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mais qui faisaient la joie de cet ami de Voltaire et des philosophes du dix-huitième siècle. Dans ses Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, Charles Nodier, ce bibliophile ardent, cet écrivain si ingénieux, nous a laissé un profil de Jamet le jeune, qui appartenait à une famille très-littéraire et descendait peut-être de Lion Jamel, poëte du quinzième siècle, à qui Clément Marot a dédié une de ses ballades. Voici la page que Nodier consacre à ce singulier bibliophile: «< Il aimait à couvrir les gardes, le frontispice et la marge de ses livres de notes d'une écriture fort jolie; ces « notes ne sont cependant guère remarquables que par un cy« nisme peu commun de pensées et d'expressions; il ne lui faut « qu'un prétexte pour étaler à plaisir le luxe le plus effréné d'athéisme et de libertinage, et ce prétexte n'est jamais difficile à « trouver pour son imagination débauchée; il brode des polis<< sonneries sur un moraliste, et des impiétés sur un sermon. On << ne peut lui refuser toutefois une vaste et curieuse érudition, << la plus singulière facilité à saisir des analogies ingénieuses entre « des auteurs qui ne présentent aucun rapport apparent, et l'art « de deviner les étymologies. Sa bibliothèque était d'ailleurs fort peu nombreuse et fort peu soignée, et il n'y a pas plus d'une douzaine de volumes, annotés par Jamet, qui puissent prendre place sur les tablettes d'un amateur délicat; mais ceux-là У figurent honorablement parmi les curiosités les plus piquantes. L'éducation littéraire de Jamet le jeune reçut du hasard un singulier complément qui explique la direction de son esprit et « le ton de sa critique; ce philologue original avait été gen« darme de Lunéville, et l'on sait quelle nouvelle espèce d'é« rudition un érudit de collége pouvait acquérir à cette école. « Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'il était intimement lié < avec dom Calmet, notre philologue sacré du dix-huitième siècle, « et que sa collection de livres se composait en grande partie de « ceux que ce savant critique lui avait légués; il en devait une

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< autre à l'amitié de l'académicien Lancelot........

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Moins indifférent sur ces notes échappées à sa plume qu'on « ne le croirait au peu de soin qu'il a mis à leur rédaction, il en peu commun de Stromates, qui leur convenait doublement, au sens figuré de « variétés ou mélanges, et au sens propre d'enveloppes ou cou

<< avait recueilli un nombre immense sous le titre

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« vertures de livres, parce que c'était là qu'il déposait ordinaire«ment les premières pensées que ses lectures lui suggéraient. Ce recueil, qui faisait partie de la bibliothèque de M. Chardin, doit être passé dans celle du Roi ; il contient, à côté de quelques ob«<servations piquantes, une foule d'inutilités, et je l'ai trouvé << moins agréable à lire, quant à la forme, que ces notes subites « des marges qui révèlent la fougue, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, l'ivresse d'une inspiration un peu déréglée. Il y a de bon«<nes choses qui sont mauvaises à copier, comme il y a d'excellents mots qui perdent à être redits (1).

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Charles Nodier ne se trompait pas en disant que le manuscrit des Stromates était passé à la Bibliothèque. C'est là, en effet, que se trouve ce recueil assez considérable, que Nodier juge un peu trop sévèrement suivant moi. On trouve encore dans la collection de M. Yemeniz, au no 3826, un recueil factice composé par Jamet le jeune, qui l'a intitulé: Stromate sacré, ou Recueil de pièces manuscrites et imprimées.

Les manuscrits qui font partie de la collection de M. Yemeniz sont au nombre de cinquante et un, trente-six sur vélin, quinze sur papier, et méritent à tous égards une mention particulière; chacun de ces volumes est important soit au point de vue de l'histoire, soit au point de vue de l'art, de l'art français principalement. Tous les manuscrits sur vélin sont ornés de miniatures, souvent nombreuses, exécutées depuis le treizième siècle jusqu'au dix-septième inclusivement, et je renvoie les amateurs soit aux notes du catalogue, soit aux Appendices joints à cette notice. Certaines de ces miniatures sont de véritables chefs-d'œuvre : je me contenterai de signaler celles qui décorent le livre de prières inscrit au catalogue sous le n° 69, livre que j'ai tâché de décrire dans le second de mes Appendices. Le jour où M. Yemeniz est devenu possesseur de ce beau livre a dû être pour lui un des plus remarquables de sa vie de bibliophile, un de ces jours que les anciens marquaient d'une croix blanche. Le possesseur raconte ainsi son acquisition : Il y a de cela près d'un demi-siècle, un des bouquinistes qu'il fréquentait, le voyant passer, l'arrêta, le saisit au collet, c'est l'expression de M. Yemeniz, et lui dit : J'ai quel

(1) Mélanges tirés d'une petite bibliothèque, ou Variétés littéraires et philosophiques, par Charles Nodier. Paris, 1829, in-8°, p. 45-46.

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que chose pour vous; et, lui remettant le volume: Emportez cela, vous me payerez plus tard. Mais encore, combien me coùtera-t-il ? et, tout en faisant cette demande, M. Yemeniz feuilletait le manuscrit, cherchant à cacher son admiration. Le vendeur dit un prix qui ferait bien rire les amateurs de nos jours, mais qui était élevé en fait d'achat de vieux livres, il y a cinquante ans : Ce fut à mon tour, ajoute M. Yemeniz, à saisir au collet le bouquiniste, à le conduire à ma caisse, à payer le prix qu'il demandait, à prendre une quittance bien en règle, tant j'avais peur d'avoir trahi ma joie, et que le bouquiniste ne revînt sur son marché. Depuis M. Yemeniz a refusé 20,000 francs de ce manuscrit, et ceux qui le verront n'en seront nullement surpris. Hélas! le temps de semblables aubaines est passé : celle que je viens de raconter doit être reléguée à l'époque légendaire de la bibliophilie.

Les reliures de la collection de M. Yemeniz sont aussi nombreuses que riches, et j'ai dù réserver pour le dernier paragraphe de cette notice ce que j'avais à dire sur ce point. Mon travail est trop succinct pour me permettre beaucoup de développements; je dois me borner à quelques notes. On trouve dans cette collection des modèles de tous les genres de reliures employées en France depuis la fin du quinzième siècle jusqu'à nos jours. D'après ces modèles, on peut suivre les variations et les progrès de cet art, et celui qui voudra écrire l'histoire de la reliure en France devra toujours consulter le catalogue de M. Yemeniz ; cette histoire est curieuse, et n'a pas encore été faite, bien qu'il soit possible de citer quelques travaux utiles écrits sur cette matière (1).

Cette histoire se divise en trois grandes périodes: la première comprend les origines et tout le seizième siècle; c'est la plus curieuse et la moins connue; la seconde part des premières années du dix-septième siècle et se termine au dix-huitième; enfin la dernière commence avec les premières années du dix-neuvième

(1) Parmi les travaux récents sur ce sujet, j'indiquerai le volume suivant l'Art de la Reliure en France aux derniers siècles, par Édouard Fournier, Paris, 1864, in-12. Je sais que l'auteur prépare une édition nouvelle de ce travail, que j'ai eu déjà l'occasion de citer dans mes Recherches sur Grolier, et qui renferme des renseignements utiles.

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siècle et ne finit qu'à nos jours. Examinons ces trois périodes séparément d'après la collection de M. Yemeniz.

Le seizième siècle est représenté par une série de volumes de la plus haute curiosité: au premier rang je dois placer dix volumes à la reliure de Grolier, et plusieurs autres volumes de la même époque sortis sans aucun doute de la main des mêmes ouvriers. Plusieurs de ces volumes ont été faits soit pour François Ier, soit pour son fils Henri II. Je signalerai le n° 802, contenant le Traité de chirurgie du célèbre Ambroise Paré, imprimé sur vélin, dédié à Henri II, couvert d'une riche reliure dans le genre des groliers; je signalerai encore le no 448, magnifique volume imprimé sur vélin, avec des fleurons coloriés. La reliure ornée du buste de Henri II doit sortir des mains de Roffet, dont je vais parler plus loin.

Dans mes études sur la Vie et la Bibliothèque de Grolier (1), j'ai eu l'occasion de rechercher l'origine de ces belles reliures, soit en maroquin, soit en veau, qui, vers les dernières années du quinzième siècle, ont remplacé les reliures en bois, couverts de bêtes fauves, d'un usage commun en d'étoffes ou de peaux France pendant plusieurs siècles; j'ai dit que cette révolution nous est venue d'Italie, après les expéditions conduites par Charles VIII, Louis XII et François Ier. J'ai manifesté le regret de n'avoir pu trouver le nom des artistes habiles qui ont exécuté pour Grolier ces belles reliures dont la collection de M. Yemeniz renferme quelques beaux échantillons. Le nom de Gascon ou du Gascon, mis en avant par quelques bibliographes anglais, n'est justifié par aucun document. Je crois avoir démontré que depuis Charles VIII et Louis XII, mais surtout depuis François Ier, il a existé, soit à Paris, soit à Lyon, des ateliers où ces belles reliures ont été faites, sans passer par l'Italie. Plusieurs volumes de la collection de M. Yemeniz viennent confirmer l'opinion que j'ai émise à cet égard. Le relieur de François Ier est connu : il se nomlui a mait Pierre Roffet ou Roifet, dit le Faucheux, surnom que valu l'enseigne qu'il avait adoptée. La Caille et Lottin ont enregistré son nom parmi ceux des libraires de Paris (2). D'après (1) Recherches sur Jean Grolier, sur sa vie et sa bibliothèque, etc. Voyez le titre complet au no 3763 de ce Catalogue.

(2) Histoire de l'Imprimerie et de la Librairie, etc. Paris, La Caille,

quelques documents encore inédits qui le concernent et qui datent de 1528, il n'était pas seulement relieur et imprimeur, il exerçait encore la profession de fabricant d'objets de cuir doré. D'après un autre document daté de 1536, un des libraires de François Ier, Claude Chappuys, payait à Le Faucheux la somme de cent trente livres pour avoir exécuté diverses reliures (1).

A Pierre Roffet, dit Le Faucheux, qui fut relieur de François Ier et de son fils Henri II, ont succédé Nicolas Eve et son fils Clovis Eve, qui ont été relieurs de Charles IX, d'Henri III et du premier des Bourbons, Henri IV. Clovis avait le titre de relieur du roi, et recevait 30 livres de gages par année pour cette charge. En 1609, il ne put être payé faute de fonds (2).

Clovis Eve travaillait également pour Marguerite de France, reine de Navarre; c'est lui qui a exécuté ces charmantes reliures en maroquin, couvertes de marguerites d'or, dont la collection Yemeniz nous offre plusieurs jolis modèles (voir les n° 53, 139, 1812); c'est encore lui qui a exécuté cette admirable reliure qui couvre l'office de la vierge Marie, à l'usage de l'Église romaine,

1689, in-4°. Catalogue chronologique des libraires et des libraires-imprimeurs de Paris, depuis l'an 1470 jusqu'à présent, 1789, in-8°.

(1) A Maistre Claude Chappuys, libraire dudit seigneur (François Ier), la somme de six vingtz dix livres, dix sols tournois, pour son remboursement de semblable somme qu'il a déboursée de ses deniers à un libraire de Paris, nommé Le Faucheux, pour avoir, de l'ordonnance et commandement dudit seigneur, habillé, relié et doré plusieurs livres de sa librairie, en la forme et maniere d'ung evangelier jà relié et doré par icelui Le Faucheux, escript de lettres d'or et d'ancre. (Arch. de l'Emp.)

(2) A Clovys Eve, relieur de Sa Majesté, semblable somme de trente livres tournois, à luy aussi ordonné pour ses gages, à cause de son dit estat durant ladite année de ce compte mil six cent neuf. De laquelle somme ledit présent trésorier et comptable n'en a péu païer aucune chose faulte de fonds. Archives de l'Empire.)

Nicolas Eve et son fils Clovis sont indiqués dans l'histoire de l'imprimerie et de la librairie de La Caille, etc., p. 165. Nous apprenons, par une note manuscrite de Mercier de Saint-Léger, que Nicolas Eve, relieur du roi, demeurait au Clos-Bruneau, rue Chartière, à l'enseigne d'Adam et Ève; cette enseigne est gravée en bois sur le fleuron d'un volume édité par lui en 1578, qui contient une traduction de l'ouvrage de Jean Boccace, connu sous le nom de Histoire des Nobles malheureux, etc. La nouvelle édition de Brunet a reproduit cette gravure, t. Ier, col. 989. D'après M. Ed. Fournier, cette famille des Eve a relié pour le Roi jusqu'en 1631.

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