1365; Virgile et Ovide, no 1467 à 1501.)

[ocr errors]

Mais ce sont les ouvrages de tous les genres produits en France, dans ce pays que M. Yemeniz considère avec raison comme sa patrie adoptive, qu'il a recherchés avec le plus de soin et de persévérance. Ce sont principalement les ouvrages publiés du quinzième au dix-septième siècle, qui ont fixé son attention, et dont il a formé la majeure partie de sa bibliothèque. Il restait fidèle au système qu'il avait adopté, s'attachant aux éditions princeps les plus rares, qu'il a recueillies de préférence, surtout quand il les a trouvées dans des conditions qui ne laissent rien à désirer

Je citerai d'abord quatre séries, comme très-remarquables : 1o les ouvrages relatifs à l'histoire de la langue française; 2° les anciens poëtes dans la même langue depuis le quinzième siècle jusqu'au dix-septième; 3° les Mystères; 4° les Romans de Chevalerie.

Les ouvrages qui traitent de l'histoire des deux langues latine et française, en y ajoutant les dictionnaires, sont au nombre de soixante-quinze (du n° 1228 au no 1302); la plus grande partie de ces ouvrages sont de toute rareté; je renvoie au catalogue le lecteur curieux de s'en convaincre.

Quant aux POETES FRANÇAIS, je ne ferai qu'une observation générale, c'est que les œuvres de tous ceux qui ont laissé quelque renommée après eux s'y trouvent, et presque toujours en édition originale.

Les MYSTÈRES, ces œuvres des quinzième et seizième siècles, si singulières, et à bon droit si recherchées, comprennent

« PreviousContinue »